Sur le Pembrokeshire Coast Path : Quatrième étape, de West Angle Bay à Pembroke
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Je suis réveillé deux fois pendant la nuit par des averses de pluie qui frappe contre le toit juste au-dessus de moi, puis une nouvelle fois à 6 heures 30. A chaque fois je me rendors sans problème, mais quand je me réveille définitivement à 7h 30, il pleut fort. Je me rappelle pourtant que les prévisions météo (que je n'ai pas vues depuis quatre jours, il faut l'avouer) n'était pas si mauvaises : nuageux avec quelques petites averses, si je me souviens bien. Sûr que ça s'arrêtera une fois que je serai en route. Mes pieds me font encore mal après le marathon goudronné d'hier, alors je fais bien attention de protéger les endroits les plus sensibles. Comme prévu, après une nuit dans la salle de bain non chauffée, mes vêtements sont tout aussi mouillés qu'hier soir. Pire, mes chaussures n'ont toujours pas fini de sécher depuis avant-hier.
Je prends un petit déjeuner assez tardif, car l'étape du jour n'est pas très longue. Depuis Angle, le sentier du littoral fait un énorme détour vers l'intérieur des terres pour contourner l'estuaire de Milford Haven. Aujourd'hui et demain, je traverserai des paysages très différents de ceux que j'ai vus jusqu'ici et ce ceux que je verrai par la suite. Entre ici Sandy Haven, juste en face sur la rive nord de l'estuaire, je vais traverser des zones bien plus urbanisées et industrielles qu'ailleurs sur le sentier. Ce secteur est d'ailleurs le seul qui ne soit pas à l'intérieur du Parc national. Une bonne partie du pétrole et du gaz consommés en Grande-Bretagne arrive par l'estuaire de Milford et il faut avouer que le paysage en a souffert. Cependant, le tracé du sentier réussit à rester relativement à l'écart de l'industrie, qui reste souvent invisible même quand elle est toute près.
La salle du pub est froide et vide, mais la patronne est sympa et reste discuter un peu lorsqu'elle m'apporte les sandwiches que j'ai commandées pour midi. Elle me dit qu'en plus de gérer son bistrot, elle travaille pour le service des garde-côte, et doit souvent intervenir pour des opérations de secours sur la partie du sentier que j'ai parcourue hier. Des suicides, des promeneurs qui se sont aventurés sur les rochers et se sont fait prendre par la marée montante, des chiens tombés par-dessus la falaise, des propriétaires de chiens qui sont descendus secourir lesdits chiens et sont restés bloqués… Quand je pense à toutes les montées et descentes du sentier, je n'ose pas imaginer l'effort nécessaire pour intervenir en urgence avec 25 kilos de matériel de secours sur le dos !
Je prends mon temps à déjeuner et ne pars du pub qu'à dix heures : de toute façon, je sais que la réception n'ouvre pas avant 17 heures au bed and breakfast où je dors ce soir, donc inutile de me précipiter. Aujourd'hui, il faut absolument que je m'impose un rythme lent. Hier j'ai trop forcé sur la route, et mes muscles et tendons en ont souffert. J'ai l'impression que la pluie s'est arrêté mais je me trompe, il tombe un bon vieux crachin gallois, pour ne pas dire breton. Je retourne à l'intérieur pour m'équiper contra la pluie, toujours convaincu que ce ne sera qu'une averse. En réalité, c'est une averse qui va durer pas loin de 12 heures et qui déposer même un peu de neige sur les collines du Carmarthenshire, pas bien loin d'ici.
