(Quasi) Tour du Manaslu, version hivernale : 2ème partie, Samagaon - Larkhya Bazaar - Sama - Shyala

Grand classique du trek au Népal, le Tour du Manaslu offre des paysages somptueux s'étalant des bananiers de la basse vallée de la Budhi Gandaki, à 800m d'altitude, jusqu'aux impressionnants glaciers suspendus de la face nord du Manaslu (8163m). Tout comme deux ans plus tôt au Tibet, une grosse chute de neige nous a empêché de franchir le col du Larkhya La (5130m) et nous a contraint à faire 1/2 tour à 2.5 journées de l'arrivée...une petite frustration vite compensée par la beauté stupéfiante du Népal hivernal.

Nous avons par ailleurs bénéficié d'une météo quasi parfaite durant le séjour, 1.5 jours de mauvais temps sur 3 semaines...le hic c'est que cela a suffi pour déposer 60cm de neige fraiche dès 4000m d'altitude (et déjà 20cm à 3000m) ! Par contre le froid s'accentuait de jour en jour : sur le chemin du retour, alors qu'on perdait tout les jours 500m d'altitude, on a été obligé de garder les doudounes le soir quasiment jusqu'à Philim (1550m)...-10° au plus froid à Sumdo, +15° au plus chaud tout en bas, donc des conditions idéales pour marcher, avec du vent faible dans l'ensemble sauf le lendemain du passage de la dépression.

Les conditions de début décembre sont pourtant souvent favorables, le froid pinçant est en général compensé par un beau ciel bleu, il n'y a quasiment plus aucun touriste, et on profite encore des lodges juste avant leur fermeture hivernale. Entre la saison tardive et le Covid, nous croiserons moins de 10 trekkeurs occidentaux en 2 semaines, tous avaient fait 1/2 tour sous le col...idem à Kathmandou ou on ne voit quasiment pas un blanc, au grand dam des boutiquiers de Thamel...bref malgré nos mésaventures je persiste à penser que c'est le moment idéal pour venir ici, à fortiori pour ceux qui chérissent la solitude sur les sentiers !

Sur le plan pratique le voyage avait été organisé de main de maître par  notre vieux camarade Moritz Steinhilber, sans doute l'un des Européens connaissant le mieux les pays himalayens (Népal-Inde-Pakistan) où il vit 6 mois par an depuis 20 ans - et dont il parle toutes les langues mieux que moi (grrr...). Nous étions au total 5 Européens (CH + Allemagne), plus Banu et Abishek nos 2 porteurs...et enfin notre adorable Nabin : il nous avait accompagné en famille à Gosainkund en 2014 et à l'Annapurna en 2016, il a entre-temps passé son diplome de guide et pouvait donc profiter du paysage en mode light tout en courant de temps à autre devant pour commander le Dal Bhat de midi. Il a simplement regretté de ne pas revoir les enfants...eh oui, les congés universitaires ne cadrent hélas plus du tout avec la saison sèche au Népal, il faut se rendre à l'évidence que les grands voyages en famille appartiennent désormais au passé (sigh)...

Suite de la 1ère partie (temps de marche nets de pauses, mais à l'allure relax de vieux quinquas...)


Mercredi 8/12 : Samagaon (3530m) - Sumdo (3880m) - Larkhya Bazaar - Sumdo; 16k/+650m/6h



Départ sous un beau ciel bleu rafraichi par une bise pinçante, heureusement que le soleil arrive vite dans cette large plaine de Sama. La neige a disparu à 3500m mais pas de miracle on recommence à patauger dans la poudreuse comme la veille dès 3700m et ça passe tout juste sans guêtres pour arriver à Sumdo vers 11h30 au bout d'un peu moins de 3h. Long conciliabule entre Moritz et le patron du lodge, coup de fil improbable à une mamie du village...d'ou il ressort qu'il serait possible, en sautant un jour d'acclimatation, de faire ouvrir un des lodges de Dharamsala (4470m, juste sous le col) le lendemain soir - mais pas après. Ensuite la mamie en question file à Kathmandou pour le reste de l'hiver ! Et impossible de savoir si le 1er village de l'autre coté (Bimthang, 3830m) est encore habité ou non.



On rediscute entre nous pour le principe autour du Dal Bhaat de midi mais la messe est vite dite : tracer jusqu'aux genoux, le jour suivant, des kms de poudreuse à 5000m par -10° avec nos petites chaussures de trek c'est quand-même plus que joueur. En plus si on bute il faudra doubler les étapes dans le sens du retour (avec Agnès dont le genou râle encore de temps à autre), shunter la journée de repos à Bandipur, arriver juste à temps à Kathmandou pour le test PCR...bref stresser tout du long alors que (ben oui) on est quand même supposés être en vacances - quoiqu'en pensent, dubitatifs, la plupart de nos proches...Bref on signe le but d'emblée, ce qui permet de faire le retour jusqu'à Machhakhola sans courir et en profitant du beau temps désormais installé pour plusieurs semaines selon Météo Blue.



