Du nord au sud : Onzième étape, d'Eggiwil à Schangnau

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Pour le deuxième samedi de suite, le train qui m’emmène vers l’Emmental a été investi d’enfants. Aujourd’hui, c’est le Parlement lucernois des jeunes qui a réservé un wagon entier : je ne sais pas de quoi débattent ces politiciens en herbe pendant le trajet, mais ils le font vigoureusement ! Ils descendent tous à Schüpfheim, laissant derrière eux un silence étrange. A Langnau, je change de train pour le court trajet jusqu’à Signau : contrairement au week-end dernier, aujourd’hui je réussis à descendre à la bonne gare !

En raison de l’horaire du bus entre Signau and Eggiwil, peu fourni en milieu de matinée, je ne commence à marcher que vers 11 heures 30. L’alternative aurait impliqué de me lever très tôt mais, étant donné que la température a bien baissé par rapport aux week-ends précédents, je me dis que ce n’est pas bien grave si je dois marcher pendant la partie la plus chaude de la journée.

Si l'étape précédente de l'itinéraire national No. 2 ne m'a pas vraiment convaincu, celle-ci est très satisfaisante dès le début. Au départ déjà, à Eggiwil, je vois enfin de vraies montagnes : le Hohgant se dresse derrière un beau premier plan composé de hameaux, de crêtes ensoleillées et de buttes coiffées d'arbres. Après plusieurs étapes où j'avançais vers la montagne sans vraiment la voir, j'ai enfin l'impression d'y être. La brume épaisse qui a terni la vue ces derniers week-ends a disparu en grande partie : l'air est plus limpide et paraît plus propre et moins lourd.
Entre Eggiwil et Schangnau, l'Emme traverse une gorge étroite et profonde. Aucun chemin de randonnée officiel ne la parcourt, même si le guide Rother Emmental décrit un itinéraire coté T4+ et se déroulant en grande partie hors sentier. Le Trans Swiss Trail, pour sa part, quitte l'Emmental et traverse les collines situées à l'est de la gorge, avant de redescendre pour retrouver l'Emme à Schangnau.

Je quitte Eggiwil en direction du sud, remontant la rivière jusqu'à l'endroit où il est rejoint par un affluent, le Geissbach. Ici je quitte la route du fond de la vallée, traverse un petit pont couvert et commence la montée. En fait, ce n'est pas le bon chemin - erreur de lecture de carte de base - j'aurais dû continuer le long de la route pendant quelques centaines de mètres avant de prendre le sentier suivant. Tant pis : je ne me rends compte de mon erreur que trois quarts d'heure plus tard et 250 mètres plus haut, il est trop tard pour faire demi-tour. Ce n'est pas bien grave : le chemin que j'ai choisi est très joli et, d'après ce que je vois sur la carte, comporte moins de goudron que l'itinéraire officiel du Trans Swiss Trail, qui remonte la vallée du Geissbach sur son flanc opposé. La montée se fait essentiellement à travers champs, parfois hors sentier mais toujours bien balisé, avec quelques courts passages boisés pour varier les plaisirs.

La montée est surtout raide dans sa première partie. Le sentier grimpe en lacets le long de la crête qui sépare le Geissbach de l'Emme. Tout d'abord étroite, cette crête s'élargit bientôt et la pente devient moins soutenue. On sent quand même que cette montée est plus longue et plus raide que celles des étapes précédentes : même si le chemin est facile, cela commence à ressembler davantage à de la randonnée en montagne. Dans un champ à la lisière d'une forêt, deux chèvres blanches se livre une bataille sans doute factice, sautillant l'une autour de l'autre en se donnant de grands coups de tête, pendant que le reste du troupeau les ignore complètement. Une jolie vue s'ouvre derrière moi, vers Eggiwil en contrebas et l'Emmental qui s'en va vers le nord. A l'ouest, la chaîne montagneuse qui se termine au Stockhorn s'est nettement rapprochée depuis le week-end dernier et, avec la qualité améliorée de l'air, se voit beaucoup plus clairement. Quelques arbres isolés constituent un premier plan majestueux devant ce beau panorama préalpin.

