Trek Helambu - Gosainkund, version famille : le Népal raconté aux enfants


Publiziert von Bertrand , 3. Juni 2014 um 09:23.

Region: Welt » Nepal
Tour Datum: 7 April 2014
Wandern Schwierigkeit: T3 - anspruchsvolles Bergwandern
Wegpunkte:
Geo-Tags: NEP 
Zeitbedarf: 7 Tage
Aufstieg: 6000 m
Abstieg: 6000 m

Petit (enfin façon de parler...) journal de voyage humoristique d'un circuit de trekking réalisé en famille sur la traversée classique Helambu - Gosainkund - que nous avons poursuivi sur le Tamang Heritage Trail avant de filer à Chitwan, le célèbre Parc National dans la plaine  surchauffée du Teraï. 2 semaines bien remplies...

Samedi 5/4

« Il faut mettre fin au dumping des compagnies du Golfe, faute de quoi les compagnies européennes sont condamnées » vient de déclarer le patron d’Air France. Nous lisons ces lignes dans le journal sitôt embarqués sur le vol de nuit du vendredi soir Zurich – Mascate  – Kathmandou  avec Oman Air, quelques heures à peine après avoir quitté le bureau.  Ben oui mon gars, mais faudrait peut-être songer à créer un Paris-Kathmandou ou un Francfort-Kathmandou ! Départ 22h, arrivée 15h le lendemain avec 2h30 d’escale à l’aube dans la capitale omanaise. Evidemment pour faire une cure de sommeil, mieux vaut aller ailleurs.  D’autant que Cécile et Arnaud, excités comme des gamins dans une confiserie où le crédit serait illimité, passent leur temps à regarder quelques-uns des 60 films ( !) proposés à la demande. Naturellement sur des écrans haute définition. Les compagnies aériennes du Golfe sont effectivement de redoutables concurrents… Les 2 vols sont pleins, on ne sera donc apparemment pas les seuls sur les sentiers himalayens, bien que le printemps ne soit en principe pas la saison la plus chargée. La nuit blanche aidera à s’endormir plus facilement malgré le décalage horaire défavorable et le vacarme de Kathmandou.


Retrouvailles 14 ans après avec notre camarade Moritz, que nous avions connu lors d’un trek au Zanskar et qui vit depuis une bonne partie de l’année en Himalaya. Pas toujours dans les coins les plus recommandables, d’ailleurs : son CV est rempli de randos engagées dans les coins les plus perdus du Karakoram pakistanais ou d’hivers passés à Kaboul pour apprendre le Dari…C’est sans doute à l’heure actuelle l’un des Européens connaissant le mieux l’ensemble de la chaine himalayenne, nous sommes donc entre de bonnes mains puisqu’il nous servira à la fois d’organisateur, de guide et d’animateur. Il est encore plus bavard que moi, Agnès et Patricia ajouteront donc au bénéfice sportif du trek un stage intensif d’allemand - pendant que je m’échinerai à tester sur les autochtones mes connaissances de Népali tout juste rafraîchies…

Arrivés devant les guichets d’immigration, nous croyons malin de faire des économies en demandant un simple visa de 15 jours (celui de 30 jours vaut le double) alors qu’on en passera 17, imaginant naïvement pouvoir négocier à la bonne franquette ce petit dépassement au moment du retour. Ceux qui auront le courage de lire le récit jusqu’au bout verront que cela ne s’est pas tout à fait passé comme prévu !

Installation dans le « Nippon Lodge » de Freak Street, le légendaire quartier hippie de Kathmandou que les babas-cools ont déserté depuis bien longtemps cela dit. 3 chambres sommes toute convenables au standard local pour 40 USD la nuit les 3, un calme relatif, et le voisinage des temples spectaculaires de Dubar Square, cœur historique de Kathmandou, en font un point de chute recommandable à l’écart de l’agitation occidentalisée de Thamel, le RV des trekkeurs « videshi » (gringo en népalais).

