Mini Kora du Mont Genye (6200m) - 2ème partie


Publiziert von Bertrand , 20. November 2019 um 18:00.

Region: Welt » China » Sichuan
Tour Datum: 4 Oktober 2019
Wandern Schwierigkeit: T5 - anspruchsvolles Alpinwandern
Wegpunkte:
Zeitbedarf: 8 Tage
Aufstieg: 4000 m
Abstieg: 4000 m
Strecke:Naiganduo - Sangdaka - Daodao Valley - Reti Valley hot springs - Ritong Camp - Xiaozha Niuchang - Xiaozha Lake en AR - Naiganduo (107 km)

Située au coeur du mythique pays Kham, l'une des 3 régions du Tibet historique avec l'Amdo et le Tibet occidental, le Genye est un massif extrêmement impressionnant culminant à 6200m (3ème sommet de la province du Sichuan). Le sommet lui même est un gros dome neigeux défendu de tous les cotés par des glaciers raides et déchiquetés, les vallées adjacentes sont au contraire enserrées entre parois et aiguilles rocheuses évoquant plutôt la Bregaglia ou la vallée de Chamonix - en version XXL ! Dans la cosmologie bouddhiste, le Genye est la 13ème montagne la plus sacrée du Tibet, quiconque parvient à en faire le tour complet (kora) est donc supposé donner un bon coup de boost à son karma...Des conditions nivo-météo hostiles ne nous ont pas permis de boucler totalement le circuit, mais ce petit trek plutôt aventureux restera néanmoins pour nous tous l'un de nos souvenirs les plus marquants.

Sur le terrain, on est bien loin des classiques du Népal ou du Ladakh : aucune carte digne de ce nom, aucun balisage, aucun chemin en dehors de quelques sentes d'animaux, d'immenses marécages, presque aucun pont, évidemment pas de réseau...bref sans l'organisation irréprochable de notre guide Yang Xiao / 羊小 (avec qui nous avions réalisé l'année passée la traversée du Tian Bao Shan  / 天宝山) et de son adjoint Frank nous n'aurions pas été bien loin.


Sur le plan pratique, pour notre groupe de 8 (Agnès & moi + nos 2 ados + belle famille + notre camarade Michel), nous avions à notre disposition une caravane de 12 chevaux guidés par 4 muletiers tibétains - dont l'un seul parlait chinois (!). Sniff, et moi qui me réjouissait de pratiquer mon - médiocre - mandarin avec eux (l'anglais étant évidemment aussi inconnu au Tibet que dans le reste de la Chine)...Les chevaux ne peuvent pas franchir le col principal à 5150m, il faut (aurait fallu) donc être autonome 2 jours durant avant de retrouver la caravane (qui fait le tour par le bas) dans la vallée opposée  de 冷谷 / lenggu.

Petit journal de bord jour après jour (2ème partie, la 1ère partie est ici)


Lundi 30/09 : Reti Hotsprings - Lower Reti valley (4190). 10.4km/+100m, 4h30 de marche
 
Il a continué à pleuvoir la nuit par intermittence, au matin le ciel est encore bouché et les quelques trouées en direction du col montrent que celui-ci est enneigé dès 4600-4700m. Le calcul est vite fait : on est 10. Les sacs seront lourds (puisqu'il faudra tout porter). La météo est instable (pour ne pas dire pourrie). On doit s'attendre à cheminer dans des hectares de pierriers suffisamment malcommodes pour que les chevaux tibétains - pourtant diablement agiles - ne puissent pas les franchir. Les pierriers en question seront de surcroit recouverts de neige fraiche. Insister est vraiment prendre un gros risque (de but ou pire si affinités) dans une région aussi isolée, sans réseau téléphonique,  sans secours organisé en cas de pépin - et bien sur sans chevaux.


On se casse d'ici ! Michel et Arnaud à la manoeuvre

Plutôt que de perdre une journée (donc deux avec le 1/2 tour prévisible) à aller voir de plus près le pied du col 10km plus loin, nous préférons à l'unanimité renoncer d'emblée. Cela permettra de garder un peu de temps pour explorer la partie orientale du massif avec de nouvelles sources chaudes et surtout un lac sacré à 4700m annoncé particulièrement impressionnant. Tout le monde est évidemment un peu déçu de ne pas pouvoir boucler le tour complet, bien plus élégant - et garant d'un bon coup de boost au karma. Mais c'est la rançon de ce genre de voyage où il est difficile de tout prévoir. Et puis il faut admettre qu'en tant que quinquas on abandonne plus facilement qu'à 20 ans.


