Piz Badile, face NE : Voie Cassin

Une voie légendaire à travers le bouclier de dalles de la face NE du Piz Badile, haute de 800m de haut, ouverte en 1937 par le mythique Ricardo Cassin. 2 des 4 protagonistes étaient morts de froid et d'épuisement dans la tempête après 2 bivouacs...l'ambiance a bien changé aujourd'hui, en choisissant son jour on y grimpe en chaussons et au soleil...mais cela reste quand-même une entreprise d'envergure. Pas sûr de refaire souvent des choses pareilles à l'avenir ! C'était ma 3ème grande voie Cassin après la Torre Trieste et la Cima Ovest di Lavaredo, ce sera sans doute aussi la dernière, il grimpait vraiment trop fort il y a 80 ans l'animal...

Le meilleur topo est sans doute celui de Marcel Dettling, mais la description sur camptocamp est également assez détaillée.

On avait gravi l'éperon nord avec Agnès et des amis brésiliens il y a 23 ans (sigh), la Cassin restait depuis un vieux rêve pour moi  - que j'avais pourtant fini par mettre aux oubliettes : trop dur, trop long, trop vieux, trop peureux, trop de monde...jusqu'au moment ou Matthias m'a réinjecté le virus. Ayant réussi à bien grimper ensemble cet été en passant entre les gouttes, c'était sans doute l'occasion ou jamais. Tout a déjà été dit sur cette grande voie, effectivement magnifique sur un rocher quasi-parfait, qui zigzague avec une rare intelligence dans cette paroi d'allure compacte. Malgré tout peu de traversées anxiogènes pour les seconds émotifs, à l'exception du 5c+ de la 5ème longueur...et aussi de la fissure quasi horizontale qui suit le diédre Rébuffat que j'ai trouvé assez fine pour un IV. Mais bon vu l'enjeu j'ai réussi à débrancher le cerveau et à ne pas faire le difficile.

La notoriété de la voie attire évidemment des cordées du monde entier - bon en temps de Covid on se contentera de l'Europe entière...au menu du jour des Catalans, des Slovènes, des Italiens (quand même !), et même des Romands. J'ai pu pratiquer avec bonheur mes langues aux relais. Les Slovènes se sont bien bidonnés quand je leur ai épelé ma litanie d'expressions ordurières en serbo-croate (pushi kouratz, idi ou pitchkou materinou, iebi ga, etc...c'est du lourd, pas juste du pipi-caca...) - c'est hélas presque tout ce que j'ai retenu de mes mois de révisions avant de skier au Montenegro l'an passé.

Autre anecdote amusante : on a croisé au refuge le célèbre Filip Babicz qui s'amusait à parcourir l'éperon nord décordé en aller-retour depuis plusieurs jours afin d'établir un record de vitesse - il en était à 1h30 de montée mais espérait bien passer sous l'heure une fois la paroi bien sèche ! No comment...

Bref calmé pour quelques temps, fin de la saison plutôt en mode rando - no brainer pour moi, d'autant plus qu'Agnès a récupéré de son osteotomie du genou plus vite que prévu.

Conditions du jour : il reste quelques névés évitables entre le Viäl et la brèche au pied de l'éperon nord, la vire d'accès est ensuite libre de neige. On peut donc se passer de piolet/crampons, voire même se contenter de chaussures basses avec un peu d'aisance. Un orage apocalyptique avait déposé 40cm de billes de grêle le lundi précédent, dont on trouvait encore quelques traces sur les vires et dans les cheminées : un peu d'humidité dans la fissure du dièdre Rébuffat, et surtout des cheminées de sortie complètement trempées. Déjà que c'est laborieux en temps normal, là c'était un peu le combat, Matthias a même préféré oter son sac !

Très peu d'équipement jusqu'à la vire médiane, même si les relais sont spittés. On trouve un peu plus de (vieux) pitons ensuite, mais la voie se protège quand-même largement sur coinceurs avec une bonne marge requise pour le leader : si la ligne générale est assez claire avec un bon topo, les passages dalleux se négocient pas mal à vue sans itinéraire évident. Bon à contrario le monde présent ce jour-là (7 cordées, on était la 6ème...faut dire que presque tous les autres avaient bivouaqué au dessus du refuge !)  facilite un peu les choses...au prix de pas mal d'attente à quelques relais : 20mn avant le 5c+ du bas, 35mn sur la vire médiane, encore 20mn au pied des cheminées...cela dit il faisait beau et chaud, sans vent ni risque orageux, donc ça permettait de profiter du paysage sans stresser. On a pris le soleil avant 8h du matin au dessus du Dièdre Rébuffat pour le quitter vers 12h45 : les cumulus étaient bien synchrones avec le passage à l'ombre.

On est descendus par la voie classique (donc pas par les nouveaux rappels), en cherchant un peu plus que prévu : très peu de cairns, traces de peinture quasi effacés...généralement ne pas trop se laisser entrainer à droite, les rings sont souvent proches du couloir central - et la vire de droite menant à la croix est vraiment presque tout en bas. Aucun rappel ne dépasse les 25m, et seuls 2 sont vraiment obligatoires. La sente à travers le pierrier ramenant à Gianetti est ensuite bien cairnée et assez confortable.

Météo : vendredi assez beau mais lourd avec les sommets dans les cumulus, restant toutefois sec. Samedi grand beau doux (0° à 4000m) et sans vent avec cumulus/brouillard en cours d'après-midi, jamais menaçants. Dimanche : couvert puis averses dès 10h30, se redégageant ensuite.

Accès : j'étais allé dormir à Monza l'avant-veille jeudi soir (4h de train de Berne via Lucerne - Lugano, 17h --> 21h10), Matthias m'a voituré vendredi matin jusqu'à Bondo (on a pris la dernière place du parking du haut...). Au retour, après avoir dormi à Gianetti samedi soir, nous n'avons pas eu le courage de rentrer par les cols, donc taxi (à réserver auprès du gardien) jusqu'à Bondo. 1h30 / 200 € (ouille) / 6 places. J'avais essayé en vain de trouver d'autres candidats au refuge...Matthias m'a redéposé dimanche à Monza : glace XXXXL, puis train de 14h53 --> Lugano --> Lucerne --> Berne 19h.

Hébergement : super accueil à Sasc Füra, pour l'accès c'est une petite aventure en soi si on opte comme nous pour le raccourci clandestin par le Val Bondasca (mais chhhuuut...). Idem à Gianetti samedi soir ou j'ai eu le plaisir de retrouver Mimmo (68 ans), le gardien historique des lieux, 10 ans après une douloureuse épopée sur la Punta Torelli. Les 2 refuges étaient complets mais seulement pleins aux 2/3 suite aux restrictions sanitaires, ce qui est finalement assez agréable. Dans les 2 cas, les gardiens servent à manger bien après l'heure officielle à ceux qui redescendent tard du Badile...

Horaire : la veille montée à Sasc Füra depuis Bondo en 3h par le sentier historique. Samedi départ à 4h20, attaque 7h, sortie sur l'éperon nord 15h (dont > 1h de perdue dans les bouchons), sommet 15h40 / 16h, Gianetti 18h30. Dimanche matin descente aux Bagni di Masino en 2h30.

Participants : Matthias D (guide) et moi