Nous y faisons la connaissance de Nabin et Saila, nos deux porteurs d’ethnie Raï, qui accompagnent Moritz aux 4 coins de l’Himalaya népalais depuis de longues années. Inutile de dire que nos petits sacs – que nous avions dégraissés à mort tout en les trouvant encore inhumainement lourds malgré tout – les font bien rigoler. A peine 30 kg sur le dos chacun, ce seront quasiment des congés payés pour eux habitués à bien pire. 12.5 EUR par jour chacun, c’est en outre un salaire princier pour un porteur local. Nous nous débarrassons donc d’entrée de toute mauvaise conscience. Ainsi que de tous les vêtements d’enfants superflus amenés ici dans ce but. Leur joie est palpable : 6 enfants à eux 2, dans le cas de Nabin (21 ans) deux garçons de deux femmes différentes âgées de 18 et 19 ans et qui partagent encore le même toit avec lui (20 mètres carrés), en toute harmonie semble-t-il (!). Il a pourtant été converti au christianisme récemment par un missionnaire protestant et porte dument sa croix sur le cou. Inutile de chercher à comprendre, le Népal n’est pas à un paradoxe près…

Chez moi c’est plutôt la déconfiture qui est palpable, je ne comprends que quelques bribes de leurs remerciements en Népali malgré mes 3 mois de boulot acharné. Je ne peux même pas invoquer l’excuse d’un dialecte, bien que Raï tous les deux les patois de leurs villages respectifs ne sont pas mutuellement intelligibles, ils parlent donc népalais entre eux. Je me console devant le 1er Daal-Bhat (plat national népalais, pour les incultes : riz – lentilles – légumes) d’une longue série dans un restaurant du voisinage. J’ai désormais deux semaines pour retrouver une pratique décente d’une langue que, dans mon souvenir, je ne maîtrisais pas si mal lors de notre dernier séjour 13 ans plus tôt. Faute de quoi il faudra admettre que mes neurones sont définitivement trop rouillés pour passer impunément d’une langue exotique à l’autre avec juste quelques mois d’écouteurs sur les oreilles.



Dimanche 6/4

Pendant que femmes et enfants se mettent en quête de trucs superflus à acheter, je passe la matinée avec Moritz pour acheter les permis. 2 administrations différentes, 2 paquets de formulaires distincts, 2 sommes rondelettes à avancer (40 EUR par personne) et nous voici en possession du sésame vert du TIMS (trekking permit – donne le droit de marcher) et du sésame jaune du Parc National du Langtang (donne le droit d’y entrer). Juste le temps de racheter de grosses mitaines de laine (2.5 EUR) et une paire de lunettes de soleil (4 EUR) et l’heure des momos a sonné (grosses ravioles fourrées cuites à la vapeur, qui permettent de changer du Daal Baht). Avis tranchés : les grands aiment, les enfants pas (« trop épicé »…pff, voilà où mène la nourriture affadie ingurgitée par les petits blancs). Ce sera donc frites – ketchup le prochain coup.

Balade à pied vers le stupa géant de Swayambunath l’après-midi, un incontournable du Kathmandou culturel. 45mn dans la saleté, le grouillement humain, la puanteur du cloaque qu’est devenue la rivière Bagmati, les pétarades incessantes des motos ayant hélas remplacé en large partie les vélo-rickshaws. Chaque Népalais, sitôt 3 sous arrivés du lointain cousin trimant sur les chantiers de Dubaï, n’a de cesse que de s’acheter une de ces petites saloperies pour afficher sa réussite, en tuant le temps entre ruelles engorgées et queues à la pompe.

Swayambu est par contre toujours une oasis de calme, les singes sont bien au RV, chortens et moulins à prière instillent un semblant de spiritualité, et le coucher de soleil rougeoyant à travers l’irrespirable smog de la ville donne une touche de couleur. Le retour est un cauchemar (c’est l’heure de pointe au crépuscule, ici aussi).  Le courant est coupé comme chaque jour à la tombée de la nuit (il n’est rallumé qu’entre 1h et 5h du matin avant d’être à nouveau éteint à l’aube), aux yeux piquants et au mal de tête se rajoute donc la frayeur de se faire renverser. Bref vous l’aurez compris nous n’aimons plus beaucoup cette ville auquel on trouvait pourtant un certain charme exotique il y a 15 ou 20 ans lors de nos visites passées.

Cécile nous implore de quitter les lieux (ça tombe bien, on part marcher dès le lendemain matin !), Arnaud nous développe de grandes théories quant aux solutions socio-urbanistiques à apporter pour rendre le coin à nouveau vivable (en vrac : construire métro et pistes cyclables, interdire la circulation motorisée, installer des éoliennes et des panneaux solaires dans l’Himalaya tout proche, empêcher les gens de faire 6 gamins par famille, mettre des poubelles à chaque coin de rue…). Ce petit a de l’avenir dans l’aide au développement (dont le Népal est officiellement le 1er destinataire au monde par habitant, il faut le lire pour le croire !). Pour tout arranger, la  plaie bénigne au pouce que j’ai ramené de Suisse commence gentiment à tourner en abcès malgré une overdose de pansements et de Bétadine.


