Le long du Zugersee, de Hünenberg à Immensee

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L'été indien n'a pas duré bien longtemps cette année, laissant sa place à un régime de jours ouvrables gris et de week-ends humides. Ce dimanche matin ne fait pas exception à la règle : le temps n'incite qu'à traîner sous les couvertures, à déjeuner tard et à regarder du foot à la télévision. Pourtant, vers midi le ciel semble vouloir s'éclaircir un peu ; il ne pleut plus et là-bas vers le sud, il y a même quelques indications que le ciel pourrait devenir au moins partiellement bleu.

Il est bien trop tard pour faire autre chose qu'une petite balade dominicale, mais à deux heures, je prends le S-Bahn jusqu'à Chämleten, avec l'intention de marcher tranquillement jusqu'à Immensee, à quelques kilomètres au sud. Je débute la randonnée en territoire bien connu : je passe souvent par ici à vélo quand il fait beau, en allant travailler le matin. Mais à pied, on voit le paysage de manière différente ; les petits détails des maisons, des jardins, des clôtures et des champs sont davantage en évidence quand on n'a pas le nez dans le guidon. Je suis loin d'être seul sur la petite route que je suis : il y a des marcheurs, des joggeurs, des cyclistes, des marcheurs avec poussette, des marcheurs nordiques avec chien mais sans poussette…  il y a même une dame qui promène son chien à vélo, bien installé dans un panier fixé au guidon.

Le ciel essaie vaillamment de se dégager pour de bon, il y a maintenant pas mal de ciel bleu vers le sud et le soleil a fait son apparition. Mais au nord, au-dessus de Zug, ça reste bien bouché, les immeubles très blancs contre un arrière-plan noir et menaçant. Le Rigi a réussi – très provisoirement - à sortir sa tête des nuages. La petite route serpente entre champs et bosquets, montant et descendant doucement, maintenue à l'écart des rives du lac par des propriétés privées. Au village de Buonas, une autre petite route permet d'accéder à l'embarcadère et à la plage, les vieilles cabines en bois de cette dernière désertées à cette saison. Sur sa péninsule, le vieux château de Buonas est juste visible entre les arbres qui bordent l'eau.

L'itinéraire fait à présent un détour vers l'ouest pour éviter la péninsule, à laquelle il n'y a pas d'accès public, et la route principale. Je monte entre des maisons cossues et des jardins où tout est impeccablement bien entretenu. Buonas et le village avoisinant de Risch font partie des endroits les plus recherchés et les plus chers de la région, et cela se voit. Mais il manque quelque chose… où sont les gens ? Le soleil brille maintenant, pourtant il n'y a pas un enfant qui joue au foot dans la rue, personne ne discute avec le voisin par-dessus la haie du jardin. A la dernière maison avant la sortie du village, le propriétaire a fixé au mure un vieux panneau de destination qui devait appartenir autrefois à un train de nuit. De Chiasso à Amsterdam sans changement…  combien d'années se sont écoulées depuis qu'on a pu faire ce trajet ? Je me souviens d'avoir fait Calais-Dijon une fois dans un train qui poursuivait sa route jusqu'à Venise, mais c'était avant l'époque des vols low cost.

La route cède sa place à une piste qui monte un peu, traverse une zone boisée, puis longe l'autoroute et la voie ferrée pendant un quart d'heure un peu bruyant. Le ciel s'est de nouveau assombri et le Rigi est reparti se cacher sous sa chape nuageuse. Maintenant c'est vers le nord qu'il y a quelques trouées bleues, mais je ne verrai plus le soleil avant ce soir. La route redescend vers le lac, passant entre des champs de maïs qui n'ont pas été moissonnés et qui semblent avoir laissés à l'abandon. Au hameau de Stockeri, une maison en bois est gravée d'une inscription : construite en 1695, restaurée en 19 quelque chose. Je m'arrête pour essayer d'identifier les parties "neuves" et "vieilles"…  et me fais surprendre par un chien qui sort à toute vitesse du porche d'entrée de la maison, où il était caché de vue. Il n'a pas l'air sympathique, avec une tête de pitbull mais des poils d'épagneul breton, et il aboie agressivement en m'arrivant dessus. Je crains pour mes mollets, le chien est visiblement à la recherche du nombre maximum de points bonus pour morsure de randonneur (seul le facteur apporte davantage de points), mais il s'arrête subitement à quelques centimètres de moi… pas par choix, il est enchaîné. Ouf, mes mollets peuvent respirer !

Je poursuis à travers champs, traverse la grande route à Landhaus et continue de descendre vers le bord du lac. Les maisons qui occupent la rive sont soit très anciennes, soit résolument modernes, toutes sont fort impressionnantes.  La vue depuis leurs jardins doit être magnifique. Mais je dépasse enfin la dernière maison et, à partir d'Itelfingen, peux moi aussi profiter du rivage et de la vue. Commence alors la partie la plus intéressante et sauvage de cette randonnée, sur un étroit chemin qui fait le tour de la péninsule boisée de Chiemen. Il n'y a plus de maisons à partir d'ici, seulement des arbres et des rochers, C'est étonnant, au milieu d'un paysage relativement urbanisé, que ce petit coin soit resté aussi sauvage, épargné un peu à la manière de l'Unter Nas sur le lac des Quatre Cantons. Le chemin sinueux se faufile entre racines, troncs d'arbre et rochers, descendant parfois jusqu'au bord même de l'eau, puis remontant pour passer au-dessus de falaises miniatures. Il y a quelques endroits où une glissade conduirait à une baignade imposée ; pas désagréable en plein été, à éviter par le temps qu'il fait aujourd'hui.

Le village d'Immensee, ma destination du jour, apparaît devant. C'est un drôle d'endroit : quelques vieilles maisons agglutinées autour du petit port, des villas luxueuses de part et autre le long des rives du lac… puis, bien au-dessus sur le flanc de la colline, un ensemble de villas-terrasse d'une laideur incroyable, plantées là au milieu de la verdure. Leur emplacement a sans doute été choisi pour la vue panoramique du lac…  mais la vue en question comprend également la voie ferrée, l'autoroute et une ligne haute tension. Bizarre.
Ce serait bien de pouvoir continuer et, un autre jour, transformer cette balade en étape d'un tour complet du Zugersee. Malheureusement, la suite de la rive ouest jusqu'à Arth est occupée par l'autoroute et la route cantonale, et la grande route qui longe toute la rive est enlèverait tout intérêt à une telle randonnée. Je prends le bus pour Goldau, puis le train jusqu'à Zug, terminant ma journée à pied. Il est six heures et demie, la nuit commence à tomber. Quelques derniers rayons de soleil illuminent un immeuble, blanc sur fond noir. On annonce de la neige à 800 mètres d'ici trois ou quatre jours ; l'été a définitivement vécu.