Sur le Chemin panorama alpin : Quatorzième étape, de Lucerne à Wolhusen

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Dans son livre  Promenons-nous dans les bois (A Walk in the Woods en version originale), Bill Bryson s'étonne de découvrir que le sentier de randonnée qui passe en bordure de la petite ville où il habite est en fait l'Appalachian Trail, long de quelques 3,000 kilomètres. Le Chemin panorama alpin n'est certes pas aussi long (et il y a beaucoup moins d'ours et de pumas), mais l'idée de pouvoir rejoindre un itinéraire de grande randonnée en moins de cinq minutes en sortant simplement de chez moi est plutôt plaisante.

Sans train ni bus à prendre il n'y a aucune pression pour me faire sortir du lit et, par conséquent, ce n'est qu'à l'heure honteuse de dix heures que je quitte enfin mon appartement. Dehors, l'air est doux et le ciel est bleu. L'hiver n'a pas été rude, loin s'en faut, mais les trois dernières semaines ont été grises et froides, et la météo printanière de ce samedi est vraiment bienvenue.

Dans le topo-guide officiel de l'itinéraire national No. 3, le tronçon Lucerne-Wolhusen est découpé en deux étapes plutôt courtes. Cela me paraît toutefois largement faisable en une fois, d'autant plus que les temps de marche donnés dans le guide ont tendance à être surestimés. L'itinéraire quitte Lucerne en grimpant sur le Sonnenberg, une colline boisée qui culmine à 800 mètres juste au-dessus de la ville.  Je remonte la Berglistrasse qui serpente entre de grandes et belles maisons, jouissant toutes d'une vue magnifique sur le Rigi vers l'est, probablement plus enneigé maintenant qu'à tout autre moment de cet hiver. Je poursuis par une large piste forestière, croisant de nombreuses personnes qui font leur jogging matinal ou se promènent tout simplement dans les bois, un peu comme Bill…  Quelque part dans les arbres un pigeon roucoule et le marteau piqueur d'un pivert lui répond. A 600 mètres je sors de la forêt : à cet endroit, par temps clair, le Pilatus apparaît soudainement, massif et impressionnant. Mais il y a une brume épaisse ce matin et les précipices enneigés de la montagne sont à peine visibles.  

Je passe le point culminant du Sonnenberg et m'engage dans la descente vers la gorge du Ränggloch. Une série sans fin de marches en rondins de bois descend en lacets jusqu'à la route Kriens-Malters, puis continue jusqu'à une passerelle qui enjambe la gorge, juste à l'endroit où le torrent plonge entre de hautes parois verticales et très rapprochées. Il se passe des choses étranges dans le Ränggloch… suspendue au-dessus de la gorge se trouve une échelle haute et très frêle. Impossible de dire si elle sert à quelque chose ou s'il s'agit d'une quelconque installation artistique. Le Ränggloch semble aussi inciter les gens à se déshabiller et à oublier leurs vêtements : juste au-dessus de la gorge, une polaire grise à capuche est pendue à une branche. Cinquante mètres plus loin, une autre branche est décorée d'un bonnet en laine bleue, avec un gros pompon.

Quittant le Ränggloch, le sentier s'engage dans la large vallée de la Kleine Emme, que je suivrai maintenant pendant un peu plus de trois heures jusqu'à Wolhusen. Je suis un sentier gras et glissant à travers des pâturages gras  jusqu'au hameau de Blatten (477 m), dans le fond de la vallée. Devant la jolie église blanche, un panneau m'informe que je me trouve sur le Liebesweg, un parcours en boucle au thème de l'amour et du couple. Le panneau m'invite à parcourir l'itinéraire avec ma compagne et de réfléchir ensemble à notre couple. N'ayant pas de compagne à portée de main, je poursuis mon chemin tout seul avec mes pensées…

La suite de l'itinéraire se contente de suivre la rive sud de la Kleine Emme. Le parcours n'est guère paisible, en raison de la route bruyante et passagère qui suit la rive opposée. Je me demande pourquoi les concepteurs du Chemin panorama alpin l'ont fait passer par ici plutôt que de suivre la crête jusqu'à Schwarzenberg, sur le côté gauche de la vallée. Il doit y avoir de belles vues sur le Pilatus depuis là-haut, alors que le parcours de fond de vallée n'offre aucun panorama alpin. En faisant l'étape deux ou trois semaines plus tard j'aurais certainement pris cette variante, mais les collines sont encore bien recouvertes de neige et j'ai donc décidé de rester en bas. Je continue en direction de Malters, m'arrêtant au bord de la rivière pour manger mes sandwiches : pause peu satisfaisante en raison du bruit de la route sur l'autre rive.