Lundi 7/4

Sundarijal (1370m) – Chisapani (2170m) : 10.5km, +1100mw-300m, 5h net

L’un des intérêts de la traversée Helambu – Gosainkund est de partir des faubourgs de Kathmandou, à moins d’1h de taxi. Ça se paye au retour (6-7h de pistes et routes infectes) mais c’est dans 10 jours, autant dire une éternité. Entrée en douceur, petit-déjeuner au centre du village, démarrage vers 9h30, joli sentier forestier stabilisé à grands coups d’escaliers afin de limiter l’érosion. Le trajet est animé par toute une troupe de scouts à la découverte de leur patrimoine naturel qui nous bombardent de questions afin de tester leur anglais. Je me force à répondre en népalais avec plus ou moins de succès, heureusement que Moritz (qui parle couramment la quasi-totalité des langues himalayennes : népali, hindi, urdu, farsi, dari…) est là pour me seconder !

Cécile et Arnaud avalent l’étape sans la moindre difficulté, de bon augure avant le marathon du lendemain. Toutes les sorties familiales en ski de rando/raquettes de cet hiver ont donc servi à quelque chose (en dehors du plaisir de skier ensemble, cela va de soi !). D’ailleurs Arnaud passe toute la journée à abreuver Moritz de questions sur à peu près tout et son contraire, trop heureux de trouver enfin une victime plus patiente que ses parents ou sa grande sœur…Sinon les scènes de bord de chemin donnent la tonalité de la suite :

-
l’augmentation exponentielle des détritus annonce immanquablement la proximité du hameau suivant

-
une tête de chèvre coupée annonce la présence exceptionnelle de chèvre au menu du soir (pas terrible, on a testé quelques jours plus tard…)

-
les hommes glandent / dorment devant la porte / jouent aux cartes en papotant…pendant que les femmes triment une hotte de foin sur le dos ou une pioche en main (par exemple pour casser les cailloux destinés à refaire la piste). On rétorquera que les plus bosseurs transpirent déjà sur les chantiers du Golfe pendant ce temps là…

Nuit au Lodge Dorje Lapka, du nom d’un des sommets à 7000m fermant l’horizon vers le Tibet. 300 roupies par personne la nuit (2.5 EUR), les dortoirs servent en fait uniquement de produit d’appel pour faire de la marge sur la restauration. Marge toute relative, cela dit : l’addition ne dépassera que rarement les 11.000 roupies (85 EUR) pour 6 personnes en pension complète…Ah oui, lodge au Népal = refuge primitif, ne pas imaginer les établissements luxueux des parcs animaliers africains ! Le spectacle est par contre inclus dans le prix du diner : ce soir-là, c’est le bain mensuel d’un des garçons du village, plus ou moins de l’âge d’Arnaud. Une bassine d’eau froide, une brosse rustique, un peu de shampoing, une maman déterminée à ce que le décrassage tienne jusqu’au mois suivant…le concert de hurlements n’a rien à envier à celui d’Arnaud sous la douche. « Mais lui c’est juste une fois par mois » nous dira-t-il pour sa défense !


Quant à l’humeur du ciel nous sommes vite au parfum : les nuages convectifs montent rapidement dès que le soleil montre le bout de son nez, le relief est en général bouché l’après-midi et la lumière vaporeuse met vite un frein aux ambitions photographiques. Il ne faut pas rêver : si le monde entier vient trekker en octobre-novembre plutôt qu’en avril, ce n’est pas pour rien. Contrepartie : tranquillité, soirées allongées, forêts en fleurs, douceur de l’air…encore que pour cette dernière nous déchanterons rapidement ! Mais n’anticipons pas.


Mardi 8/4

Chisapani (2170m) – Kutumsang (2470m) : 17.5km, +1300mw-1000m, 7h net

Nouvelle nuit agitée, après celle passée dans l’avion et celles de Kathmandou (animées elles par les concertos en clébard majeur et le passage de la voirie à 3h du matin). Ce coup-ci le fond sonore vient du haut : le classique orage de fin d’après-midi a fait des petits, le ciel tonne donc une bonne partie de la nuit et la pluie tambourine sur la tôle du lodge avec une lassante obstination. Nous n’apprendrons heureusement que plus tard qu’il est tombé cette nuit-là près de 50cm de neige sur le col de Laurebina (4600m) que nous aurons à franchir d’ici quelques jours.

