Du nord au sud : Quatrième étape, de Saint-Imier à Neuchâtel

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Le topo-guide et le site web du Trans Swiss Trail  suggèrent de couper l’itinéraire de St. Imier à Neuchâtel en deux courtes étapes, avec une nuit à Chézard dans le Val de Ruz. Je préfère les combiner en une seule étape : je l’ai déjà fait en une journée (certes très longue et fatigante) en passant par la Combe Grède et le Chasseral et sais donc que c’est faisable sans problème, d’autant plus que l’itinéraire proposé ici est plus court et comporte beaucoup moins de dénivelée. En plus, j'ai déjà marché de Chézard à Neuchâtel plusieurs fois, et je n’ai pas vraiment envie de revenir exprès à Chézard pour faire l'étape une fois de plus.

Une semaine après Pâques, je suis de retour à St-Imier (793 m) pour une randonnée qui me fera traverser deux vallées très contrastées. Le temps a complètement changé en l'espace de cette semaine : il y a du soleil et il fait déjà assez chaud à dix heures du matin pour que je n'aie besoin que d'un T-shirt. La température atteindra d’ailleurs des records pour le mois d’avril plus tard dans la journée.

Personne ne dira que Saint-Imier est une belle ville, mais il y a une certaine harmonie dans l'architecture de ses maisons, souvent hautes de cinq étages. C’est un peu la petite sœur de La Chaux-de-Fonds, et les deux villes doivent leur existence économique à la même industrie horlogère. A Saint-Imier, c’est Longines qui occupe un grand site industriel en contrebas de la gare. Je sors de la ville par une longue rue qui se dirige vers l'ouest, pour finalement atteindre la campagne au-delà de l'hôpital et de la maison de retraite. Fermé par le Mont Soleil au nord et par le Chasseral au sud, le vallon de Saint-Imier est vert, bucolique et doucement vallonné, parsemé de bosquets d'arbres et traversé par des chemins sinueux. Des chevaux et des moutons me regardent passer tranquillement.

Je traverse la voie ferrée sur un passage à niveau au joli village de Sonvilier (802 m), puis remonte par une série de faux-plats sur un large sentier qui longe la lisière de la forêt, avec de belles vues devant et derrière. Après une heure et demie de marche, j’arrive au-dessus du village de Renan (889 m), où je m'arrête pour boire de l’eau et manger quelques petits neufs en chocolat qui restent encore de Pâques, avant d’attaquer la "grosse" montée de la journée.

Il faut maintenant remonter de 290 mètres pour quitter le vallon de St-Imier, avant de redescendre vers le Val de Ruz, la deuxième vallée du jour. La première partie de la montée se fait sur une piste forestière moyennement raide, puis je laisse la forêt derrière moi au niveau de la ferme de La Juillarde (1083 m). Je continue à travers des pâturages, hors sentier, vers la grande ferme de la Liodironde (1150 m), où les vaches sont déjà dehors : il ne semble pourtant pas encore y avoir beaucoup d'herbe à cette altitude. J'atteins le point culminant de la journée au Bec à l'Oiseau (1179 m), où les pâturages sont encore partiellement recouverts de grandes plaques de neige. Plus haut encore, les montagnes arrondies du Jura neuchâtelois sont encore toutes blanches.

Une route d’alpage me fait descendre jusqu’au hameau de Derrière-Pertuis (1153 m), où un chien sort d'une cour de ferme, aboyant furieusement autour de mes chevilles jusqu'à ce que je quitte son territoire. La route plonge dans un ravin sombre entre des flancs de montagne escarpées et boisées : le soleil ne doit pas pénétrer ici en hiver et la neige est encore profonde par endroits. Je passe rapidement sous des falaises verticales qui, à en juger par le nombre de gros cailloux sur la route, sont plutôt instables.