Moritz et Timo préférent du coup redescendre aussitôt dormir à Sama pour gagner quelques degrés. Agnès,  Michel et moi occupons l'après-midi à découvrir Sumdo, merveilleux village tibétain (même si le véritable Tibet est encore à 1 jour de marche) désormais assiégé par l'hiver. Copie du village d'origine situé juste de l'autre coté de la frontière, il a été fondé il y a 3 générations par des réfugiés ayant fui le Tibet devant les troupes de Mao. Leurs petits enfants ne désespèrent toujours pas de retrouver leurs vraies maisons...même si le gouvernement népalais fait de louables efforts pour préserver la culture tibétaine. Par exemple, dès 5 ans, les petits écoliers (car oui, il y a même une école primaire !) apprennent non seulement le népalais mais aussi le tibétain...et enfin l'anglais ! 3 langues et 3 alphabets (et pas des plus faciles, je sais de quoi je parle)...et dire que dans certains cantons de Suisse primitive on parle de supprimer le français obligatoire "pour ne pas stresser les élèves"...



Nous occupons l'après-midi à brasser un peu de neige en direction du col (comme prévu trace profonde dès qu'on passe à l'ombre), hélas pas de panthère des neiges en vue, on attendra le retour au cinéma...puis à divaguer entre les vieilles maisons du village, plongé dans un froid mordant sitôt le soleil disparu derrière l'impressionnant sommet juste au-dessus.





Les habitants rentrent leurs yaks, allument le poêle avec les bouses séchées, les enfants au joues rougies jouent dans la neige, il n'y a que moi pour frissonner sous mes 4 couches de fringues et ma doudoune high-tec...Nous passons aussi une heure entière dans la masure d'une mamie impayable qui nous a offert le thé avant d'initier Agnès à son métier a tisser vintage...pas facile de comprendre l'usage respectif des 4 pédales dans son sabir anglo-nepalo-tibetain mais quelle rigolade !





Soirée autour du poêle avec un groupe d'étudiants de Kathmandou débarqués d'on ne sait ou à la tombée de la nuit. Ils se posent moins de questions que nous et veulent tenter de tracer le col aidé par un muletier du village...bon ils ont tout le temps puisqu'ils ont pris congé de leur école privée "pour une durée indéterminée"...en attendant ils s'acclimatent à grand coup de gnôle et de marijuana, ont l'air de parfaits pieds nickelés, mais sont adorables et on les sent touchés par notre amour de leur pays. En plus ils ont complimenté ma pratique du népalais !


Jeudi 9/12 : Sumdo (3880m) - Samagaon - Shyala (3510m); 12.5k/+200m/4h10

Ambiance sibérienne ce matin à Sumdo, -5° dans la chambre, le seau d'eau des toilettes était couvert d'une belle couche de glace...et dire que l'hiver ne fait que commencer...nous je reconnais qu'on ne sera pas fâchés de redescendre petit à petit vers la douceur. Tsampa porridge et thé salé au beurre pour le petit-déjeuner, avec toutes nos couches de vêtements...on ne retirera la doudoune qu'après 1h de descente une fois le soleil réapparu  ! Je profite de l'absence temporaire de Moritz pour parler à fond népalais avec nos 2 porteurs Abishek et Banu - ils se sont bien marrés quand je leur ai dit (après qu'on ait temporairement égaré le sentier) que nous étions "aussi stupides que des mules" (हामी खच्चर जस्तै मूर्ख / haami khachhar jastai murkha). Avant de me répondre aussitôt "ah non  monsieur,  c'est pas vrai !".



On a regroupé les troupes à Sama pour le déjeuner, et même réussi à envoyer un message dans l'un des rares wifi en fonction de la vallée. La plupart des habitants sont occupés à couper, collecter et ramener du bois, sage précaution pour passer l'hiver dans des maisons à l'isolation précaire. Celui qui réussira à acheminer des fenêtres à double-vitrage ici fera sûrement fortune !





Descente tranquille à Shyala par un bon sentier, chose rare sur ce circuit aujourd'hui bien plus cassant que le Tour des Annapurnas. Il y a évidemment non pas un mais même 2 lodges ouverts, contrairement aux informations en aval ("tout est fermé pour l'hiver là-bas, sahib"). Et nous sommes évidemment une nouvelle fois les seuls clients. On prend donc nos petites libertés, envahir la cuisine pour se réchauffer, allumer le poêle au petit-déjeuner...On croisera encore un occidental durant les 5 jours restant - un robuste Polonais déterminé lui aussi à tenter de tracer le col avec son guide. On lui accorde déjà un peu plus de crédit qu'à nos joyeux lurons de la veille  !



Suite et fin ici.