Sur le Chemin panorama alpin : Vingt-deuxième étape, de Jaun à Broc

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Si l'étape précédente m'a fait passer dans un vrai paysage de montagne avant d'atteindre le point culminant du Chemin panorama alpin, celle-ci offre un contraste total et constitue l'étape la plus facile jusqu'à présent. Randonnée de vallée, l'étape est placée sous le signe de l'eau et se divise en trois sections bien distinctes : une première partie le long d'une rivière, ensuite le tour d'un lac et, enfin, la descente d'une gorge profonde.  Il ne pleut pas mais le ciel est d'un gris décidé : je ne verrai ni pluie, ni soleil aujourd'hui. On dirait pourtant que ce sera le meilleur jour de ma deuxième semaine de vacances et je décide donc de randonner coûte que coûte. La décision sera bonne.

Je vais à Bulle en train, puis (après quarante minutes d'attente dans une gare routière des plus désertes), prend le bus pour Jaun. L'étape du jour suivra en fait ce trajet en bus dans le sens inverse, ce qui fait un peu bizarre et brise quelque peu la continuité est-ouest du chemin… tant pis pour l'esthétique ! En raison de ce long trajet, je ne commence à marcher qu'à 11 heures 30… bientôt l'heure de la pause déjeuner ! Je descends vers la cascade et la petite église blanche, faisant l'impasse sur la visite du cimetière, où un employé communal est en train de tondre bruyamment l'herbe.  Le Jaunbach, qui ne s'appelle pas encore Jogne ici, coule vite, les gros rochers de son lit clairement visibles à travers l'eau propre et transparente.

Pendant les deux premières heures de marche jusqu'à Charmey, je suis cette rivière de près, la plupart du temps sous le rideau d'arbres qui la borde. Il a beaucoup plu ces derniers jours (mais pourrai-je un jour poster un rapport sans écrire ceci ?) et le sentier est gras et glissant, voire boueux. Le chemin passe souvent d'une rive à l'autre, empruntant de solides ponts conçus pour supporter le trafic agricole. Plus tard dans la journée, je traverserai quelques ponts plus fragiles… La route qui suit également le fond de la vallée garde ses distances et n'est généralement ni visible ni audible : en ce sens, c'est une balade beaucoup plus agréable que celle entre Zollhaus et Schwarzsee.

Au-delà de l'écran d0arbres qui borde la rivière, la vallée travaille. Le bois et la pierre semblent être au centre de l'économie locale : au village d'Im Fang, de longues séries de planches sont entassées le long de la route et à trois endroits entre Jaun et Charmey, je passerai devant des carrières où de gros engins concassent et broient la pierre, destinée à la construction de routes ou de murs de soutènement.

Im Fang est le dernier village germanophone que traverse le Chemin panorama alpin. La proximité de la frontière linguistique est évidente en regardant les panneaux routiers bilingues au carrefour du village. Quelque part entre ici et Charmey je franchirai le Röstigraben invisible et passerai en Suisse romande : du coup, réserver des hébergements et commander des bières deviendra tout de suite plus facile ! Dans une clairière au bord de la rivière, un terrain de foot qui n'a pas été tondu depuis un moment est devenu un océan de fleurs sauvages jaunes, blanches et mauves, au milieu duquel se dressent les buts.  Juste avant le lieu-dit Pra Jean (tiens, j'ai dû passer la frontière…), un panneau accroché à une clôture semble m'avertir de la présence d'engins explosifs… aurait-on protégé le Röstigraben avec un champ de mines ?

Au lieu-dit les Fornis, je repasse rive droite et quitte brièvement le bord de ce qui s'appelle désormais la Jogne pour traverser des pâturages. Devant moi, une vallée latérale à l'aspect sauvage remonte vers le nord. Mon vieux topo-guide de randonnées dans le pays de Fribourg décrit cette vallée ainsi :  "… la Vallée des Morts, sauvage et réputée pour ses vipères et ses avalanches…"  Heureusement, le Chemin panorama alpin évite cet endroit charmant et este dans la vallée principale.  Je longe ensuite un étang vert et tranquille qui ne figure pas sur la carte et qui, j'imagine, doit son existence aux pluies récentes.

J'arrive bientôt à Charmey, le plus gros village de la vallée avec ses bains thermaux et les hôtels qui bordent sa rue principale (dont un fermé depuis un certain temps on dirait, vu les fenêtres vides et  poussiéreuses). Charmey marque la fin de la première partie de la randonnée et le début de la deuxième, qui me verra longer le lac de Montsalvens par sa rive nord.