Avant d'avancer vers l'est et vers Pembroke, je dois tout d'abord faire le tour de la péninsule d'Angle, que j'airais théoriquement dû faire hier mais que j'ai finalement laissé pour aujourd'hui, sans quoi l'étape du jour aurait vraiment été très courte. Je remonte la rue unique du village jusqu'à West Angle Bay, sombre et gris ce matin sous un ciel de plomb, avec le vieux fort massif et menaçant au milieu de la baie. A 10h 30, je reprends l'itinéraire là où je l'ai quitté la veille. Une piste caillouteuse monte doucement vers le haut des petites falaises qui ferment la vallée d'Angle au nord. Ces falaises basses sont bien boisées et le sentier est le plus souvent à l'abri de la pluie. Vers le sud, les maisons d'Angle s'étirent le long de la rue du village, parallèle à mon itinéraire. Le sentier passe dans des tunnels de verdure, longe des champs, passe par de nombreuses barrières en bois. Au milieu de l'estuaire, un gros pétrolier est en train de décharger sa cargaison à l'une des jetées qui s'étendent depuis la rive opposée. Les petits bateaux des pilotes vont et viennent, ridiculement petits à côté du pétrolier. Devant, encadré par deux arbres et une clôture, les cheminées de la raffinerie qui dominera le paysage de la matinée et celles de la centrale électrique qui seront souvent présentes cet après-midi.
Je passe l'abri du canot de sauvetage d'Angle, puis descends doucement à travers bois pour regagner le bord de la plage à l'extrémité nord d'Angle Bay, c'est-à-dire l'anse qui se trouve à l'autre bout du village par rapport à West Angle Bay. Les quelques petites cottages de pêcheurs, reconverties en maisons de vacances, sont encore fermées. La marée descend et les quelques voiliers attendent tranquillement sur la vase que l'eau revienne. Ce paysage de vase sur fond de ciel gris et de clocher d'église encore plus grise est, il faut le dire, un peu gris...
Je contourne le bout de l'anse sur les galets au-dessus de la mer, puis remonte sur une petite route privée qui continue vers le sud, le long de la plage. La pluie s'est intensifiée, mais cette route est bien protégée par les arbres et la vue vers le nord, avec la baie vaseuse et les champs derrière est sympathique. Par beau temps, ce serait un bel endroit à croquis ! Malgré le temps, je prends du plaisir à ce début d'étape.
Au bout d'un kilomètre, la route s'éloigne de la mer et je prends un sentier qui bifurque à gauche, traverse un sous-bois puis se perd dans des pâturages qui n'ont pas encore été tondus par les vaches. La pluie est devenu torrentielle, l'herbe m'arrive aux genoux… c'est le début d'un processus qui – je le sais déjà – va conduite inévitablement à la formation de mares à canards à l'intérieur de mes chaussures. Le pâturage fait place à un champ labouré, où j'ai le choix entre l'herbe longue détrempée ou la boue rouge collante. J'opte pour un mélange des deux : de la boue jusqu'à ce que ça colle trop, puis l'herbe pour enlever la boue et tout bien laver (y compris mes chaussettes et pieds). La raffinerie est toute proche maintenant et ne peut plus être ignorée. Ses cuves et cheminées remplissent la vue devant moi, et elle émet toute une gamme de bruitages de vapeur et de tuyauterie. A ma droite, les vestiges d'une raffinerie plus ancienne, désaffectée et désormais recolonisée par la nature, mais la forme géométrique de ces buttes recouvertes d'herbes folles n'a rien de naturel.
Arrivé au bout des champs, mon itinéraire se poursuit sur une route qui remonte petit à petit au promontoire Popton Point. Ici, il y a un autre grand fort du 19ème siècle, mais celui-ci est en parfait état et sert visiblement encore à quelque chose, peut-être comme bureaux pour la raffinerie. Face à moi, l'eau de pluie ruisselle vers le bas de la pente en petites vagues, mimant à perfection la marée qui monte. L'heure du casse croûte est passée depuis quelque temps déjà, mais je ne trouve aucun endroit pour me mettre à l'abri. Au-delà du fort de Popton, le sentier descend entre des haies et sous le couvert des arbres, mais ceux-ci ont jeté l'éponge et abandonné le combat contre la pluie. Il tombe autant de gouttes depuis les branches que depuis le ciel proprement dit. Je traverse Bullwell Bay, petite anse de galets bordée de pentes boisées tapissées de jacinthes des bois : autrefois, c'était certainement un endroit plain de charme, mais la vue vers le large a été coupée par une grande jetée parallèle au rivage, à une centaine de mètres de celui-ci. Si j'avais regardé la carte, j'aurais vu qu'il y a une grotte ici où j'aurais peut-être pu m'abriter. Mais j'ai rangé la carte au sec dans mon sac à dos et n'ai vraiment pas envie de tout mouiller en l'ouvrant ! Un peu plus loin, le sentier passe sous une autre jetée ; peut-être que j'y trouverai un coin sec, même si l'endroit sera plus que bizarre pour manger. Mais la construction ne porte que des pipelines, il n'y a pas de plancher solide, et la pluie passe sans peine entre les tuyaux.
