De Saas-Fee à Arolla sur le Chemin des cols alpins : J5, de Grimentz à la cabane des Becs de Bosson

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J'ai une grande feuille Excel qui répertorie toutes les randonnées que j'ai faites depuis mon arrivée en Suisse au printemps 1998. Il contient près de 800 entrées et mentionne, pour chaque randonnée, le point de départ et d'arrivée, les noms des cols franchis ou des sommets péniblement atteints et, bien sûr, les dénivelés. Outre le fait que l’existence de cette feuille me qualifie probablement de personnage triste, il est intéressant de noter qu'avec seulement 65 mètres de dénivelé négatif, cette étape du chemin national No. 6 entre sans problème dans le top 20 de mes randonnées qui descendent le moins ! 

Nous pourrions nous épargner 500 mètres de montée en prenant les œufs de Grimentz à Bendolla, et j’imagine que beaucoup le font. Mais cela rendrait l'étape vraiment très courte et le temps semble être au beau fixe, alors nous décidons de faire toute la montée à pied. Le sentier quitte Grimentz juste à côté de la station inférieure de la télécabine (1600 m), et pendant la première demi-heure environ, il monte à côté des pylônes. Ce passage est peu intéressant et très raide, car le sentier grimpe tout droit dans la pente. Sur notre gauche, au-dessus du village tout un quartier de grands chalets est en train d’émerger de terre : Grimentz est en plein expansion vers le haut.

Au-dessus des 1700 mètres, le sentier bifurque vers la droite et s'éloigne des télécabines. Il devient aussi un peu moins raide, faisant des lacets pour atténuer la pente. À 1877 mètres, nous arrivons devant une petite chapelle blanche, où se trouvent également une aire de barbecue bien équipée et un joli point de vue : ainsi, on peut prier, admirer le coucher du soleil et faire griller une petite saucisse en même temps. Au-dessus de la chapelle, le sentier continue en forêt, très raide par endroits. Une trouée dans les arbres offre une vue vers le lac de Moiry et son barrage, avec le grand glacier de Moiry en arrière-plan.

C'est le genre de sentier qui permet de prendre rapidement de l'altitude, et nous atteignons Bendolla (2128 m) en un peu plus d'une heure et quart. Avec des télécabines et les télésièges qui arrivent de plusieurs directions, ce n’est pas le plus bel endroit du Val d’Anniviers et nous ne nous y attardons pas. Pendant les 40 minutes qui suivent, le paysage est un peu gâché par les infrastructures liées au ski, et nous marchons sur une piste caillouteuse et sans intérêt. Un tracteur redescend la piste vers nous, tirant une grande remorque et conduit par un garçon qui ne doit pas avoir plus de 12 ans.

Nous laissons le domaine skiable derrière nous aux Crêts (2317 m), et la suite est beaucoup plus sauvage. Sur un sentier étroit, nous contournons une vallée latérale, traversons un torrent et montons le long des pentes escarpés qui descendent de la pointe de Lona. La terre cède la place au rocher au fur et à mesure que nous montons. En regardant les barres rocheuses qui semblent barrer notre route, je me dis qu'il y aura des passages difficiles, mais le sentier trouve toujours un moyen de se faufiler au-dessus, en dessous ou autour des endroits les plus raides. Il y a quand même pas mal de grandes marches où la longueur des jambes peut constituer un avantage. Une courte rampe métallique fixée à la paroi rocheuse marque la fin des passages raides : juste au-dessus, nous émergeons très soudainement dans une grande vallée d’alpage beaucoup plus plat et herbeux, à une altitude d'environ 2700 mètres.

