Sur le Chemin panorama alpin : Vingt-troisième étape, de Broc à Gruyères

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Ma randonnée le long de l'itinéraire national No. 3 est restée bloquée à Broc depuis le début du mois de juin : la météo des trois derniers week-ends ne m'a pas permis de continuer. Je pensais arriver à Genève vers la fin du mois mais j'en suis encore loin. J'ai réservé une chambre d'hôtel aux Paccots pour ce dernier samedi soir du mois et espère enfin avancer un peu, avec deux longues étapes au programme. Elles seront les dernières que l'on pourrait qualifier d'étapes de montagne car, ensuite, la fin de l'itinéraire se déroulera le long du Léman, en plaine.

La semaine a été ensoleillée et chaude mais, pour le quatrième week-end de suite, une dégradation sérieuse est annoncée. Sur le site web de Météosuisse, l'animation satellite montre un gros paquet de nuages et de foyers orageux  qui traversera l'ouest du pays vers la fin de l'après-midi. A vrai dire, seul le fait que l'hôtel est réservé me pousse à y aller malgré tout. C'est quand même à contrecœur : ma motivation n'est pas au top, mon humeur non plus, deux jours après ce référendum dans lequel mes compatriotes sont devenus la risée de l'Europe toute entière…

La vue depuis le petit train qui avance lentement entre Romont et Bulle n'améliore guère mon humeur. Au-dessus de la chaîne des Vanils,  le ciel est d'un noir qui ne dit qu'une chose : gros orages. Pourtant, vers l'ouest et l'Arc lémanique il y a beaucoup de bleu : laquelle des couleurs l'emportera ? A Broc, je commence à marcher vers dix heures vingt, sous un soleil qui tape fort et par une chaleur intense et moite.

Presque tout de suite, la randonnée part en vrille. Je suis le balisage du Chemin panorama alpin, quittant Broc en direction du sud, vers Gruyères. Je traverse quelques prés où l'herbe longue est encore trempée après les fortes pluies de la nuit, mouillant mon pantalon jusqu'aux genoux. Quelque part devant, j'entends le bourdonnement de nombreuses tronçonneuses : élagage d'arbres sans doute. Mais en surmontant une petite crête, je vois que l'origine du bruit est toute autre : ce ne sont pas des tronçonneuses mais des motos. En effet, une compétition de motocross est en cours et le sentier de randonnée est fermé, coupé par le circuit. Des motos me passent devant le nez, dérapant et rugissant dans une boue épaisse. Je demande à un jeune homme qui assure la sécurité s'il y a moyen de passer, mais la réponse est négative : il faut retourner à Broc et chercher un chemin alternatif. Ce petit détour me fait perdre 45 minutes, des minutes précieuses dans la course que je m'attends à livrer contre les orages cet après-midi.

L'itinéraire alternatif me fait retraverser le village d'un bout à l'autre, puis passe devant la piscine municipale avant de rejoindre un chemin boueux qui longe la Sarine. Ce sentier longe également le périmètre du circuit de motocross et, même si les motos sont invisibles grâce à la forêt, le vacarme qu'elles font ne me laisse pas en paix pendant une seconde.

Suivant la Sarine vers le sud, j'arrive au Pont qui branle, que je dois passer pour arriver sur la rive ouest. Le pont était peut-être branlant autrefois, mais celui d'aujourd'hui est une construction en bois solide et massive, couverte et complètement fermée, avec juste deux petites ouvertures par lesquelles la rivière est visible. De l'autre côté de la rivière, une petite route me mène au pied de la colline sur laquelle se trouve le village de Gruyères, haut lieu touristique de la Suisse, dominé par son château. Je traverse la route cantonale qui contourne la colline à sa base, puis remonte par un sentier pavé raide jusqu'à l'une des anciennes portes qui permettent de passer le mur d'enceinte du bourg. Sur la place du village, entre restaurants et fontaines, des centaines de touristes s'adonnent à la prise intensive de selfies.

Au-dessus de Gruyères, la vue devrait normalement être dominée par le Moléson, mais la météo s'est dégradée et la montagne est allée se cacher sous de gros nuages noirs. Le ciel bleu qui, il y a une heure, essayait de gagner du terrain a complètement disparu ; maintenant ce sont les orages et la pluie qui vont de toute évidence s'imposer. J'ai une décision à prendre : il me reste cinq heures de marche pour arriver aux Paccots, et une grande partie de l'itinéraire va se dérouler là-haut, dans les nuages. Je vais devoir monter jusqu'à Plan Francey, à une altitude de plus de 1500 mètres, puis traverser sous les pentes nord-ouest du Moléson et du Teysachaux avant de redescendre vers ma destination. Le sentier n'a rien de difficile, mais il sera exposé à tout ce que les dieux de la météo veulent lancer sur le Moléson, avec peu de possibilités pour se mettre à l'abri.

En fin de compte, la seule décision sage est d'abandonner ici à Gruyères, d'où je peux au moins rentrer facilement chez moi. J'appelle l'auberge du Lac des Joncs aux Paccots pour annuler ma réservation pour la deuxième fois et propose de payer quand même la chambre en raison de mon désistement tardif. La dame qui répond au téléphone est très sympathique et me dire que ce n'est pas nécessaire, sans doute que je viendrai un autre week-end. Je viens de louper un train et dois attendre 55 minutes sur le quai de la gare de Gruyères, ce qui me permet de manger mes sandwiches tranquillement. J'aurai passé 7 heures dans les gares et les trains pour une petite heure et demie de marche, dont une heure complètement polluée par le bruit des motos. J'ai passé de meilleures journées en montagne…

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