Du nord au sud : Dix-neuvième étape, de Realp au col du Gothard

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Depuis Andermatt, le Trans Swiss Trail monte au col du Gothard, puis redescend sur Airolo avant de filer vers le sud en direction de Bellinzona, de Lugano et de sa destination finale à Mendrisio. Cette étape nous fera quitter la Suisse alémanique pour le Tessin : la fin de ma traversée nord-sud commence à se rapprocher sérieusement. L'étape du jour servira aussi de mise en jambes avant nos vacances d'été : après-demain, nous partons pour 15 jours de randonnée dans le sud de la France et nous sommes à court d'entraînement.

L'itinéraire national No. 2 se contente de suivre la route du Gothard entre Andermatt et Airolo. J'ai déjà trop marché le long des routes depuis quelques étapes, il nous faut absolument une alternative. Pourquoi ne pas passer par la Gatscholalücke et les lacs qui se trouvent sur son versant tessinois, au lieu de suivre bêtement le chemin le plus direct ? Nous trichons donc un peu et, au lieu de commencer à marcher à Andermatt, nous restons dans le train jusqu'à Realp. Nous n'aurons probablement pas assez de temps pour aller jusqu'à Airolo, mais il y a un bus depuis le col du Gothard à 18 heures, nous l'aurons sans aucun problème...

La partie la plus raide de la randonnée vient dès le début. Depuis la gare de Realp (1537 m), un chemin de terre durcie par le soleil et la sécheresse monte tout droit dans la pente, avec peu de lacets pour en atténuer la raideur. De l'autre côté de la vallée, nous entendons les motos et les voitures qui gravissent lentement les épingles à de la route de la Furka, mais leur bruit n'est qu'un bourdonnement lointain, pas trop envahissant. Cette montée initiale nous prend près de deux heures.

Nous atteignons un replat à 2187 mètres, où il y a une cabane en pierre et un grand troupeau de moutons dans un enclos autour d'une butte herbeuse. Il y en a des centaines et ils sont de toutes les couleurs, formes et tailles : ça va du bélier imposant à l’agneau qui gambade sur des pattes encore frêles. Alors que nous regardons le troupeau en nous moquant gentiment du bêlement un peu rouillé de l'une des brebis,  il se passe quelque chose d’inhabituel : les moutons commencent tous à se ruer vers nous en bêlant furieusement, ne s’arrêtant qu'à la clôture, juste devant nous. J'ai déjà été chargé par de jeunes vaches en montagne, mais je n'avais jamais observé un tel comportement chez les moutons. Agressivité, curiosité ou simple mouvement de masse, je n'ai aucune idée.

Le sentier passe au milieu de l'enclos des moutons mais, un peu refroidis par le comportement des animaux, nous contournons le troupeau par au-dessus, crapahutant dans la pente herbeuse raide pour redescendre ensuite sur le chemin balisé. C'est ici que je fais une erreur basique de lecture de carte. Si j'avais regardé plus attentivement, j'aurais vu que le sentier vire brusquement à gauche quelques centaines de mètres après l'enclos, pour reprendre sa montée. Mais au lieu de faire attention à la carte, je continue tout droit en suivant un sentier bien tracé, je n'ai même pas vu de bifurcation. Ce n'est que vingt minutes plus tard que je commence à me demander si nous ne faisons pas fausse route : le sentier bien marqué s'est transformé en sente difficile à suivre et il n'y a plus de balisage. La confirmation vient lorsque la trace de sentier commence à descendre alors qu'il devrait monter : je ms suis trompé.

Nous revenons sur nos pas jusqu'au dernier endroit où nous étions certains d'être sur le bon chemin, avant de faire une pause pour manger et décider de la suite de notre journée. Nous avons perdu presque heure, je ne suis loin d'être certain que nous arriverons à temps au col du Gothard. Je prends la décision de redescendre à Realp : au moins, nous aurons fait quelques centaines de mètres de dénivelée en vue de la préparation pour les vacances. C'est à ce moment précis que je vois le sentier que nous aurions dû suivre. Difficile de comprendre comment j'ai pu me tromper : le balisage est clair comme de l'eau de roche, il y a des marques blanc-rouge-blanc partout, tous les 20 mètres. Après une consultation rapide de l'app CFF et des temps de marche indiqués sur les panneaux, nous revenons sur notre décision de rebrousser chemin et prenons la direction de la Gatscholalücke et du Gothard. Ce sera quand même serré et, si nous loupons le dernier bus au col et devons descendre à pied jusqu'à Airolo, nous aurons toutes les chances de louper le dernier train aussi et de devoir passer la nuit au Tessin.

La montée est assez raide au début, puis se poursuit plus doucement à flanc de montagne, pour aboutir sans problème au large col de la Gatscholalücke (2527 m), où nous passons au Tessin. Nous sommes à peu près dans les temps : au col, les panneaux indiquent 2 heures 10 minutes de marche jusqu'au Gothard, alors qu'il nous reste juste deux heures avant le bus. Devant nous, en contrebas, toute une série de lacs scintillent sous le ciel bleu et le soleil de l'après-midi.

Nous descendons du côté est du col, d'abord à travers une grande étendue de neige, vers le Lago d'Orsirora (2442 m), puis continuons vers le Lago d'Orsino (2284 m) en forme de poire. Entre les deux lacs, un raidillon pas très confortable dans un ravin humide et schisteux nous oblige à ralentir beaucoup trop à mon goût. A nouveau en terrain plus facile, nous contournons au-dessus de la rive nord du lac, qui est baigné par une magnifique lumière de fin d’après-midi. 

Au-delà du lago d'Orsino, le sentier devient à nouveau plus raide. Nous aimerions aller plus vite, mais il ne faut pas prendre de risque : une cheville tordue serait désastreuse juste avant de partir en vacances. Nous pouvons entendre la circulation sur la route du Gothard, nous ne devons plus être très loin du but… je suis donc déçu lorsqu'un panneau nous indique encore 45 minutes de marche jusqu'au col. Le bus part dans une demi-heure, nous n'y arriverons jamais. Le sentier recommence même à reprendre de l'altitude, devenant brièvement étroit et rocheux avant de déboucher sur une large piste caillouteuse. Nous pouvons enfin forcer le pas pour essayer de grignoter sur le temps indiqué. La piste nous amène au barrage du Lago di Lucendro, puis descend par quelques lacets et se transforme en route goudronnée. Le brouillard remonte rapidement depuis la vallée et nous engloutit juste avant que nous atteignons la route principale : il est 18 heures précises. Mai où se trouve l'arrêt de bus ? Impossible de savoir en raison du brouillard, mais à mon avis nous sommes encore à cinq ou dix minutes du haut du col : il faut espérer que le bus ne sera pas trop à l'heure.  

Nous traversons la route pour marcher du côté où le bus arrivera : qui sait, peut-être que le chauffeur s'arrêtera si nous lui faisons signe. Sinon, selon les panneaux, nous devrons encore marcher deux heures et demie jusqu'à Airolo. Cela ne me fait pas rire : je sens qu'une ampoule se forme sous l'un de mes gros orteils et que cela ne s'arrangera pas si nous devons encore descendre pendant deux heures. Mais la chance est avec nous : le car postal émerge du brouillard et se rapproche. Nous faisons signe au chauffeur, pensons brièvement qu'il va passer sans s'arrêter… mais le bus s'arrête et une demi-heure plus tard, nous sommes de retour à Andermatt. Alors que je commençais à me dire que nous allions devoir passer la nuit à Airolo, nous serons même de retour à Lucerne pour le souper !

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