Retour confortable sur les bords du torrent. Loin au fond, le col enneigé.


Ah les promenades familiales, quel enfant n'en a pas souffert...


La journée est du coup un peu morose à refaire en sens inverse ce qu'on a fait la veille. Le ciel reste changeant avec éclaircies et courtes giboulées, mais aussi quelques degrés de plus. Pour éviter de se refarcir le grand marais central, Agnès et moi jouons les francs-tireurs en suivant strictement les méandres de la rivière. Avec juste 10mn pieds nus pour traverser 3 affluents, nous arrivons aux 1ères yourtes 15mn avant  tous les autres, qui avaient suivi nos guides dans l'infâme pierrier bordant la forêt. "你 / you win" dira Yang Xiao, beau joueur...Le pauvre, c'est vraiment pas son jour : il passera à la flotte un peu plus loin en cherchant à traverser la rivière sans se déchausser sur le dos d’une de nos juments. Qui jugea rapidement qu'avec déjà 80 kg de bagages sur le dos, même le Chinois maigrichon était de trop ! Le bref rodéo se terminera heureusement sans autre dégât qu'un gros plouf et ego un peu meurtri.


Franchissement à l'envers de la Rieti river. En plus il pleut.

Pour nous consoler, nos muletiers nous dégottent un camp somptueux à l'herbe plate et moélleuse,  le soleil déclinant permet même de sécher un peu les affaires. Le tarif du lendemain est annoncé par Frank autour du dessert (de l'excellent chocolat hollandais  - mais si !) : plus de 20 km et sans doute 8 à 9 heures de marche. L'idée est de garder du temps ensuite pour la visite du vieux monastère de Lenggu - et pour la redoutable montée au lac sacré.


Le camp du soir. La vie reste quand même belle...


Le camp du soir. Avec la forêt à 4400m, c'est pas le bois qui manque !


Le diner des muletiers. Nous on est déjà au lit !


Mardi 1/10 : Lower Reti valley - Ritong camp (4040). 20.5km, +840m, 9h30 de marche
 


Au réveil. Une longue journée s'annonce.

Départ aux aurores ce matin : 8h40 ! On ne se sera jamais levés aussi tôt...ça ferait bien rire les sirdars népalais. La matinée se fait encore en sens inverse de l'avant-veille, je sacrifie cette-fois mes chaussures de trail pour franchir l'infecte rivière théâtre de ma crise de panique du 2ème jour - elles sècheront finalement d'ici au soir : même avec un ciel capricieux le soleil cogne quand même pas mal à la latitude de Marrakech. Ensuite place à l'aventure :  histoire de varier les plaisirs, Yang Xiao et Zicheng choisissent d'emprunter l' "upper trail" ou "sentier supérieur". Bon ne pas imaginer un chemin pour autant, hein ! Juste quelques sentes bétaillères discontinues reliant vallons et marécages, bref l'ordinaire du Genye. L'itinéraire (sic) figure pourtant sur la carto en ligne d'Orux Maps "South China" - en voilà qui ont dû carburer aux champignons hallucinogènes pour lesquels le coin est également réputé !

Nous débouchons sur une épaule vers 4500m alors que l'après-midi est bien avancé de même que la fatigue de certains - mais la suite est un pur enchantement : éclairée par le soleil déclinant, une longue croupe herbeuse descend en pente douce jusqu'à un joli camp que nous atteignons sur les coups de 18h. C'est en arrivant qu'on réalise que l'herbe est juste un peu en pente...en fait vraiment en pente...mais après 21km à plus de 4000m c'est presque un détail.


La guerre commerciale Chine-US n'est pas encore arrivée au Tibet...

Les dernières forces sont employées à monter les tentes (la tête en haut surtout) avant de s'affaler devant le diner - inhabituellement frugal ce soir-là : ben oui il est tard, et puis il faut bien consommer les sachets déhydratés prévus initialement pour le passage du col ! On n'a pas forcément vu la différence entre le beef curry et les eggs & potatoes, mais comme chacun sait quand on a faim...Yang Xiao nous avouera penaudement le lendemain que les ingrédients d'une des caisses s'étaient complètement mélangés - la jument avait dû s'offrir une petite séance de rodéo - et qu'il n'avait pas eu le courage de tout trier." 没 关系 / mei guanxi" - c'est la version chinoise de l'universel "no problem" !


"Bah, c'est pas si pire finalement - Ah tu trouves ?"