Malgré le fait qu'il soit artificiel, créé par le barrage de la Jogne à trois kilomètres en aval de Charmey, le lac de Montsalvens est vraiment beau, avec ses eaux vertes sur fond de forêts et de montagnes. Je quitte Charmey par une rue très en pente, qui fait bientôt place à un sentier boueux qui descend avant de traverser un bras du lac sur un pont suspendu frêle.  La surface du lac est parfaitement lisse et l'eau est d'un vert végétal profond, faisant miroiter les pentes boisées qui le bordent. Le pont me surprend en bougeant pas mal lorsque je pose mon pied dessus ; j'en ai traversé des plus stables. Le sentier remonte ensuite dans la forêt de la rive nord, restant le plus souvent sous le couvert des arbres, avec de temps en temps de belles échappées qui embrassent le lac et le paysage alentour.  Malgré la proximité de la route, il y a une ambiance vraiment paisible au bord de ce lac.

Je mange mes sandwiches à une table de pique-nique bien placée face à l'eau, à côté d'un panneau explicatif qui décrit les différentes espèces de poissons qui vivent dans le lac (il y en a quatre, ce qui me paraît peu ; en plus elles se mangent entre elles). Peu après, j'arrive au barrage qui ferme le lac à son extrémité occidentale. Depuis le barrage, qu'il faut traverser pour accéder au sentier des gorges, la vue vers l'est est magnifique, un paysage somptueux fait entièrement de tons de gris et de vert.

Le barrage marque la fin de la partie médiane de cette randonnée et le début de sa dernière partie, le parcours des gorges de la Jogne. Depuis le barrage, un sentier raide et très glissant plonge vers la rivière loin en dessous. Cette descente est protégée par une rambarde en bois qui, par ces conditions humides, est fort utile. En bas de la descente, je franchis le torrent sur le premier de plusieurs passerelles à l'aspect plutôt fragile, et où les rambardes de sécurité me paraissent vraiment basses, arrivant à peine à ma taille. A droite, une grosse cascade semble sortir directement de la falaise. Pendant une demi-heure, une suite de passerelles et de tunnels facilitent le passage des gorges, parfois loin au-dessus du torrent, parfois presque à son bord. Je tombe un peu dans un rêve, composant déjà ce rapport dans ma tête, et me fais une belle frayeur en rentrant presque littéralement dans un groupe d'une dizaine de randonneurs venant en sens inverse. Le sursaut que j'ai fait en les voyant un peu tardivement a dû être beau à voir ! Je franchis un autre pont (celui-ci semble pencher assez nettement vers l'amont), passe un autre tunnel et puis, d'un seul coup, la vallée s'élargit et les gorges sont derrière moi.

Le sentier étroit devient une piste qui remonte bientôt rejoindre la route, là où il franchit la gorge sur un grand pont en béton. Cette route, je la suis depuis quatre heures sans qu'elle n'ait dérangé ni le calme, ni le paysage. Il y a maintenant une odeur particulière dans l'air, une odeur que je n'arrive pas à identifier… puis tout devient évident : à côté de la route, un panneau me souhaite la bienvenue à Broc – la Ville du Chocolat. En effet, la fabrique qui attire des touristes du monde entier désireux d'apprendre les secrets du chocolat suisse se trouve juste à côté.

Dans le topo-guide de Suisse Rando, l'étape se poursuit jusqu'à Gruyères, une heure et quart de marche plus loin. Mais le temps de marche supplémentaire et les options de transport moins pratiques depuis Gruyères me feraient rentrer chez moi au moins deux heures plus tard. Je décide alors d'abréger l'étape du jour à Broc et de rallonger l'étape suivante du tronçon Broc-Gruyères. De toute manière, à la fin de la prochaine étape, il faudra passer la nuit aux Paccots, car il est quasiment impossible d'y arriver depuis Lucerne suffisamment tôt pour faire une rando à la journée. Et comme il n'y a pas de chambre libre aux Paccots ce week-end en raison d'un trail, la suite de mon Chemin panorama alpin devra attendre le week-end du 11 juin.  Je voulais au moins atteindre Lausanne avant la fin de mes vacances : la météo en a décidé autrement, il me faudra encore trois jours de marche pour y arriver.

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