Comme le sentier lui-même n'est pas particulièrement intéressante et qu'il n'y a pas grand-chose à voir, ce sont les petits détails d'à côté qui retiennent mon attention. A Malters, toutes sortes te tâches printanières sont en cours d'exécution : nettoyage de vélos, ratissage de feuilles sur les terrasses, taille d'arbustes. A la sortie du village, près d'un champ de tir, un grand groupe d'adolescents fait une grillade. En passant, je suis surpris de constater qu'ils discutent en anglais, et me demande ce que vingt ados anglophones seraient venus chercher à Malters. Je passe devant une petite maison bien cachée derrière un haut mur d'enceinte. Devant l'entrée se trouvent plusieurs statues en pierre représentant de gros chiens façon Droopy. Un panneau "Bienvenue" est attaché au portail fermé… mais personne n'a prévenu le gros chien tout à fait vivant qui se trouve derrière le portail et qui grogne et aboie d'une manière qui ne semble pas vouloir accueillir les visiteurs. Sur la rive d'en face, la route est toujours là, mais la circulation est devenue moins dense et moins bruyante.  

A Ettisbüel, la Kleine Emme s'élargit et se fait rejoindre par un torrent latéral. Il y a eu de gros travaux de protection contre les inondations ici, avec des rangées de poteaux métalliques de 5 mètres de haut pour arrêter les rochers et troncs d'arbres et des signaux lumineux pour interdire le passage en cas de remontée des eaux. Le torrent est minuscule et tout paisible aujourd'hui, mais la vallée de la Kleine Emme est sujette à des montées rapides du niveau de la rivière après des orages en montagne, et a souvent subi de gros dégâts. Un kilomètre plus loin, vers le village de Schachen, un cabanon est décoré d'une collection impressionnante de quincaillerie de toutes sortes : roues de vélo, casseroles, boilles, vieux outils. Derrière moi, la brume s'est dissipée et le Pilatus s'est enfin révélé, blanc et massif au-dessus d'alpages verts.

Au-delà de Schachen la vallée devient plus étroite. Ses côtés se resserrent et s'élèvent, hauts et rocheux, alors que la rivière se fait plus sauvage et coule plus vite. Je suis une piste boueuse sous des falaises humides d'où tombent des gouttes… puis, tout d'un coup devant moi, voici le moment fort de l'étape. De manière compétemment inattendue, l'abbaye de Werthenstein apparaît sur un promontoire rocheux au-dessus de la rivière. Avec ses murs blancs, ses toits rouges et ses tourelles multiples, elle ressemble à l'un de ces châteaux fous construits par Louis II de Bavière. Une petite route monte jusqu'à l'abbaye ; je vais jeter un coup d'œil à l'intérieur et cela vaut le coup, c'est un joli ensemble architectural avec un cloître autour de l'église centrale. En dessous, un pont couvert me fait passer sur la rive nord de la Kleine Emme pour la première fois.

Il ne me reste qu'une demi-heure de marche jusqu'à la gare de Wolhusen, destination finale de l'étape. Cette dernière partie est entièrement sur route goudronnée et est dépourvue d'intérêt. En plus, je loupe le balisage et dois terminer en descendant vers Wolhusen le long de la route cantonale, étroite et sans trottoir… ce n'est pas une fin idéale.

Maintenant, je devrai probablement interrompre mon Chemin panorama alpin pendant un mois ou deux. Les deux prochaines étapes traversent le massif du Napf, qui culmine à plus de 1400 mètres. C'est l'un des passages les plus élevés de tout le parcours et, pour l'instant, il doit encore y avoir une bonne quantité de neige. Je devrai donc rechercher d'autres parcours en attendant que le printemps arrive pour de bon.

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