Cette étape souffre d'un excès de goudron sous les pieds - heureusement compensé par les beaux paysages - et c'est encore sur du goudron que je traverse le village éparpillé des Vieux Prés (1030 m). Je cherche un bel endroit pour déjeuner, sans succès : j’aurais dû m’arrêter plus haut, avant le Bec à l’Oiseau. Je passe devant une maison où une famille s’affaire à la préparation d’un barbecue. Deux filles, âgées peut-être de 5 ou 6 ans, jouent dehors sur la route, tirant un petit chariot derrière elles. En passant devant moi, j'entends quelques bribes de conversation, le genre de conversation qui doit être exclusivement réservée aux filles de six ans :

Fille 1 : "…et puis elle a jeté sa culotte par la fenêtre !"
Fille 2 : "Oh ! C’est ta copine ?"
Fille 1, outrée : "Ah NON !"

Je finis par m’asseoir sur un tronc d’arbre couché à côté du sentier pour manger mes sandwiches, puis continue par une descente assez raide jusqu'au grand village de Chézard (764 m), dans le Val de Ruz. Je marche depuis un peu moins de quatre heures : c’est comme je pensais, le topo-guide a sérieusement surestimé le temps requis. J’ai une demi-heure d’avance sans jamais avoir forcé le tempo.

Le Val de Ruz est très différent du vallon de St-Imier. Alors que ce dernier est plutôt étroit et vallonné, le Val de Ruz est large et son fond est complètement plat. Les villes et villages du vallon de St. Imier vivent de l'horlogerie et de l'industrie légère, tandis que le Val de Ruz est essentiellement agricole, avec des villages qui se sont transformés en petites villes dortoirs chics pour ceux qui travaillent à Neuchâtel. Je traverse le fond de la vallée sur une piste dure, en remarquant pour la première fois que l'après-midi est devenu vraiment chaud. Il faut encore supporter du goudron pour traverser le village d'Engollon, puis pour descendre jusqu’au Seyon qui se jette dans le lac de Neuchâtel et remonter jusqu’au bord de la forêt au-dessus de Vilars. J'ai soif maintenant : pensant trouver de l’eau potable en abondance dans les villages, je n'ai pris qu’une seule gourde d'un litre avec moi. Mais les choses semblent avoir changé : alors qu'il y a dix ans, tous les villages disposaient de fontaines où on pouvait boire, celles-ci arborent toutes désormais l’indication Eau non potable. Qualité de l’eau qui s’est détériorée ou règlement devenu plus strict ?

La traversée du Val de Ruz se termine à la vieille église en pierre qui se dresse joliment au-dessus du village de Fenin. De là, il ne faut plus qu’une heure de marche pour rejoindre Neuchâtel. Une petite montée mène aux Trois Bornes (842 m), où il y a effectivement… quatre grandes bornes en pierre.

Il ne reste plus qu’à descendre sur Neuchâtel et son lac. Revenir à Neuchâtel a toujours quelque chose de nostalgique pour moi : c’est ici que j’ai vécu en arrivant en Suisse, c’est ici que je suis resté pendant treize ans, jusqu'à ce que mon employeur de l’époque se rende compte que pour le prix d’un employé en Suisse, il pouvait en avoir quatre à Singapour... En descendant vers Neuchâtel, j'ai l'impression de rentrer chez moi : d'autant plus qu’aujourd'hui est le vingtième anniversaire, presque jour pour jour, de mon arrivée en Suisse en avril 1998.

La ville et le lac restent bien cachés jusqu'à la toute fin de la randonnée : je descends par la forêt de Pierre-à-Bot, marche le long de la route étroite qui mène au jardin botanique ... et puis voilà, d’un seul coup, toute l'étendue du lac en face de moi, avec les Alpes perdues dans la brume au fond et les toits, les flèches et les tours de la vieille ville au premier plan. Je longe la rue de la Côte, descends l’escalier jusqu’à  la gare... et arrive deux minutes trop tard pour le train de 16h23. Peu importe : la fin d’après-midi est chaude et ensoleillée, la terrasse du bistrot de la gare est accueillante, la bière est fraîche… la vie est juste parfaite.

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