Cela dit le ciel est tout propre une large partie de la journée (ce sera en fait l’une des plus belles du séjour) et l’Himalaya fraîchement repeint en blanc scintille au loin. Au loin, oui : si tout le monde s’entasse autour de l’Annapurna ou de l’Everest plutôt qu’ici ce n’est pas non plus pour rien. Les cathédrales de glace qui forcent à lever la tête y sont objectivement bien plus impressionnantes, de par leur simple proximité. Le charme de l’Helambu-Gosainkund réside davantage dans le charme de la vie rurale et dans la beauté des forêts de rhododendrons, choses auxquels les enfants sont en général plus sensibles.

Trait commun à tous les massifs népalais : l’inflation de nouvelles pistes carrossables, souvent guère plus que des cicatrices éventrées au bulldozer que la prochaine mousson s’empressera de démolir (jusqu’au prochain passage du bulldozer…). Voilà où semble passer une bonne partie de l’aide internationale (en tous cas davantage que dans la voirie de la capitale !) Les intérêts des indigènes et des touristes sont évidemment divergents : le trekkeur occidental préfèrera toujours maintenir l’illusion d’un pays originel où on se déplace à pied, tandis que les villageois ne sont surement pas fâchés d’un peu de désenclavement.

Mais celui-ci n’est pas exempt d’effets pervers. D’abord tout le monde n’a pas le moyen de se payer une jeep 4*4 pour rejoindre le chef district de la vallée principale (vu l’état des pistes, les bus publics Tata à 10 roupies le ticket sont encore loin d’aller partout…). De plus, en sens inverse, ces nouvelles liaisons permettent aussi un accès facilité aux produits bon marché venus d’Inde ou de Chine sur lesquels la production agricole locale gardait un avantage compétitif quand il fallait les monter à dos d’homme.
Enfin sans écrire un chapitre entier sur les dilemmes de l’aide au développement, nous trouvons simplement la première moitié de cette étape marathon pas bien passionnante malgré le soleil et le panorama. A contrario la piste permet de marcher plus vite et au prix d’un départ à 6h45 nous sommes donc dès 11h à la mi-étape du col de Jogini Danda (2460m). Un petit lodge non mentionné sur la carte permet de déjeuner agréablement, pour peu de se munir de patience : 1h20 entre la commande et l’arrivée des omelettes et des daal-bhat (nous étions bien sûr les seuls clients). Il est vrai qu’il a sans doute fallu d’abord ramasser le bois puis convaincre les poules de pondre…

Encore une vilaine piste à la descente mais le sentier du second col est de toute beauté et, comme dument annoncé à l’avance par la prolifération des déchets au bord du chemin,  nous arrivons finalement au hameau de Kutumsang à l’heure du goûter.  Cécile et Arnaud auront ainsi avalé cette étape-marathon de 18kms / +1300m (presque) sans jérémiade et dans le temps imparti par le Lonely Planet – bravo les poussins ! Nouveau lodge de la chaine Dorje Lapka, confortable mais déjà un cran plus rustique que la veille (une tendance qui ne fera que s’accentuer…).

Le coucher de soleil sur la brume orangée du smog des plaines, étendu telle une mer moutonnée juste sous nos pieds, sera l’un de clous du séjour. C’est en pleine méditation devant ce spectacle naturel  que nous avons la stupéfaction de voir arriver, par une piste improbable apparemment achevée il y a moins de 3 mois, un bus de ligne (enfin façon de parler…). En débarquent quelques habitants et surtout beaucoup de cartons. On me dira que cela contredit déjà ce que je racontais 2 paragraphes plus haut – et on aura en partie raison. Pour finir c’est – déjà – la 1ère soirée autour du poêle, ça promet pour les nuits à Gosainkund 2000 mètres plus haut !



Mercredi 9/4

Kutumsang (2470m) – Mangen Goth (3220m) : 12.1 km, +1130m / -380m, 5h30 net

Nous rentrons enfin dans l’étage des légendaires forêts de rhododendrons ayant fait la réputation du Népal au printemps. Malgré le soleil, la déception est patente : étonnamment peu de fleurs à se mettre devant les yeux ou l’objectif. Un charmant couple vaudois, que nous croisons à mi-parcours, nous confirme ce que l’on pressentait : les rhodos ont été mis en charpie par la tempête 2 nuits plus tôt, dont la férocité en altitude a parait-il été assez impressionnante - il fallait presque se mettre à 4 pattes pour franchir le col de Laurebina. Par contre, comme nous avons quitté la zone des villages et que la suite du parcours n’est pourvue que de lodges, le chemin devient quasiment propre. Bref on se croirait presque chez nous.