Après ce passage industriel, la suite de l'itinéraire redevient beaucoup plus rural. Même si on sait que la raffinerie n'est qu'à quelques centaines de mètres, on ne la voit plus et, par beau temps, ce serait une très jolie balade. La sentier quitte l'estuaire pour grimper à travers champs, plutôt raide, puis se perd un peu dans le bocage. Pour une fois – la seule en treize jours de randonnée – le balisage est mal fait et je dois revenir sur mes pas pour retrouver le bon chemin. Les pâturages font place à une piste faite davantage de flaques que de terre, qui descend dans une vallée marécageuse et rejoint une petite route non loin du hameau abandonné (pour cause de raffinerie) de Pwllcrochan. Je me souviens d'avoir lu dans mon topoguide qu'il y a une église ici et espère trouver un endroit abrité sous le porche. Mais l'église n'est pas visible depuis la route et je la loupe complètement. Ce n'est qu'un quart d'heure plus tard que je me rends compte que j'ai dû traverser le hameau sans le voir, et je n'ai pas le courage de rebrousser chemin. J'ai peut-être bien fait : quelques jours plus tard, un autre randonneur me dira que l'église appartient désormais à un certain M. Texaco (à moins que ce ne soit sa cousine Mlle Esso, je ne sais plus) et que l'accès est interdit au public.
Jusqu'à présent, je n'ai ressenti aucune trace des douleurs aux jambes d'hier. J'ai fait exprès d'aller lentement, malgré la météo qui inciterait plutôt à courir pour arriver plus vite. Mais maintenant, j'ai un nouveau souci : depuis Pwllcrochan, je ressens une douleur au tendon d'Achille droit. C'est la première fois de ma vie que j'ai mal en cet endroit, et cela m'inquiète, car la douleur semble s'empirer. La petite route se dirige vers les cinq cheminées du centrale électrique de Pembroke (qui dit que les paysages industriels sont monotones… avant c'était des raffineries, maintenant c'est des centrales !), puis un sentier repart à travers champs et tout devient bucolique une fois de plus. Derrière une clôture, des agneaux me regardent, sans s'inquiéter ni s'enfuir comme ceux des falaises. Leur mère a dû leur dire que derrière la clôture, ils ne craignent rien des vilains randonneurs. Le sentier grimpe jusqu'à Lambeeth Farm, passe dans la cour même de la ferme, puis descend deux fois coup sur coup dans de très beaux vallons envahis de verdure et de jacinthes des bois. Dans le second vallon, je trouve enfin un endroit pour casser la croûte au sec. Au fond de ce vallon, un petit ruisseau bien gonflé par la pluie s'écoule vers les vases de l'estuaire maintenant complètement vidé de ses eaux. A côté du ruisseau, je repère un vieux bâtiment à moitié ruiné : en lisant mon topo plus tard, j'apprendrai qu'il s'agit d'un ancien four à chaux. Cela n'a rien d'un cinq étoiles, ni du lieu de pique-nique dans les dunes d'hier, mais il y a un toit par lequel l'eau ne passe pas. Je mange vite pour ne pas me refroidir davantage, puis vérifie que le contenu de mon sac résiste au déluge. Mes vêtements de rechange sont bien au sec dans un sac poubelle, pas de problème de ce côté-là. Par contre, j'ai oublié de mettre mon téléphone et mon portefeuille plus à l'abri : dans la poche supérieure du sac, ils sone bien humides. Heureusement que mon passeport est resté chez ma sœur !
