De l'Arnisee au Sunnig Grat

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Très bien nommé, ce Sunnig Grat… nous avons dû attendre tout l'été pour pouvoir enfin profiter d'un week-end parfait, mais la magie de septembre a encore fonctionné ! Ni trop chaud, ni trop froid, sans nuages ni vent, ce dernier samedi du mois restera comme l'un des meilleurs jours de l'été.

Tout le monde l'a d'ailleurs compris, la population entière de Lucerne semble avoir pris place dans le train de 8:18 à destination d'Erstfeld. L'ambiance sur le Rotsee et le lac des Quatre Cantons est déjà automnale, avec des bancs de brouillard qui s'étirent au-dessus de la surface de l'eau et le long des pentes du Rigi. Depuis Erstfeld, un court trajet en bus m'amène à Intschi, point de départ du petit téléphérique de huit places qui monte à  l'Arnisee, 700 mètres au-dessus.

Entouré de conifères sur fond de montagnes imposantes, l'Arnisee sort tout droit d'une carte postale, presque trop parfait pour être vrai. Je ne suis d'ailleurs pas très surpris d'apprendre, en lisant un panneau explicatif, que ce petit lac est artificiel, créé dans les années 1920 pour des besoins d'énergie hydroélectrique. Je fais le tour du lac en une vingtaine de minutes, pendant que le téléphérique continue de déverser sa cargaison de randonneurs et de familles, huit à fois, toutes les dix minutes.

Le sentier du Sunnig Grat commence à la lisière de la forêt, à l'angle nord-ouest du lac. Raide dès le début, ce sentier monte en lacets sous le couvert des arbres, pendant que la surface bleue de l'eau du lac s'éloigne petit à petit. Le sentier est souvent couvert de racines exposées et, par temps humide, doit être assez glissant. Il fait déjà chaud ; je dépasse bientôt deux femmes qui enlèvent des polaires superflues. Je dis bonjour ; en réponse, l'une des femmes, une jolie rousse, me raconte tout un tas de choses dans un dialecte que je ne comprends absolument pas. Demande en mariage ou menace de mort, je ne saurai jamais !

Vers 1750 mètres, je quitte la forêt et la vue s'ouvre dans toutes les directions. Devant moi, l'entaille profonde du Leutschachtal par lequel je descendrai plus tard. Vers le nord-ouest, par-delà un tapis de rhododendrons et de bruyère en tenue d'automne, ce sont les Windgällen qui dominent le paysage au-dessus du Maderanertal. Dans un creux marécageux, un petit lac sans nom sur la carte fait un joli premier plan, attirant l'oeil vers les montagnes lointaines.

Il me faut une heure trois quarts pour atteindre la petite Sunniggrätli-Hutte, puis une vingtaine de minutes encore pour monter jusqu'à la crête du Sunnig Grat (2033 m). La crête est une série de creux et de bosses rocheuses, que le sentier contourne, montant et descendant jusqu'à ce qu'il atteigne le pied de la dernière pente de gros blocs sous la croix sommitale. Il y a un peu trop de monde au sommet à mon goût et, même s'il est déjà l'heure de manger, je décide de continuer un peu pour trouver un endroit plus calme. Je reviens le long de la crête, puis continue en balcon jusqu'à ce que j'arrive à un large replat couvert de bruyères et d'herbe desséchée, un tapis parfait pour ma pause midi.

A une centaine de mètres du sentier, je m'installe dans l'herbe pour casser la croûte. La soupe que j'ai faite avec des restes de légumes n'est pas ce que j'ai fait de mieux : trop salée et trop amère, peut-être à cause du chou qui en constitue l'ingrédient principal. Mais mes sandwiches sont bons et la sieste de 45 minutes que je m'offre ensuite est un vrai régal. Allongé dans l'herbe, sous le soleil et face aux Windgällen et au Bristen, je manque de m'endormir et dois vraiment faire un effort pour me lever et me remettre en route à deux heures et demie.

Une pente courte mais assez raide me fait monter sur la crête au-dessus du replat où je me suis arrêté. Point culminant de la randonnée à 2095, cette crête se termine abruptement, offrant des vues plongeantes vertigineuses jusqu'au fond du Leutschachtal loin dessous. Depuis ce point, un sentier caillouteux descend d'abord en traversée sous des falaises et des pierriers, puis devient plus raides et continue en lacets serrés pour atteindre enfin le fond de la vallée à la base d'une cascade sous l'alpage de Furt. L'endroit est impressionnant, entouré de hauts murs de rocher avec, tout là-haut au bout d'une vallée latérale, les pinacles du Krönten au-dessus de névés qui scintillent au soleil. Dans le fond de la vallée, les ombres se font déjà longues, accentuant encore les couleurs des pentes encore exposées au soleil. 

Un large sentier descend à présent vers le sud-est, suivant le fond de la vallée, face à la pyramide du Bristen, son sommet saupoudré de sucre glace. La lumière est spectaculaire, les couleurs de fin d'après-midi de septembre sont vraiment parmi ce qu'il y a de plus beau ! De retour à l'Arnisee, des familles  mangent et jouent au bord des eaux d'un bleu profond. Un gros rocher mimique la forme du Bristen, visible en arrière-plan derrière un rideau de conifères.

Je passe une demi-heure très agréable avec une bière à la belle terrasse du Gasthaus Alpenblick puis, non sans regret, me dirige vers le téléphérique. Je laisse ma place à une famille pour leur permettre de descendre ensemble et, en ce faisant, arrive à Intschi une minute après le départ du bus. Une attente de 59 minutes se profile, il va falloir boire une autre bière… mais un couple munichois qui était avec moi dans la cabine me voit à l'arrêt de bus et propose de me descendre à Erstfeld. Je monte dans une immense Audi qui a l'air toute neuve, faisant très attention de ne pas toucher le cuir beige des sièges avec mes chaussures de marche. Le couple est en vacances dans la région, et je leur parle de mes deux semaines plutôt humides en Bavière, au mois d'août. Bizarrement, la femme me demande alors si je suis à la retraite… je crois que c'est la première fois qu'on me vieillit ainsi de dix ans, il va falloir que je parte à la recherche de cheveux gris et de rides quand je serai rentré à la maison. Retraité prématuré ou non, la journée à vraiment été magnifique.