Chui fatigué !

Le fait saillant du jour : fini la tranquillité ! On est entrés dans la Golden Week chinoise, l'équivalent de notre semaine du 15 août dans l'Empire du Milieu. Bref on a réussi à venir la seule semaine de l'année qui ne nous permettra pas d'affirmer fièrement au retour "on n'a vu personne en dehors des bergers tibétains!" Bon on reste encore très loin du GR 20 ou du Khumbu, mais on croise désormais de temps à autre de petits groupes (issus en fait d'énormes groupes totalement éparpillés). Très folklo, au final, avec un certain nombre de caractéristiques communes :

- jeunes et joviaux, avec presque autant de filles que de garçons. Notre lapinou suscitera occasionnellement une véritable hystérie chez quelques marcheuses : "看, 小 朋友 ! / kan, xiao pengyou ! / regardez, un petit garçon !"

- équipés dernier cri (Arc'teryx, Goretex, etc...) de la tête au pied - l'équipement sort visiblement du magasin



- ployant sous des sacs plus gros qu'eux

- n'ayant de toute évidence pas la moindre idée ni de la rando, ni de la montagne, ni de l'itinéraire à suivre...

- laissant en général d'abondantes traces de leur passage (papiers, plastiques, ou pire si affinité)


Camp chinois...le tout est de rester groupés !

Yang Xiao nous résumera lapidairement la situation : "Des citadins en mal de sensation, ils ont vu un truc sur Instagram, ils s'inscrivent en ligne pour une rando itinérante à 20 ou 30 participants - on leur donne alors RV au camp du soir avec de vagues indications carto ou GPS..." On en croisera du coup quelques-un, hagards, sur les coups de 17h en train d'attaquer la remontée de l'interminable arête que l'on vient de descendre...incrédules quand Frank leur expliquera patiemment qu'ils n'ont aucune chance d'atteindre le camp suivant avant 23h - et encore pour peu d'avoir une bonne frontale et un solide sens de l'orientation !


Mercredi 2/10 : Ritong camp - Xiaozha Niuchang camp (4090). 12.3km/+500m, 5h30 de marche
 

Morning tea au gingembre. Il est vrai que les ardeurs sont un peu en berne à 4200m !

Nous faisons aujourd'hui une incursion dans la fameuse Cold Valley (冷谷 / lenggu) par laquelle nous aurions du arriver en franchissant le col à 5150m. Histoire d'améliorer notre karma pour la fin du circuit, Zicheng nous amène - en exigeant un silence absolu - vers une source sacrée un peu à l'écart du chemin. L'eau y est parait-il un remède souverain. "Ca soigne quoi, précisément ?". Zicheng regarde d'un air ahuri le mécréant ayant posé cette question stupide. "Ben voyons, tout évidemment"...Le gout ferrugineux est extrèmement prononcé, limite douceatre, pas mauvais en fait (et personne ne sera malade), on en fait donc une petite provision dans nos bouteilles en cas de souci par la suite. Bon je crois qu'elle finira hélas dans les toilettes de l'aéroport juste avant le contrôle de sécurité...



Chhhuuut...c'est l'eau sacrée du Lenggusi. Sans Micropur s'il vous plait. Et hop, une réincarnation de moins.

De la source sacrée, 1h suffit pour retrouver le nouveau monastère de Lenggu que nous avions découvert 5 jours plus tôt et qui a été construit au débouché de la vallée (ce qui permet d'y parvenir facilement en jeep, critère principal aujourd'hui). Mais c'est bien une heure de marche plus haut à travers la gorge inférieure de la Cold Valley que l'essentiel se dévoile : le vieux monastère de Lenggu, construit en 1500, dont seuls quelques derniers moines-ermites parviennent à assurer la préservation.


Au nouveau monastère de Lenggu. Arnaud prêt à prononcer ses voeux - mais j'ai heureusement eu du mal à traduire.


L'ancien monastère de Lenggu (4200m)


Informations touristiques : défense de nourrir les moines et les bouquetins. Non, c'est une blague !

Là c'est vraiment Tintin au Tibet : l'écrin de montagnes impressionnantes juste au dessus, mélange de Badile et d'Aiguilles de Chamonix. Les méandres de la rivière turquoise. La solitude et le silence juste troublés par les bêlements des chèvres et des bouquetins. Les statues dorées de tous les Boddhisatvas alignées dans l'immense pièce sombre et glaciale que nous fait visiter un vieux moine. Même si ces derniers montent aujourd'hui à moto (en chargeant de temps à autre un touriste chinois pour 50 yuans...), difficile de ne pas être sensible à l'intense spiritualité du lieux :  Frank nous avoue qu'il rêve de venir passer un hiver entier pour méditer ici. Il suffit de monter 3 mois de vivres et de combustible et de s'installer dans l'une des cabanes. Nous on va encore réfléchir.