L’étape n’est pas bien longue, afin d’éviter de monter dormir trop vite trop haut, et nous sommes au sympathique « Darjeeling Lodge » pour le repas de midi déjà. Les prix montent avec l’altitude, le « Daal-Baht index » passe à 500 roupies et l’addition dépasse pour la 1ère fois les 10'000 roupies (80 EUR), toujours en pension complète pour 6 il est vrai…Pendant que Cécile et Moritz apprennent aux enfants du gardien à jouer à l’Uno dans un sabir anglo-germano-nepali, le reste du groupe part faire quelques globules supplémentaires au « view-point » dominant le col de Kyuda Banjyang, situé à la limite supérieure de la forêt à 3500m. Les hauts sommets du Langtang sont évidemment, comme chaque jour dès 10h du matin, noyés dans les nuages.

De retour pour le tea-time, je prends mon courage à 2 mains pour un 1er test grandeur nature de mes connaissances de Nepali : je propose à Nabin et Saila un petit diaporama sur Iphone de nos diverses aventures alpines en famille. Pas facile d’expliquer (rappelons qu’à eux deux ils doivent connaître 10 mots d’anglais) ce qu’est le ski de randonnée, à quoi peut servir une corde en falaise, ou ce qui différencie l’Oberland des Dolomites.  D’autant que Professeur Moritz est parti faire la sieste. Nos 2 porteurs hochent poliment la tête d’un air approbateur à chacune de mes explications, quant à savoir ce qu’ils ont compris…ce qui est malheureusement clair c’est que je ne comprends guère plus de 30% de ce qu’ils me répondent. Je me console en me disant que par rapport aux 20% du 1er jour à Kathmandou il y a déjà un progrès…Comment pouvais-je parler presque couramment il y a 13 ans, that is the question. Old age, I am afraid.

Soirée adorable seuls avec la famille du gardien à boire du raksi  autour du poêle. Cet alcool de millet artisanal (15° a 20°) est un peu le pendant du Daal-Baht, disponible dans chaque recoin du pays à 200 comme à 5000m d’altitude, toujours très apprécié par les Népalais, parfois trop…Dehors il gèle pour la 1ère fois du séjour, chose incroyable en avril à une altitude aussi modeste aux standards himalayens.


Jeudi 10/4

Mangen Goth (3220m) – Tharepati (3500m) : 7,5km, +750m / -370m, 4h  net

La plus petite étape du circuit, toujours dans le but de s’acclimater complètement avant d’aller dormir à 4400m à Gosainkund. Soleil et ciel bleu toujours dominants le matin mais les cumulus bourgeonnent chaque jour un peu plus tôt ce qui annonce une nouvelle dégradation, de préférence tout là-haut bien sûr. Le sol est couvert de givre le matin, nous ignorions alors que ce serait le cas jusqu’à la fin du trek ou presque (avec option neige si affinités)…

Tout comme le prix du Daal-Baht ou du raksi, le nombre de touristes progresse avec l’altitude et nous croisons 4 ou 5 groupes plus importants, dont les incontournables trekkeurs israéliens auxquels peu de montagnes exotiques semblent avoir échappé. Bon on est encore loin des 500 personnes par jour que nous avions pris l’habitude de rencontrer quotidiennement dans le Khumbu 13 ans plus tôt. Les autres porteurs étant comme prévu chargés au double des nôtres ou presque, nous pourrons désormais apporter nos sacs à Saila et Nabin chaque matin la conscience tranquille.

En attendant le chemin ondule bucoliquement dans une magnifique forêt sur fond de Gaurisankar, un 7000m parmi les plus impressionnants et difficiles de l’Himalaya népalais. Le col de Tharepati (3500m), balayé par un vent frisquet, offre le choix entre 3 lodges : le plus beau des 3 est hélas déjà réservé (eh oui, le téléphone est arrivé…) par 20 ( !) Coréens que nous aurons d’ailleurs l’occasion de côtoyer durant quelques jours. Mais le Tashi Delek (chaine concurrente de Dorje Lapka) est un bon second, si l’on sait oublier les courants d’air glacés sifflant à travers les planches disjointes et des toilettes, euh,  plus que rustiques.