Je poursuis ma montée, coupant quelques lacets d'une route d'alpage, puis rejoignant celle-ci enfin à Unterhürlisegg (1110 m). Il faut alors suivre la route sur un kilomètre environ, jusqu'à ce qu'elle fasse à nouveau place à un chemin caillouteux à Oberhürlisegg. Devant moi, le Hohgant et la Schrattenflue dominent le paysage : les deux prochaines étapes me feront remonter la vallée entre ces deux montagnes… à moins que je ne décide de quitter l'itinéraire officiel et de passer par-dessus la Schrattenflue pour atteindre Sörenberg.

Au carrefour de chemins sous le petit sommet du Pfyffer (1315 m), je retrouve le balisage du Trans Swiss Trail que j'avais perdu plus bas. Je marche depuis deux heures et, en raison de mon départ tardif, il est déjà 14 heures : l'heure de la pause midi a sonné ! Au-dessus des chalets de Grosshorben, je trouve un pâturage qui a été fauché mais où les vaches ne sont pas encore montées : c'est parfait, malgré une petite bise fraîche. Pour la première fois depuis des lustres, je m'accorde le luxe d'une petite sieste, allongé sur l'herbe rase.

Le Wachthubel est bien visible à présent. Cette petite montagne herbeuse est le point culminant de l'étape et, haut de ses 1414 mètres, le point le plus élevé depuis le début de l'itinéraire national No. 2. Il reste toutefois du chemin à faire pour y arriver, car je dois descendre jusqu'à Grosshorben (1218 m) puis traverser un long faux-plat montant avant d'entamer la montée finale. Lors de mon dernier passage à Grosshorben, j'ai vécu un moment un peu nerveux devant un chien agressif. Pas de problème aujourd'hui, le chien de la ferme (à moins que ce ne soit un autre) est en train de faire les foins avec  son propriétaire, courant à droite et à gauche devant le tracteur qui ramasse l'herbe. Le sommet même du Wachthubel n'a pas encore été fauché et, pour franchir les 50 derniers mètres raides, je dois batailler dans l'herbe qui m'arrive aux genoux, cachant complètement le sentier.

Je suis déjà monté deux fois au Wachthubel : une fois en juillet 2009, par une journée nuageuse où tout était très vert après une période de pluie ; puis encore en janvier 2016, là aussi par temps nuageux. Aujourd'hui les conditions météo sont plus clémentes, mais la brume est revenue et les couleurs sont redevenues moins éclatantes que ce matin. La prairie sommitale a été envahie par des taons et je n'y tarde pas : ma fuite n'est toutefois pas assez rapide et, 24 heures plus tard, j'ai une belle collection de piqûres aux bras et aux jambes… et qu'est-ce que ça gratte !

La descente sur Schangnau est courte mais très raide. Herbeux dans sa partie supérieure, le sentier devient caillouteux et malcommode une fois qu'il atteint la limite de la forêt. Je suis très content d'avoir pris mes chaussures de montagne aujourd'hui plutôt que les chaussures basses que j'utilise depuis quelques étapes. Presque arrivé en bas, juste à l'endroit où le sentier se faufile entre un talus et un ravin, je me trouve nez à nez avec un troupeau de vaches qui, recherchant l'ombre, se sont agglutinées autour de la barrière par laquelle je dois passer. Il y a des mères avec des veaux dans le troupeau : me laisseront-elles passer ou voudront-elles défendre leurs petits ? J'avance lentement, parlant d'une vois douce, leur racontant (en anglais, car les vaches de l'Emmental ne comprennent pas le français) qu'elles sont belles et sympathiques. Ce qui s'avère être vrai, car les vaches me laissent passer sans broncher. Dix minutes plus tard, je suis assis à la terrasse de l'hôtel Löwen à avec une demi-heure agréable à passer avent l'arrivée du bus. Une très jolie étape qui m'a réconcilié avec l'Emmental et avec le Trans Swiss Trail.

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