Le reste de la journée est un calvaire, il faut l'avouer. Quittant le vallon, le sentier rejoint rapidement une petite route ; dans un premier temps je suis content de quitter la boue glissante des sentiers, puis je me rends compte que les cinq kilomètres restants vont être sur goudron. La route serpente entre les champs, montant petit à petit vers 70 mètres, point culminant de cette journée pas très alpine. Mon tendon d'Achille me fait de plus en plus mal, ça pourrait vraiment être embêtant pour la suite. Peu avant le village de Hundleton, le balisage me dit d'aller droit vers le milieu d'un énorme champ de colza. J'ai la flemme de faire tout le tour pour retrouver le sentier de l'autre côté, je continue sur la route. A Hundleton, la petite route rejoint une grande route, qui me mène au bout d'un kilomètre à Monkton, banlieue résidentielle de Pembroke. Une dernière descente et me voilà enfin sur le pont au pied de l'impressionnant château Pembroke, où je vais passer la nuit (à Pembroke je veux dire, pas au château…).
Mon bed & breakfast se trouve tout à l'autre bout de Main Street, la rue principale de ce petit bourg de campagne. La rue pourrait être jolie, il y a de nombreuses belles et vieilles maisons et plusieurs pubs, mais la moitié des magasins semblent être fermées : basse saison, crise économique ou un peu des deux. J'arrive au B&B une demi-heure avant l'ouverture mais je suis mouillé et j'ai froid, je tente ma chance et je sonne. Un petit panneau à côté de la sonnette me demande d'être patient car "la maison est très grande, il nous faut au moins deux minutes pour arriver jusqu'à la porte". J'ai une vision de petite vieille en costume traditionnel qui a de la peine à avancer dans les dédales de sa maison, mais en fait c'est une jeune femme qui finit par venir… non pas quand je sonne car ça ne répond pas, mais quand je téléphone depuis le pas de la porte. Une minute (et non pas deux) plus tard, je suis au chaud.
Le Penfro B&B est une merveille. De l'extérieur, la maison ne paie pas de mine, c'est une grande maison bourgeoise du 18ème siècle comme il y en a beaucoup dans les villes de la région. Mais quelle surprise quand on rentre : d'abord un long hall d'entrée tout encombré de meubles d'époque, puis un escalier monumental qui serait parfaitement à sa place dans un petit château de la campagne française. Je m'excuse de mon état plutôt humide et propose de ne pas enlever mes chaussures… ce qui est dedans doit être bien pire ! La chambre est immense, elle doit faire six mètres au carré et pas loin de quatre mètres de haut. Il y a du chauffage central et mon œil de randonneur mouillé a tout de suite repéré deux radiateurs dans la chambre et un dans la salle de bain. Le décor est original et vraiment sympa, il y a des meubles anciens et un WC vieux style où on doit encore tirer sur une chaîne pour activer la chasse d'eau. La patronne me demande si je sais m'en servir, car certains clients ne savent pas. Je la rassure, je suis assez vieux pour connaître ça.. Et puis, comble du luxe, une vieille baignoire bien profonde, installé sur une petite plate-forme, cela ajoute quelques centimètres de dénivelée à une journée qui n'en a pas compté beaucoup ! Je trempe dans l'eau chaude, mon corps reprend vie petit à petit, puis je crée un beau chaos dans la chambre en pendant des affaires mouillées au moindre crochet, tringle et radiateur.