Nous remontons quand même l’après-midi au « view-point » du jour (3700m) histoire de rajouter quelques globules à la collection. Histoire aussi d’établir un nouveau record d’altitude pour Arnaud. Voire pour Cécile, car les 4200m du col de Bwahit dans le Simien éthiopien lorsqu’elle avait 9 ans sont entachés d’un soupçon de tricherie : bien qu’affirmant le contraire aujourd’hui, elle avait tout fait sur la mule…Le rideau nuageux est bien évidemment tiré lorsque nous parvenons en haut, mais je parviens quand même à envoyer un SMS à grand-père et mamie au bout d’une cinquantaine de tentatives sur l’unique plot chevrotant de « Nepalcom »

Le reste de la journée se déroule studieusement devant le poêle du lodge à prendre un cours particulier de népali avec Moritz : celui-ci sort de son énorme sac à dos (car bien sûr il porte l’intégralité de ses affaires, « pour ne pas perdre l’habitude ») un petit fichier miniature. Chacune des 700 fiches propose un mini quiz de phrases courantes en népalais – autant dire qu’on sera loin d’épuiser le stock. D’autant qu’il y a encore 5 autres fichiers du même genre (oui, oui, c’est bien ça : 4200 fiches au total). Et la même chose en Urdu, Dari, Persan et Hindi – « mais je les ai laissés dans mon dépôt de bagages à Islamabad » explique-t-il navré. Vraiment dommage. Voilà donc comment notre camarade occupe ses après-midi sous la tente lorsqu’il part avec nos 2 porteurs pour des expéditions un peu plus sérieuses que notre aimable promenade de lodge en lodge… « Bah tu sais quand on n’a pas de famille on en a du temps de libre ! » conclue-t-il dans un grand éclat de rire en vidant son verre de raksi…



Vendredi 11/4

Tharepati (3500m) – Phedi (3650m) : 9,5km, +850m / -700m, 4h30  net

3° dans le dortoir ce matin, heureusement qu’on avait fait main basse sur le stock de couvertures en arrivant la veille à midi ! Et dire que j’avais insisté pour ne prendre que des micro sacs de couchage, affirmant doctement « mais non, au Népal en avril il fait chaud, autant voyager léger… ». Le sentier ondule en franchissant tout une série d’épaules escarpées dans une ambiance typiquement tessinoise, la tête dominée par d’immenses parois où herbe et arbustes s’accrochent on ne sait trop comment. Le tout noyé dans un brouillard de plus en plus sombre, histoire de rajouter un peu d’ambiance.

Pour ce qui est de la fréquentation par contre, on est loin de la solitude du Val Verzasca : nous doublons rapidement nos 20 Coréens partis pourtant une heure plus tôt. La moyenne d’âge doit flirter avec les 65 ans (je dis bien la moyenne), certains marchent dans une sorte de ralenti évoquant un alpiniste sans oxygène sur les pentes terminales de l’Everest. Mais ils sont tout à fait charmants et tiennent évidemment à prendre Arnaud en photo, stupéfaits de voir un gamin de moins de 10 ans engagé dans une telle entreprise. Moritz a pris les devants afin de nous assurer les dernières places dans l’un des 2 lodges de Phedi – précaution sans laquelle nous aurions effectivement (presque) dû dormir dehors…

Petite pause musicale au lodge de Gopte (3330m), à mi-chemin de l’étape, où nous dénichons Nabin et moi une improbable…guitare ! Encore plus improbable : notre porteur Raï sait jouer…ne me demandez pas comment il a pu apprendre. « Mon oncle musicien a publié un recueil de chants népalais et m’a prêté la sienne » - enfin c’est ce que j’ai cru - fièrement - déchiffrer de l’explication. Un « Let it be » chanté sur une poignée d’arpèges de base suffira a m’octroyer les applaudissements des 1ers Coréens tout juste arrivés. Le moral regonflé à bloc, je passerai une partie de l’après-midi à harceler Moritz afin de purger mon carnet de vocabulaire de tous les mots sanskrit recopiés du dictionnaire mais ignorés par 99% des Népalais…

Arrivée vers 15h au lodge Baby Nawan. Basique +++, mais rempli comme un œuf - on s’y tient pour une fois presque chaud. Les 20 Coréens ont certes eu la bonne idée d’opter pour le refuge concurrent juste en dessous (ouf !), mais l’espace vide du nôtre a été rapidement colonisé par un groupe de Chinois de Singapour venu du col que nous franchirons le lendemain ; ils avaient en fait prévu de dormir à Gosainkund (notre étape du jour suivant) mais ont préféré se traîner jusqu’ici vu le froid « insupportable » régnant là-haut. Ça promet pour la nuit à venir !

Le tea-time (raksi time en fait) servi, nous tuons le temps en prenant une longue leçon d’histoire contemporaine du Pakistan, sujet  sur lequel Moritz (auteur de l’un des seuls guides de voyage récents sur ce pays) est un conteur que l’on écouterait sans fin. Nous apprenons entre autres que l’un des motifs des velléités séparatistes du Bangladesh (ex Pakistan Oriental) était lié au refus de se voir imposer par le grand frère occidental l’Urdu comme langue véhiculaire « savante », alors que le Bengali avait tout autant d’ancienneté et de prestige culturel.

