Trop chaud pour le Faulhorn

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Jusqu'à samedi, je ne m'étais pas vraiment rendu compte de la magnitude de cette canicule. Départ matinal, bureau climatisé, balcon ombragé le soir, j'ai été plutôt bien protégé. Jusqu'à la fournaise qu'était Lucerne samedi dernier.

Dimanche donc, et avec des températures encore plus chaudes annoncées, la seule échappatoire semble être celle de l'altitude. De l'altitude pour paresseux aussi : pas question de monter à pied pour chercher le frais. La classique Schynige Platte – Faulhorn me semble faisable : un départ vers 2,000 mètres et une dénivelée raisonnable pour arriver au sommet à 2,680 mètres. Pas de doute, à ces altitudes, la chaleur sera supportable…  

Je me lève très tôt et prends le train à 7 heures. Mais le trajet est long, et ce n'est que vers 10h 30 que je suis prêt à démarrer la randonnée.  La gare d'Interlaken Ost est bondée de touristes essentiellement chinois et japonais ; pourtant, dans le petit train qui gravit très lentement la montagne jusqu'à la Schynige Platte, il n'y a que des Anglais, des Américains et quelques rares voix françaises. Etrange comme certaines destinations sont ignorées de nations entières de touristes, alors que d'autres lieux tout proches les attirent en masse.

La randonnée débute facilement et dans une fraîcheur agréable. En effet, depuis la gare de la Schynige Platte le "Panoramaweg" passe tout de suite en face nord, contournant la base du Gumihorn à l'ombre. La chaleur est tout à fait supportable, je suis satisfait de mon choix. Les deux coureurs de trail qui me dépassent me semblent quand même légèrement fous.  Peu après, je commence à me dire que je suis peut-être moi aussi un peu fou, car le sentier commence à monter et quitte l'ombre en même temps. Et là, je me rends compte que même à 2,000 mètres, il fait chaud, très chaud.

J'arrive au premier petit sommet de la journée, nommé Daube sur les panneaux indicateurs et Tuba sur la carte. Daube ou Tuba, son altitude est de 2,067 mètres et la vue est somptueuse dans toutes les directions. Au nord, la vue plonge vers le Brienzersee turquoise. Vers le sud, au-delà d'un premier plan d'alpages et de vallonnements, l'horizon est une série de noms célèbres : Schreckhorn, Eiger, Mönch, Jungfrau, Schilthorn. Plus vers l'ouest et plus loin, voilà le Stockhorn et le Niesen qui me saluent comme deux amis à moitié oubliés : ça fait longtemps que je ne suis pas venu dans la région.  

Depuis le Tuba-Daube, un sentier descend vers le nord-est, suivant une arête assez étroite (sans être vraiment aérienne), verticale sur son côté gauche, un peu moins à droite. Mon prochain objectif se profile devant : l'Oberberghorn, rocheux et apparemment inatteignable.  Plus je m'approche, plus l'Oberberghorn est intimidant… mais il recèle un secret : un escalier mène jusqu'en haut. Quittant le sentier principal, je remonte en lacets jusqu'à la base d'une cheminée, où débute le premier des trois escaliers en bois qui permettent aux simples randonneurs de monter jusqu'au sommet à 2,069 mètres. Une dame allemande, visiblement terrifiée, descend tout doucement à reculons, encouragée (ou peut-être harcelée, c'est selon) par son compagnon. L'escalier n'a pourtant pas l'air excessivement difficile, il ressemble à ceux qui mènent aux dortoirs de nombreuses cabanes du CAS, et il y a des balustrades. Mais tout le problème est là… les balustrades sont branlantes et ne tiennent quasiment plus à leurs montants. En cas de chute, elles ne seraient d'aucun secours. Si jamais quelqu'un se trouve sur l'Oberberghorn avec un marteau et des pointes, il y a du travail à y faire !  

Avec cette chaleur, la montée à l'Oberberghorn  m'épuise, la chaleur commence vraiment à m'embêter. J'ai amené trois litres d'eau avec moi et la première bouteille d'un litre et demi est déjà bien entamée. Je redescends les escaliers et les zigzags pour rejoindre le sentier principal, qui continue à présent en légère montée, suivant le flanc d'une belle vallée fleurie. Au fond, derrière les chalets d'alpage d'Oberberg, la vue au lointain est toujours aussi superbe.

Je descends un escalier de plus, métallique cette fois-ci, pour arriver à Laucheren, où plusieurs sentiers convergent. Ici, un panneau m'indique trois heures et demie de marche jusqu'au Faulhorn, cinq heures jusqu'à First point d'arrivée de la randonnée. Je me dis que je n'y arriverai pas, que le détour panoramique par le Daube-Tuba et l'Oberberghorn m'a coûté trop de temps. Pour être certain de ne pas louper la dernière benne, il va falloir que j'augmente nettement mon rythme de marche et, par cette chaleur, je me sens physiquement incapable d'aller plus vite.  Chaque petite montée est un calvaire pour mon corps lourd et transpirant.

Malgré les conditions, il y a de nombreux autres randonneurs sur le sentier, et ils ne semblent pas souffrir autant que moi, peut-être que je suis simplement dans un mauvais jour. Un peu partout, des gens recherchent le moindre carré d'ombre pour casser la croûte.  Je remonte jusqu'à une selle où un grand groupe d'Anglais est en train de déjeuner en plein soleil, descends dans un vallon pierreux, puis remonte à nouveau jusqu'à une encoche (Güwtürli, 2,028 m). Il y a un peu d'ombre ici : pas assez pour m'asseoir confortablement, mais suffisamment pour que je puisse manger debout, à l'abri du soleil, pendant que ceux qui ont déjà pique-niqué passent devant moi en direction du Faulhorn.

La météo commence à virer à l'orage, la couleur du ciel passe assez rapidement du vrai bleu à un faux bleu qui pourrait être gris. Cela me décide définitivement à faire demi-tour : avec encore quatre bonnes heures de marche jusqu'à First, les chances de prendre un orage sont grandes et je ne veux pas avoir à courir pour y échapper. A une heure, je repars donc dans l'autre sens jusqu'à Laucheren, puis prends le sentier le plus direct pour retourner à la Schnynige Platte. Il est trois heures moins le quart, un train vient de partir, ce qui me donne une bonne excuse de boire une bière en attendant le prochain. En tout, aujourd'hui, je boirai trois litres et demie de liquide, sans avoir besoin d'en évacuer...

Au moment où le train se met en marche pour la lente descente vers Wilderswil, il se met à pleuvoir. L'averse est de courte durée, mais est accueillie comme un miracle par tous les voyageurs. Je discute avec un couple anglais en vacances ici ; ils campent à Interlaken et sont arrivés le premier jour de la canicule. Ils sont un peu désemparés, ils ont amené tout ce qu'il fallait pour randonner à 2,500 mètres fin juin et début juillet : polaires, gants, vestes chaudes…

De retour à Interlaken Ost, j'ai une demi-heure d'attente avant le train pour Lucerne. Un grand groupe de touristes japonais est en train de subir la loi d'un guide particulièrement zélé : il les aligne en rangs, deux par deux comme des enfants d'école primaire, pour attendre le train. Une jeune femme du groupe porte un T-shirt sur lequel est écrit : "MERRY CHRISTMAS". C'est le jour le plus chaud depuis des années, cela doit être de l'humour noir…  en tout cas, par cette canicule, je plains le Père Noël avec son gros manteau de fourrure et sa barbe !