Je retrouve ma sœur et son ami pour dîner car, même si j'ai mis quatre jours pour y arriver, je ne me trouve qu'à 15 kilomètres de chez eux. Nous avons rendez-vous à 19h au King's Arms, joli pub situé à l'autre bout de Main Street. J'y arrive avec une demi-heure d'avance pour déguster le désormais traditionnelle bière d'après-rando-avant-souper. Je suis gâté, il y a trois sortes différentes de bitter... faudrait-il les essayer toutes ? Le repas est excellent, une entrés à base d'asperges de la région, un plat principal d'agneau. Vers 20h 30, alors que nous finissons de manger et attaquons le dernier verre, une espèce de lumière rouge-jaune bizarre entre tout d'un coup par la fenêtre… tiens, voilà le soleil…
Etape suivante
Etape précédente
Je suis réveillé deux fois pendant la nuit par des averses de pluie qui frappe contre le toit juste au-dessus de moi, puis une nouvelle fois à 6 heures 30. A chaque fois je me rendors sans problème, mais quand je me réveille définitivement à 7h 30, il pleut fort. Je me rappelle pourtant que les prévisions météo (que je n'ai pas vues depuis quatre jours, il faut l'avouer) n'était pas si mauvaises : nuageux avec quelques petites averses, si je me souviens bien. Sûr que ça s'arrêtera une fois que je serai en route. Mes pieds me font encore mal après le marathon goudronné d'hier, alors je fais bien attention de protéger les endroits les plus sensibles. Comme prévu, après une nuit dans la salle de bain non chauffée, mes vêtements sont tout aussi mouillés qu'hier soir. Pire, mes chaussures n'ont toujours pas fini de sécher depuis avant-hier.
Je prends un petit déjeuner assez tardif, car l'étape du jour n'est pas très longue. Depuis Angle, le sentier du littoral fait un énorme détour vers l'intérieur des terres pour contourner l'estuaire de Milford Haven. Aujourd'hui et demain, je traverserai des paysages très différents de ceux que j'ai vus jusqu'ici et ce ceux que je verrai par la suite. Entre ici Sandy Haven, juste en face sur la rive nord de l'estuaire, je vais traverser des zones bien plus urbanisées et industrielles qu'ailleurs sur le sentier. Ce secteur est d'ailleurs le seul qui ne soit pas à l'intérieur du Parc national. Une bonne partie du pétrole et du gaz consommés en Grande-Bretagne arrive par l'estuaire de Milford et il faut avouer que le paysage en a souffert. Cependant, le tracé du sentier réussit à rester relativement à l'écart de l'industrie, qui reste souvent invisible même quand elle est toute près.
La salle du pub est froide et vide, mais la patronne est sympa et reste discuter un peu lorsqu'elle m'apporte les sandwiches que j'ai commandées pour midi. Elle me dit qu'en plus de gérer son bistrot, elle travaille pour le service des garde-côte, et doit souvent intervenir pour des opérations de secours sur la partie du sentier que j'ai parcourue hier. Des suicides, des promeneurs qui se sont aventurés sur les rochers et se sont fait prendre par la marée montante, des chiens tombés par-dessus la falaise, des propriétaires de chiens qui sont descendus secourir lesdits chiens et sont restés bloqués… Quand je pense à toutes les montées et descentes du sentier, je n'ose pas imaginer l'effort nécessaire pour intervenir en urgence avec 25 kilos de matériel de secours sur le dos !
Je prends mon temps à déjeuner et ne pars du pub qu'à dix heures : de toute façon, je sais que la réception n'ouvre pas avant 17 heures au bed and breakfast où je dors ce soir, donc inutile de me précipiter. Aujourd'hui, il faut absolument que je m'impose un rythme lent. Hier j'ai trop forcé sur la route, et mes muscles et tendons en ont souffert. J'ai l'impression que la pluie s'est arrêté mais je me trompe, il tombe un bon vieux crachin gallois, pour ne pas dire breton. Je retourne à l'intérieur pour m'équiper contra la pluie, toujours convaincu que ce ne sera qu'une averse. En réalité, c'est une averse qui va durer pas loin de 12 heures et qui déposer même un peu de neige sur les collines du Carmarthenshire, pas bien loin d'ici.