Autres potins du jour :

-
Cécile, en délicatesse avec son estomac, a définitivement tourné le dos à la gastronomie locale pour se nourrir exclusivement de chappattis (en alternance au miel ou au fromage, histoire de varier un peu) matin, midi et soir…

-
Arnaud est lui complètement déchainé et nous explique qu’il aurait facilement pu faire l’étape deux fois ( !). Il commence par contre à élargir son répertoire alimentaire, aux « veg. potatoes » s’est désormais rajouté le « veg fried rice ». Tant qu’il y a du ketchup…A ce train-là il finira même par tester le Daal-Baht avant le retour à Berne !

-
A défaut de parler « राम्रोसन्ग नेपाली », je peux au moins me défouler en espagnol ce soir-là : Iñaki, un Basque de Pampelune aussi jovial que buriné, me raconte comment il est parti de Hanoï à vélo début janvier pour rouler 2000km à travers l’Indochine avant de rejoindre le Népal pour enchaîner les treks classiques au pas de course. Inutile de dire qui rêve de qui...


Samedi 12/4

Phedi (3650m) – Gosainkund (4380) : 7,5km, +950m / -220m, 4h  net

Journée phare du circuit avec le passage du mythique (enfin pour nous…) col de Laurebina à 4610m. Nouveau record d’altitude tant pour Cécile que pour Arnaud, avec quand même la petite déception de ne pas atteindre l’attitude du Mont Blanc…les 950m de montée sont avalés en 3 heures sans la moindre jérémiade, l’acclimatation au ralenti des 3 jours passés a donc bien fait ses preuves. Nos camarades coréens, partis une nouvelle fois à l’aube soit bien avant nous, sont vite rattrapés. Certains d’entre eux paraissent effectivement proche du coma debout, mais nous les retrouverons néanmoins tous vivants au lodge de Gosainkund bien des heures plus tard.

Même si le 1er reflexe est de se moquer gentiment d’eux, force est de reconnaitre qu’une telle volonté de fer mérite aussi un coup de chapeau. « Pas étonnant que nos entreprises se fassent bouffer l’une après l’autre » diraient certains de nos amis banquiers ou entrepreneurs…Pour être honnête, il faut quand même dire que partis à 20 ils ne sont déjà plus que 17. Et que le plus faible de l’effectif fera l’étape sur la mule du lodge de Gosainkund (que le  gardien avait dû amener au lever du jour en franchissant le col en sens opposé en pleine nuit et en plein vent). Même notre poussinette amoureuse des chevaux ne l’enviera guère sur ce coup-là !

Surprise sur le versant opposé : avril ou pas, l’hiver règne toujours en maître et le chemin est  recouvert de vastes névés descendant quasiment au niveau des lacs. Les lacs ne semblent pas non plus avoir lu le calendrier puisqu’ils sont encore couverts d’une bonne couche de glace. Il en va de même pour la température régnant à l’intérieur du lodge de Sonam Sherpa qui ne doit guère dépasser les 7°. Seule la liste des prix semble avoir pris un coup de chaud avec un nouveau record pour l’indice Daal-Baht à plus de 600 roupies. On ne peut même pas accuser le propriétaire de mégoter sur le bois, le poêle ronfle à fond toute l’après-midi mais c’est surtout pour chauffer les petits oiseaux (pas bien nombreux d’ailleurs) via les larges fentes entre les planches disjointes faisant office de murs. Dans les dortoirs c’est évidemment bien pire, les poches à eau y gèleront durant la nuit. Le choix est donc de lire en doudoune devant le poêle en frissonnant (mais en alignant les raksi), ou de lire enterré sous une pile de couvertures (plus chaud, mais sans raksi, et il faut garder les moufles pour tourner les pages). Dehors le vent souffle et la neige tombe à l’horizontale, avec quelques coups de tonnerre histoire de renforcer un peu l’ambiance de fin du monde de ce lieu sacré pour les Hindous. Moritz n’a jamais vu cela en cette saison en 15 ans de Népal…