Bouquetin local devant le Lenggusi


"M'en fous de vos papouilles - z'auriez pas plutôt un peu de sel ?"


L'hiver approche. Et méditer ne réchauffe guère !

La journée est plutôt douce et ensoleillée excepté les traditionnels nuages de l'après-midi et la rituelle brève giboulée d'arrivée au camp. Nous quittons le monastère vers midi, la rude montée plein cagnard juste au dessus sera notre ascèse à nous - en tous cas elle nous fait plutôt méditer sur le pourquoi de la marche en montagne. Monter pour descendre et vice-versa avant de recommencer plus ou moins sans fin, Sysiphe devait avoir de la famille en Himalaya.


Facile la vie au Tibet ? Mon cul, oui !

La longue descente finale nous dépose par contre dans l'endroit idéal pour se laver de son moi illusoire (et du reste de nos scories) : les sources chaudes de la vallée de Xiao Zha. L'eau est encore plus chaude qu'à Rieti, mais aussi beaucoup plus boueuse et les alentours sont franchement cradingues. Bref Yang Xiao a encore du boulot pour éduquer ses compatriotes - sur lesquels il tient d'ailleurs des discours méprisants dépourvus de toute compassion bouddhiste !



Anecdote du jour : on a enfin réussi à se perdre. Je veux dire se perdre les uns les autres. On en rigolera après mais hors de tout sentier, sans carte ni téléphone, on ne trouvait pas ça drôle du tout sur le moment. Valérie, encore un peu crevée du marathon de la veille, avait demandé une petite pause avant la dernière descente (bon ça on le saura après !). Mais la tête du groupe avait déjà plongé dans l'épaisse forêt dominant notre camp du soir. 15mn plus tard le groupe de tête réalise que la moitié du groupe manque à l'appel. Choeur de hurlements : pas de réponse. Concerts de sifflets (ceux des sacs à dos) : ça siffle en retour...mais ce sont les muletiers au camp juste en dessous qui nous croient perdus ! Frank descend leur expliquer le probléme, remonte dans la forêt avant de revenir bredouille : comme il n'y a pas de sentier ils ont pu en fait filer n'importe ou, se perdre...l'aiguille, la botte de foin...Bref ça sent le roussi.

15 minutes plus tard premier soulagement : Arnaud descend à travers la forêt, dré dans le pentu ! Chapeau lapinou, il nous a trouvé à l'oreille sur la base des coups de sifflets. L'explication est un peu confuse. Non personne n'est blessé, non, ils ne sont pas perdus entre les épineux et les barres rocheuses. Mais Valérie "s'est évanouie et saigne du nez" - "mais sinon elle va bien, elle peut de nouveau marcher" - "ils vont essayer de nous retrouver". Un dernier concerto de sifflets plus tard nous sommes à nouveau tous réunis. Encore tous empreints de la spiritualité du matin, aucune remarque agressive ne sera à relever alors que ce genre de galère est vite l'occasion de se lâcher ("ouais, vous courez toujours devant" - "ouais, tu traines toujours derrière"). Une nouvelle fois   没 关系 / mei guanxi" - plus besoin de traduire, n'est-ce-pas ?

Pour nous remettre de tout ça, Yang Xiao - arrivé au camp 2h avant nous - nous a déjà monté toutes les tentes (encore un coin idyllique au bord du torrent, bien plat cette fois-ci). Le temps d'un petit saut dans les sources chaudes (minuscules et cradingues, il faut le dire) et il nous a préparé un diner monstrueux à base de de riz, choux, tofu frit, lard et patates. Pour digérer, Frank nous captivera toute la soirée en nous racontant de façon magistrale l’histoire contemporaine de la Chine. On a enfin compris la Révolution Culturelle !


Chauds les trous noirs ! On a évacué les ordures du voisinage pour la photo.


Jeudi 4/10 : Xiaozha Niuchang camp - lac de Xiaozhahu (4680m) en AR. 10km/+700m. 7h de marche.
 