Avant d'avancer vers l'est et vers Pembroke, je dois tout d'abord faire le tour de la péninsule d'Angle, que j'airais théoriquement dû faire hier mais que j'ai finalement laissé pour aujourd'hui, sans quoi l'étape du jour aurait vraiment été très courte. Je remonte la rue unique du village jusqu'à West Angle Bay, sombre et gris ce matin sous un ciel de plomb, avec le vieux fort massif et menaçant au milieu de la baie. A 10h 30, je reprends l'itinéraire là où je l'ai quitté la veille. Une piste caillouteuse monte doucement vers le haut des petites falaises qui ferment la vallée d'Angle au nord. Ces falaises basses sont bien boisées et le sentier est le plus souvent à l'abri de la pluie. Vers le sud, les maisons d'Angle s'étirent le long de la rue du village, parallèle à mon itinéraire. Le sentier passe dans des tunnels de verdure, longe des champs, passe par de nombreuses barrières en bois. Au milieu de l'estuaire, un gros pétrolier est en train de décharger sa cargaison à l'une des jetées qui s'étendent depuis la rive opposée. Les petits bateaux des pilotes vont et viennent, ridiculement petits à côté du pétrolier. Devant, encadré par deux arbres et une clôture, les cheminées de la raffinerie qui dominera le paysage de la matinée et celles de la centrale électrique qui seront souvent présentes cet après-midi.
Je passe l'abri du canot de sauvetage d'Angle, puis descends doucement à travers bois pour regagner le bord de la plage à l'extrémité nord d'Angle Bay, c'est-à-dire l'anse qui se trouve à l'autre bout du village par rapport à West Angle Bay. Les quelques petites cottages de pêcheurs, reconverties en maisons de vacances, sont encore fermées. La marée descend et les quelques voiliers attendent tranquillement sur la vase que l'eau revienne. Ce paysage de vase sur fond de ciel gris et de clocher d'église encore plus grise est, il faut le dire, un peu gris...
Je contourne le bout de l'anse sur les galets au-dessus de la mer, puis remonte sur une petite route privée qui continue vers le sud, le long de la plage. La pluie s'est intensifiée, mais cette route est bien protégée par les arbres et la vue vers le nord, avec la baie vaseuse et les champs derrière est sympathique. Par beau temps, ce serait un bel endroit à croquis ! Malgré le temps, je prends du plaisir à ce début d'étape.
Au bout d'un kilomètre, la route s'éloigne de la mer et je prends un sentier qui bifurque à gauche, traverse un sous-bois puis se perd dans des pâturages qui n'ont pas encore été tondus par les vaches. La pluie est devenu torrentielle, l'herbe m'arrive aux genoux… c'est le début d'un processus qui – je le sais déjà – va conduite inévitablement à la formation de mares à canards à l'intérieur de mes chaussures. Le pâturage fait place à un champ labouré, où j'ai le choix entre l'herbe longue détrempée ou la boue rouge collante. J'opte pour un mélange des deux : de la boue jusqu'à ce que ça colle trop, puis l'herbe pour enlever la boue et tout bien laver (y compris mes chaussettes et pieds). La raffinerie est toute proche maintenant et ne peut plus être ignorée. Ses cuves et cheminées remplissent la vue devant moi, et elle émet toute une gamme de bruitages de vapeur et de tuyauterie. A ma droite, les vestiges d'une raffinerie plus ancienne, désaffectée et désormais recolonisée par la nature, mais la forme géométrique de ces buttes recouvertes d'herbes folles n'a rien de naturel.
Arrivé au bout des champs, mon itinéraire se poursuit sur une route qui remonte petit à petit au promontoire Popton Point. Ici, il y a un autre grand fort du 19ème siècle, mais celui-ci est en parfait état et sert visiblement encore à quelque chose, peut-être comme bureaux pour la raffinerie. Face à moi, l'eau de pluie ruisselle vers le bas de la pente en petites vagues, mimant à perfection la marée qui monte. L'heure du casse croûte est passée depuis quelque temps déjà, mais je ne trouve aucun endroit pour me mettre à l'abri. Au-delà du fort de Popton, le sentier descend entre des haies et sous le couvert des arbres, mais ceux-ci ont jeté l'éponge et abandonné le combat contre la pluie. Il tombe autant de gouttes depuis les branches que depuis le ciel proprement dit. Je traverse Bullwell Bay, petite anse de galets bordée de pentes boisées tapissées de jacinthes des bois : autrefois, c'était certainement un endroit plain de charme, mais la vue vers le large a été coupée par une grande jetée parallèle au rivage, à une centaine de mètres de celui-ci. Si j'avais regardé la carte, j'aurais vu qu'il y a une grotte ici où j'aurais peut-être pu m'abriter. Mais j'ai rangé la carte au sec dans mon sac à dos et n'ai vraiment pas envie de tout mouiller en l'ouvrant ! Un peu plus loin, le sentier passe sous une autre jetée ; peut-être que j'y trouverai un coin sec, même si l'endroit sera plus que bizarre pour manger. Mais la construction ne porte que des pipelines, il n'y a pas de plancher solide, et la pluie passe sans peine entre les tuyaux.
