Mettons du piment pour monter à la Tour Salière

Aux premiers jours de l'été, le site d'Emosson connaît une recrudescence touristique qui peut altérer la magie des lieux. En s'écartant des sentiers battus, on se retrouve vite dans un milieu alpin oublié des hommes. Chaque regard porté vers les cimes constitue une véritable tentation d'aventures pour le randonneur assoiffé d'espaces vierges. Ainsi, se présente la longue arête s'étirant du Ruan au Pic de Tenneverge, qui ne manquera pas d'attiser le désir de la parcourir chez celui pour qui l'austérité des lieux ne représente pas la monotonie qu'elle symbolisera chez le plus grand nombre.
Un parcours prometteur qui fera peut-être bientôt l'objet d'une randonnée itinérante sur le fil de l'arête entre Mex et le Cheval Blanc en passant par la Cime de l'Est ou les délaissés Rochers de la Gagnerie.
En ce vendredi, il n'était pas encore temps de se lancer dans un parcours d'une telle envergure mais qui valait tout de même son pesant de foulées. Décidé à abréger au plus vite la route entre le Col de la Guelaz et Barberine, j'ai enfourché mon fidèle VTT de bon matin. Ensuite, j'ai suivi le sentier balisé blanc et rouge en direction du col du même nom que j'ai laissé à ma droite à proximité du point 2149, attaquant franchement les pentes gazonnées permettant d'accéder à l'arête SW des Pointes d'Aboillon, dont la première se distingue par une croix. L'ambiance alpine était accentuée par le va-et-vient des nuages tutoyant la crête. Le parcours devient particulièrement sauvage et l'arête doit parfois se contourner versant W pour éviter d'avoir à transformer sa randonnée en escalade. Trois pointes peu marquées ponctuent la chevauchée sur le fil, devenant de plus en plus difficiles d'accès les unes que les autres. Arrivé à la pointe cotée 2969, on peut suivre sans difficulté sur sa lancée en direction de l'Epaule, au pied de laquelle s'annonce le passage-clé qui peut sembler très compliqué à première vue. Pourtant, avec un peu d'attention, on se rend compte qu'une vire très peu prononcée  permet de contourner l'obstacle majeur de droite à gauche (cf photo). La suite est un peu plus évidente mais nécessite tout de même d'être vigilant à la fragilité du terrain, caractérisé par sa roche délitée. Quelques cairns guident les pas du randonneur en direction de l'objectif du jour, la Tour Salière, amoncellement austère de tours démantelées. Les ressauts les plus abrupts se contournent dans le versant S. Inutile de dire que la vue dont on jouit depuis son point culminant est à la hauteur de l'effort consenti. Le regard se perd dans les contreforts de cimes demeurant à l'abri de l'afflux estival. Le marcheur solitaire s'y abîmera sans se préoccuper de savoir si le plaisir éphémère de s'y reposer s'en trouvera ou non altéré par le retour prochain à la civilisation.
Pour la descente, j'ai opté pour le versant NW et son itinéraire 866 dans le guide du CAS. On suit de façon de brève l'arête Nord de la Tour en direction du Dome et puis on descend plus franchement en visant le glacier de la Tour Salière en contrebas. Même si d'après le guide, les crampons sont indispensables, en réalité, avec le réchauffement climatique de ces dernières années, le couloir enneigé qui justifie le recours à un tel équipement technique a fait régresser la neige à tel point qu'il est presque devenu superflu. 
Après quelques pas nécessitant une certaine vigilance, on peut se relâcher en s'orientant vers le Col de la Tour Salière, en longeant les restes d'un glacier en perdition, dont les profondes crevasses peu menacantes rappellent tout de même l'hostilité du milieu. Enfin, on peut sans autre rallier la Combe des fonds en se servant au mieux des pentes de neige permettant une alternance de glissades ludiques et peu dangereuses.
L'attention peut alors se porter intégralement à la beauté des montagnes environnantes, qui vues sous un autre angle, n'apparaissent pas moins prodigieusement attirantes.
Le VTT au retour apporte finalement un réconfort pour le moins appréciable après une telle journée.