Le lac de Xiaozhahu, à près de 4700m, est le site le plus célèbre du massif. Il y a quelques années, il a même fait la couverture de la prestigieuse revue du National Geographic comme l'un des plus beaux lacs du monde (rien que ça !). Mais c'est peu de dire qu'il se mérite...ce sera - et de loin - la journée la plus terrible du séjour. Déjà du camp on ne comprend guère comment y monter : le fond de la vallée est fermé par un cirque rocheux compact à peine entaillé par une sorte de couloir d'allure verticale sur sa partie droite. Ben oui, pas d'illusion, c'est droit là-dedans, et sur plusieurs centaines de mètres de dénivelé.


La montée au lac...euh, ça passe ou ?

Francis reste galamment auprès de sa bien aimée qui se remet doucement du passage à vide de la veille, Yang Xiao garde le camp contre d'éventuels envahisseurs chinois : c'est donc à Zicheng de conduire Frank et le reste du groupe là-haut. Inutile de décrire en détail l'ascension, les candidats se réfèreront à la trace GPS...les 10 premières minutes le long du torrent sont agréables, les hostilités démarrent ensuite sans tarder. On se fraie d'abord un chemin dans les épineux, puis un 1er pierrier à 45° donne un avant-goût de la suite : les pavasses sont excessivement instables, une faute d'inattention suffit à mitrailler celui qui suit - ou à se coincer une patte, selon affinité. Michel est le 1er à oser dire tout haut ce que chacun pense tout bas : "en fait c'est plutôt dangereux, ici". J'ai heureusement à peine le temps de renchérir ("ouais, si c'est comme ça tout le long moi je fais 1/2 tour") que nous atteignons les1ers arbres salvateurs juste avant de s'être trucidés mutuellement. Il est déjà clair qu'on ne pourra pas redescendre par là.


Et ce n'est que le début...comme toujours on n'a jamais le cran de filmer les mauvais moments.


"Super vacances, comme toujours, papa !"

La suite dure des heures mais se résume en fait aisément : on remonte le couloir en zigzagant entre les éboulis du milieu (les pieds pédalent dans la semoule mais on peut utiliser les mains) et les buissons d'épineux du bord (le sol est plus stable mais on se déchire les mains si on doit se rattraper). Bref la peste ou le cholera. Quelques bouts moins raides laissent apparaitre une vague sente, on se croit sauvés...mais juste un peu plus haut c'est la peste ET le choléra, un champ de gros blocs tort-pattes envahi de végétation hostile. Bref le genre de coin qu'on ne parcourt dans les Alpes qu'à skis avec 2 mètres (ou 3) de neige. Chacun serre les dents, le souffle est rauque, on multiplie les pauses, l'altimètre monte avec une lenteur désespérante...mais comme le dit si bien Sylvain Tesson : "n'importe quelle distance finit toujours par céder devant un pélerin obstiné".


Sortie du couloir - ouf !

Comme tous les couloirs du monde, celui-ci a donc aussi une fin. On en sort par un genre d'entaille de terre et de rochers un peu exposée, puis le terrain se couche, l'herbe réapparait, ainsi que quelques crottes de yaks.  Non, ils ne sont pas montés par là, il y a en fait un autre itinéraire plus facile mais infiniment plus long. Une heure plus tard la vallée s'ouvre, un premier lac, un second, puis c'est le lac principal. Rien à dire, c'est un enchantement. "Heureusement" dira Patricia "sinon vous m'auriez entendue !". Glacier suspendu à gauche, cohortes d'aiguilles rocheuses au fond, immenses parois à droite, étendue vert-turquoise au milieu, le tout baigné d'un silence irréel.


Lac sacré de 潇炸胡 / Xiaozhahu, 4680m







A défaut de boucler la Kora prévue autour du Genye, nous effectuons le tour du lac - 2.7 km quand même. Dans le sens horaire évidemment (quelle question !). En cette année du cheval, le tour de ce lac sacré est particulièrement auspicieux selon Zicheng. Quant à s'y baigner, surtout pas, ça aurait précisément l'effet inverse sur le karma ! Bon personne ne s'est senti trop frustré...



Un bon coup de boost au karma, ça donne le sourire !