Après ce passage industriel, la suite de l'itinéraire redevient beaucoup plus rural. Même si on sait que la raffinerie n'est qu'à quelques centaines de mètres, on ne la voit plus et, par beau temps, ce serait une très jolie balade. La sentier quitte l'estuaire pour grimper à travers champs, plutôt raide, puis se perd un peu dans le bocage. Pour une fois – la seule en treize jours de randonnée – le balisage est mal fait et je dois revenir sur mes pas pour retrouver le bon chemin. Les pâturages font place à une piste faite davantage de flaques que de terre, qui descend dans une vallée marécageuse et rejoint une petite route non loin du hameau abandonné (pour cause de raffinerie) de Pwllcrochan. Je me souviens d'avoir lu dans mon topoguide qu'il y a une église ici et espère trouver un endroit abrité sous le porche. Mais l'église n'est pas visible depuis la route et je la loupe complètement. Ce n'est qu'un quart d'heure plus tard que je me rends compte que j'ai dû traverser le hameau sans le voir, et je n'ai pas le courage de rebrousser chemin. J'ai peut-être bien fait : quelques jours plus tard, un autre randonneur me dira que l'église appartient désormais à un certain M. Texaco (à moins que ce ne soit sa cousine Mlle Esso, je ne sais plus) et que l'accès est interdit au public.
Jusqu'à présent, je n'ai ressenti aucune trace des douleurs aux jambes d'hier. J'ai fait exprès d'aller lentement, malgré la météo qui inciterait plutôt à courir pour arriver plus vite. Mais maintenant, j'ai un nouveau souci : depuis Pwllcrochan, je ressens une douleur au tendon d'Achille droit. C'est la première fois de ma vie que j'ai mal en cet endroit, et cela m'inquiète, car la douleur semble s'empirer. La petite route se dirige vers les cinq cheminées du centrale électrique de Pembroke (qui dit que les paysages industriels sont monotones… avant c'était des raffineries, maintenant c'est des centrales !), puis un sentier repart à travers champs et tout devient bucolique une fois de plus. Derrière une clôture, des agneaux me regardent, sans s'inquiéter ni s'enfuir comme ceux des falaises. Leur mère a dû leur dire que derrière la clôture, ils ne craignent rien des vilains randonneurs. Le sentier grimpe jusqu'à Lambeeth Farm, passe dans la cour même de la ferme, puis descend deux fois coup sur coup dans de très beaux vallons envahis de verdure et de jacinthes des bois. Dans le second vallon, je trouve enfin un endroit pour casser la croûte au sec. Au fond de ce vallon, un petit ruisseau bien gonflé par la pluie s'écoule vers les vases de l'estuaire maintenant complètement vidé de ses eaux. A côté du ruisseau, je repère un vieux bâtiment à moitié ruiné : en lisant mon topo plus tard, j'apprendrai qu'il s'agit d'un ancien four à chaux. Cela n'a rien d'un cinq étoiles, ni du lieu de pique-nique dans les dunes d'hier, mais il y a un toit par lequel l'eau ne passe pas. Je mange vite pour ne pas me refroidir davantage, puis vérifie que le contenu de mon sac résiste au déluge. Mes vêtements de rechange sont bien au sec dans un sac poubelle, pas de problème de ce côté-là. Par contre, j'ai oublié de mettre mon téléphone et mon portefeuille plus à l'abri : dans la poche supérieure du sac, ils sone bien humides. Heureusement que mon passeport est resté chez ma sœur !