Depuis notre départ de Grimentz, nous sommes montés de 1100 mètres en trois heures et demie environ : il est temps de faire une pause et de manger quelque chose. Les endroits propices sont nombreux : au-dessus du sentier, des creux et des bosses herbeux permettent de trouver facilement un endroit bien exposé au soleil, à l’abri du vent frisquet, et offrant en plus un joli panorama. Il faut dire que la vue vers l'est est superbe, dominée par le Weisshorn, même si quelques nuages tenaces s’accrochent à son sommet. Nous prolongeons notre pause par une longue sieste : ce sera la dernière de nos vacances, mais nous ne le savons pas encore. 

Peu avant 14 heures, après une bonne heure de pause, nous repartons. Sur un sentier beaucoup plus facile maintenant, nous continuons à travers l’alpage vers le chalet isolé de Lona (2667 m), avec un petit lac (sans nom sur la carte) en contrebas sur notre gauche. Plus haut, un autre lac plus grand apparaît dans un creux à gauche du sentier : celui-ci est le lac de Lona. Au-dessus, sur notre droite, les Becs de Bosson apparaissent comme une crête jonchée de multiples tours pointues, justifiant pleinement leur appellation.

Une demi-heure plus tard, nous atteignons le Pas de Lona (2788 m), l'un des cols entre le val d'Anniviers et le val d'Hérens. Le col est un vaste plateau caillouteux et herbeux qui, comme c’est souvent le cas des cols, semble attirer le vent vers lui. Nous n'avons eu qu’une brise fraîche pendant la montée, mais au col le vent est tempêtueux, m'obligeant à tenir mon chapeau pour qu’il ne s’envole pas. La cabane est visible au-dessus et paraît tout près, mais il nous faudra encore une quarantaine de minutes pour y arriver. Heureusement, nous avons le vent dans le dos, ce qui facilite la montée. Le sentier grimpe sur une crête basse, puis descend jusqu'à un petit lac (les 65 mètres de descente, on les trouve essentiellement ici). La montée finale vers la cabane est raide et rocheuse, avec plusieurs sections équipées de chaînes. A la montée il n’y a aucune difficulté, mais en descendant par temps humide et rocher glissant, j’imagine qu’on est content de la présence de ces chaînes. 
Il est encore tôt, nous aurions aimé passer une heure ou deux assis à la terrasse devant la cabane avec une bière, un carnet de croquis et le panorama époustouflant. Mais le vent souffle très fort et il fait froid : les seules personnes assises dehors sont emmitouflées dans des doudounes et des bonnets de laine. Nous passons les heures avant le souper à l'intérieur donc.

J'ai déjà dormi à la cabane des Becs de Bosson (2982 m), et j'ai le souvenir d'un endroit très sommaire, avec des toilettes extérieures, aucun endroit pour se laver les dents, et des espaces exigus. Mais les choses ont changé : la cabane a été rénovée et agrandie en 2012, et bien que les fameuses toilettes extérieures existent encore, elles ne servent plus, ayant été remplacées par des sanitaires modernes à l’intérieur. Une grande baie vitrée a été ajoutée, offrant une vue magnifique sur les sommets du Val d'Anniviers, s’étendant du Weisshorn à la Dent Blanche. La cabane est pleine à craquer, mais notre dortoir de 8 lits est spacieux. Pour le souper (soupe, salade et un très bon curry au poulet et à l'ananas), nous nous retrouvons à une table où, par hasard, tous les médecins en vacances dans le canton du Valais semblent avoir atterri en même temps. Il y a un couple d'orthopédistes suédois qui vivent en Australie, une jeune Bernoise qui fait des consultations de télémédecine, et une autre qui termine un stage d’orthopédie dans un des hôpitaux de Lucerne mais qui n’est pas venue avec les autres orthopédistes. Heureusement, la conversation à table est autant orientée montagne qu’orthopédie !

Pendant la nuit, le vent secoue constamment la cabane, sifflant autour de la fenêtre du dortoir qui, heureusement, est restée entrouverte. Personne ne ronfle, et le matelas et l'oreiller sont probablement les meilleurs que j'aie jamais eus dans un refuge de montagne. Je dors remarquablement bien.

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