Bref la décision est rapidement prise : abandonner toute velléité de gravir le Surya Peak (5145m) au programme du lendemain (de toutes façons inaccessible pour nous dans ces conditions) et se barrer au plus vite vers des cieux plus hospitaliers…Le 1er 5000m de Cécile et Arnaud attendra donc le prochain voyage. Histoire d’empiler les mauvaises surprises, je dois aussi faire le deuil de mon Nikon D80, laissé imprudemment trainer dans le dortoir ouvert et probablement récupéré par mégarde (sic) par l’un des nombreux guides des Coréens. Dur retour sur terre pour les idéalistes dont je faisais partie : les Népalais ne sont pas tous honnêtes. Nabin et Saila sont presque plus effondrés que nous devant cet acte qui à leur yeux ternit leur communauté…les belles images du coucher de soleil de Kutumsang, des parties d’Uno de C&A  avec les gamins du lodge de Margen Goth, ou de la folklorique cuisine de la cabane de Phedi resteront donc cantonnées dans un petit coin de notre placard à souvenirs.



Dimanche 13/4

Gosainkund (4380) – Thulo Syabru (2220m) : 14,5km, +180m / -2340m, 7h  net

Réveil actif pour Agnès et moi sous la forme d’un petit aller-retour d’une heure au « view-point » de Gosainkund 200m au-dessus du lodge. En dehors de s’ouvrir l’appétit pour le porridge cum masala tea traditionnel du P-dèj, la balade permet aussi d’avoir la conscience tranquille quant à l’abandon du  Surya Peak : le ciel est déjà couvert, il fait un froid de canard, 5cm de neige de la nuit rendent le sentier savonneux à souhait, et les hauts sommets lointains sont bien sûr invisibles.

Comme souvent en montagne, il suffit de marcher quelques heures vers le bas pour retrouver la douceur de l’existence : les couches de vêtements tombent les unes après les autres, la forêt de rhododendrons réapparait, on aperçoit même fugitivement le soleil, et la ferme-auberge de Mukhaka - stratégiquement postée à mi-parcours de cette longue étape descendante - offre déjà 30% de discount sur le Daal-Baht et les Momos par rapport à Gosainkund. C’est même mieux que ça : en raison du Nouvel An népalais, un diner de fête est en pleine préparation pour le soir même. A défaut de participer, Il nous est du coup gentiment proposé d’y goûter en avant-première. Une chèvre a fait les frais de l’opération, le menu de St Sylvestre se compose donc de ragoût caprin accompagné de polenta à la mode locale (la même qu’au Tessin en 2 fois plus collante…), de petits légumes à l’assaisonnement incendiaire et de soupe à l’ortie. Le tout abondamment rincé au raksi, évidemment. La soupe à l’ortie est délicieuse, la polenta nourrissante, quant à la viande, même ceux ayant réussi à la trouver entre la peau et les os ne seront pas fâchés de redevenir végétariens le soir même…

L’ambiance est sinon des plus conviviales, la fille de la patronne promène d’une main son nouveau-né dans une sorte de corbeille tout en touillant la polenta de l’autre, Saila (également cuisinier de trek à ses heures) accommode les orties, le garde-chasse – fusil en bandoulière - vient boire un raksi avant de repartir discrètement braconner (dixit la fille…), je tente désespérément de déchiffrer la conversation…avant que Moritz ne me rassure : notre entourage du jour parle Tamang (un dialecte tibétain), je pouvais encore attendre longtemps avant de comprendre le 1er mot ! Bref même sans hauts sommets à filmer en levant la tête, le Népal de la moyenne montagne a bien du charme.

Le sentier reste agréable jusqu’à l’arrivée et au final les 2300m de descente totale ( !) jusqu’à Thulo Syabru ne laisseront quasiment aucune courbature. Ce gros village tout en pente n’a pas de route mais déjà toutes les commodités de la grande vallée voisine : des lodges confortables, des petites échoppes aguicheuses, un joli temple, du courant 24h/24…et même un café-internet ! Le tout fourmille de gringos puisque c’est la 1ère étape traditionnelle du trek du Langtang. Nous y croiserons du coup le seul enfant occidental du séjour, un petit Parisien de 8 ans en vacances avec ses parents et en partance pour le trek en question. Damien est plus jeune qu’Arnaud mais il « trichera un peu » puisqu’une mule sera à sa disposition – ce qui rend évidemment Cécile un peu jalouse. Cette petite entorse à l’éthique n’empêchera pas Arnaud de l’inviter à jouer à l’Uno.


Topo du trek ici. Suite du voyage autour du Tamang Heritage Trail avant de finir les vacances à Chitwan.


Tourengänger: Bertrand


Minimap
0Km
Klicke um zu zeichnen. Klicke auf den letzten Punkt um das Zeichnen zu beenden

Galerie


In einem neuen Fenster öffnen · Im gleichen Fenster öffnen


Kommentar hinzufügen»