Le reste de la journée est un calvaire, il faut l'avouer. Quittant le vallon, le sentier rejoint rapidement une petite route ; dans un premier temps je suis content de quitter la boue glissante des sentiers, puis je me rends compte que les cinq kilomètres restants vont être sur goudron. La route serpente entre les champs, montant petit à petit vers 70 mètres, point culminant de cette journée pas très alpine. Mon tendon d'Achille me fait de plus en plus mal, ça pourrait vraiment être embêtant pour la suite. Peu avant le village de Hundleton, le balisage me dit d'aller droit vers le milieu d'un énorme champ de colza. J'ai la flemme de faire tout le tour pour retrouver le sentier de l'autre côté, je continue sur la route. A Hundleton, la petite route rejoint une grande route, qui me mène au bout d'un kilomètre à Monkton, banlieue résidentielle de Pembroke. Une dernière descente et me voilà enfin sur le pont au pied de l'impressionnant château Pembroke, où je vais passer la nuit (à Pembroke je veux dire, pas au château…).
Mon bed & breakfast se trouve tout à l'autre bout de Main Street, la rue principale de ce petit bourg de campagne. La rue pourrait être jolie, il y a de nombreuses belles et vieilles maisons et plusieurs pubs, mais la moitié des magasins semblent être fermées : basse saison, crise économique ou un peu des deux. J'arrive au B&B une demi-heure avant l'ouverture mais je suis mouillé et j'ai froid, je tente ma chance et je sonne. Un petit panneau à côté de la sonnette me demande d'être patient car "la maison est très grande, il nous faut au moins deux minutes pour arriver jusqu'à la porte". J'ai une vision de petite vieille en costume traditionnel qui a de la peine à avancer dans les dédales de sa maison, mais en fait c'est une jeune femme qui finit par venir… non pas quand je sonne car ça ne répond pas, mais quand je téléphone depuis le pas de la porte. Une minute (et non pas deux) plus tard, je suis au chaud.
Le Penfro B&B est une merveille. De l'extérieur, la maison ne paie pas de mine, c'est une grande maison bourgeoise du 18ème siècle comme il y en a beaucoup dans les villes de la région. Mais quelle surprise quand on rentre : d'abord un long hall d'entrée tout encombré de meubles d'époque, puis un escalier monumental qui serait parfaitement à sa place dans un petit château de la campagne française. Je m'excuse de mon état plutôt humide et propose de ne pas enlever mes chaussures… ce qui est dedans doit être bien pire ! La chambre est immense, elle doit faire six mètres au carré et pas loin de quatre mètres de haut. Il y a du chauffage central et mon œil de randonneur mouillé a tout de suite repéré deux radiateurs dans la chambre et un dans la salle de bain. Le décor est original et vraiment sympa, il y a des meubles anciens et un WC vieux style où on doit encore tirer sur une chaîne pour activer la chasse d'eau. La patronne me demande si je sais m'en servir, car certains clients ne savent pas. Je la rassure, je suis assez vieux pour connaître ça.. Et puis, comble du luxe, une vieille baignoire bien profonde, installé sur une petite plate-forme, cela ajoute quelques centimètres de dénivelée à une journée qui n'en a pas compté beaucoup ! Je trempe dans l'eau chaude, mon corps reprend vie petit à petit, puis je crée un beau chaos dans la chambre en pendant des affaires mouillées au moindre crochet, tringle et radiateur.
Je retrouve ma sœur et son ami pour dîner car, même si j'ai mis quatre jours pour y arriver, je ne me trouve qu'à 15 kilomètres de chez eux. Nous avons rendez-vous à 19h au King's Arms, joli pub situé à l'autre bout de Main Street. J'y arrive avec une demi-heure d'avance pour déguster le désormais traditionnelle bière d'après-rando-avant-souper. Je suis gâté, il y a trois sortes différentes de bitter... faudrait-il les essayer toutes ? Le repas est excellent, une entrés à base d'asperges de la région, un plat principal d'agneau. Vers 20h 30, alors que nous finissons de manger et attaquons le dernier verre, une espèce de lumière rouge-jaune bizarre entre tout d'un coup par la fenêtre… tiens, voilà le soleil…
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stephen

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