Punta Allievi : éperon Gervasutti

L'éperon Gervasutti à la Punta Allievi est l'un des voies légendaires de la Bregaglia italienne. 21 longueurs sur un granit exceptionnel, 8 heures d'escalade aventureuse sur un itinéraire assez peu équipé en dehors des longueurs clé. L'itinéraire figure dans Schweiz Plaisir sud (on se demande vraiment pourquoi !), dans le topo "Solo granito", sinon ici

Cap sur la Bregaglia pour ces 4 jours traditionnels avec notre guide bernois Daniel. On avait passé quelques moments difficiles 5 ans plus tôt sur l'Eperon Mauri au dessus du Rifugio Gianetti, j'avais aussi brûlé un gros joker à la descente du Monte Disgrazia encore 2 ans avant, bref le coin ne semble pas nous porter chance. On n'était donc qu'a moité surpris quand il a fallu sortir les parapluies pour finir la montée au refuge sous un véritable déluge. Cette Valtellina a beau être au sud, ne pas imaginer le climat des Ecrins, c'est plutôt la version lombarde de l'Appenzell à en juger par le vert dru des prairies et l'omniprésence des cascades.

Le journée a d'ailleurs bien mal commencé. Comme si les 6 à 8h d'escalade donnés par le topo ne suffisaient pas, nous avons commencé par perdre 1h20 en visant un relais abandonné situé sous le tracé de la voie. Avec déjà pas mal d'adrénaline brulée pour se sortir de ce mauvais pas. La suite est par contre de toute beauté, 21 longueurs rarement faciles (excepté les 2 longueurs pour contourner le 2ème doigt) sur un éperon parfois impressionnant. Le granit est d'une qualité exceptionnelle du haut en bas comme toujours dans la Bregaglia. Les 2 longueurs clé en 5c sont en fissure-cheminée, cotation à l'ancienne, bien plus dur que les 6a d'Ailefroide ou des Aiguilles Rouges à notre avis...ah non, c'est juste qu'on ne sait plus grimper en fissure aujourd'hui, c'est bien connu ! Par contre on y trouve quand même quelques pitons alors qu'ailleurs il n'y a vraiment pas grand chose en dehors des relais.

La descente n'est plus balisée de points rouges comme par le passé (on ne les voit plus), il y a juste quelques cairns aux endroits stratégiques. 2 passages exigent de mettre les mains et de faire attention mais pas besoin de remettre la corde.

Bref on a trouvé cette voie magnifique (c'est l'une des GV mythiques de la Bregaglia italienne avec l'éperon Vinci au Cengalo, plus dur et plus équipé) mais quand même plus sérieuse que ce que la cotation pourrait laisser croire (les 4 grimpent aussi !). A titre de comparaison, c'est un bon cran au dessus de l'arête sud des Salbit. Si c'est la classique la plus parcourue d'Allievi, je ne sais pas à quoi doit ressembler le reste ! D'ailleurs dès le lendemain nous échouerons à trouver l'attaque de l'éperon sud de la Punta Luigi Amadeo, pourtant spitté lui selon le gardien. Bon c'était dans la nebbia et on était encore sonnés par les 12h de la veille,  on n'a donc pas trop insisté avant de se replier sur le jardin d'escalade du refuge - le seul coin vraiment équipé du Val di Zocca.

Conditions du jour : Névé d'attaque bien présent, crampons alu ou grosses chaussures + petit piolet nécessaires ce matin là. Pas mal de neige à la descente, nous avons remis les crampons malgré la neige molle car la pente domine des dalles rocheuses mouillées. Pour le reste toujours très peu d'équipement dans la voie en dehors des quelques longueurs clé, on a passé pas mal de temps à chercher...Daniel (pourtant bien habitué au TA) disait qu'il s'était moins perdu dans la Face Nord de l'Eiger qu'ici ! Relais sur 2 pitons parfois à renforcer avec coinceur.

ATTENTION : l'attaque se fait bien du point le plus haut de la vire, il faut monter en diagonale à D (aucun équipement), ne pas se laisser attirer par un relais sur sangles et pitons 20m à droite à la même hauteur, c'est une impasse ! Bilan pour nous : 1 traversée délitée et expo dans les 2 sens (ponctuée de quelques hurlements d'Agnès) et une vaine recherche au dessus pour revenir au point de départ 1h20 plus tard...Autre piège : la dernière longueur en V ne part pas droit au dessus du relais dans la fissure off-width (comme indiqué sur les topos) mais 4m à D dans un système de cannelures.

Les longueurs initiales (sous la cheminée en 5c) étaient encore bien humides après la pluie de la veille, attendre 2 jours de beau si on veut vraiment toute la voie sèche.

A noter aussi l'absence totale de réception portable dans toute la vallée, refuge compris. Alerter les secours pourra donc s'avérer laborieux.

Météo du jour : Samedi ciel couvert, pluie forte et continue durant la dernière heure de montée au refuge. Dimanche grand beau très doux, cumulus un chouia menaçants avec bancs de brouillard en début d'après-midi puis à nouveau beau.

Refuge : Nous y étions quasiment seuls samedi soir et totalement seuls dimanche soir malgré le grand beau du dimanche. Le refuge est pourtant tout confort avec petits dortoirs, salle de séchage, toilettes/douche/eau chaude à chaque étage, excellents repas, il y a même une télé dans la cuisine ou nous avons pu suivre la 1ère mi-temps de France-Islande (avant de nous écrouler de sommeil)...Le gardien Antonello Fiorelli est un ancien traileur de haut niveau, également alpiniste chevronné, par contre prendre ses conseils avec des pincettes ("ma no, pas besoin de crampons"..."1h pour descendre du sommet"...) et multiplier les temps indiqués par 2 (ou 3).