Lac sacré de 潇炸胡 / Xiaozhahu, 4680m


Cécile en pleine lévitation

Sitôt avalés les derniers chapatis tartinés de pate de soja, il faut se résoudre à redescendre. Il y aurait bien un 2ème lac facile d'accès un peu plus haut -  mais plutôt que de risquer de finir de nuit chacun préfère garder ses forces pour la descente. Guère moins éprouvante et qui prendra au final presque autant de temps que la montée. 7 heures de rando pour moins de 10km, pour trouver plus lent il faut remonter à notre épopée du Ruwenzori dans un style bien différent...Zicheng nous trouve un itinéraire détourné évitant le pierrier initial au prix de quelques buissons de plus. Le voir gambader aisément de bloc en arbuste sans poser une main nous oblige quand même à relativiser la portée de notre exploit...D'ailleurs nous croisons un jeune couple de chinois à l'assaut du couloir sur les coups de 16h - bon ils font sagement 1/2 tour en nous voyant. Je ne sais pas s'ils oseront retenter l'expérience le lendemain !



Le bas du couloir est à nouveau presque roulant.

Nous sommes accueillis en héros (sic) de retour au camp sur les coups de 17h15. Yang-Xiao a préparé un monstre goûter-dîner, autour duquel nous racontons nos aventures, en les enjolivant un peu comme il se doit ("vous avez raté la plus belle journée !" - "le lac est plus beau que celui du Cerro Torre" - "le pierrier était presque surplombant, par endroits" - "les pierres volaient sans cesse"...). Francis et Valérie ont profité de la journée ici pour soigner une plaie infectée, gore à souhait semble-t-il, au doigt du muletier Tutim. Pas de soirée au coin du feu cette fois-ci, nous plongeons rapidement dans les duvets pour une longue nuit de près de12h !


Vendredi 4/10 : retour sur Naiganduo (3720m), 10.5km, +225m, 4h de marche.
 
Ca sent l'écurie. Sentiment mixte comme toujours, pas fâché de retrouver un peu de confort le soir même, pas enchanté de retrouver la routine du bureau dans 3 jours à peine...Depuis un petit-déjeuner ou Yang Xiao liquide son stock d'oeufs à grands coups d'omelettes, nous apercevons quelques randonneurs chinois qui ambitionnent de monter au lac. Même accompagnés par les moines du monastère j'ai de gros doutes, mais on est au pays de la compassion donc on leur souhaite quand même bonne chance !


Dernière levée de camp...sniff...

Le dernier gué se franchit sur un tronc pas bien large. Au grand dam des photographes à l'affut personne ne passe à la flotte, on a fini par acquérir une certaine dextérité !


Tombera, tombera pas...


"Et sans les batons, moi !"

Une dernière montée en pente douce nous dépose sur une épaule boisée, plus personne ne souffle - comme avec les langues, c'est quand on est enfin acclimatés qu'il faut rentrer ! Le village est désormais proche, nous croisons donc quelques habitants à moto. Michel empruntera brièvement l'un de leurs engins, en nous faisant quelques frayeurs au passage...c'est ensuite une longue descente en pente douce qui nous ramène à la petite route parcourue le 1er jour.


L'automne aussi arrive au village

3 km plus loin nous sommes de retour à Naiganduo, en pleine effervescence : c'est la fête des moissons, tout le monde est dehors à commenter le travail. C'est à dire que les 9/10ème papotent et que le dernier 1/10ème travaille - comme souvent chez nous diront les mauvaises langues...Il est vrai qu'on est bien loin du Népal et de ses chars à boeuf : le champ d'orge est ratiboisé en moins d'une heure par une moissoneuse-batteuse en parfait état que le gouvernement régional prête à chaque village à tour de rôle. La Chine des campagnes inspire aujourd'hui plus d'étonnement que de pitié !


Ici encore les femmes bossent et les homme observent


Naiganduo lodge : la maison de Zicheng. Notre chambre est derrière les vitres.
 
De retour à la maison de Zicheng, on retrouve avec délice (ou pas...) le thé au beurre rance. Et les fruits frais. Et une table pour les poser. Et des bancs pour s'asseoir. Bon le retour au confort est progressif, histoire d'éviter un choc trop brutal : les douches ce sera pour l'hotel de Litang, quant aux toilettes...elle seront sans doute réparées l'an prochain. Dernière balade dans le village, les autres muletiers sont rentrés chez eux sans demander leur reste. On sent que leurs rapports avec la famille "aisée" de Zicheng ne sont pas toujours aussi sereins - mais face aux étrangers il s'agissait avant tout de garder la face.


Repas du soir au choix : raviolis ou raviolis ?

Rien de tel que de refaire des projets pour se redonner le moral à la fin des vacances. Fuite en avant ? Allons donc...Je prépare longuement, dans mon plus beau mandarin, une déclaration d'amour des montagnes tibétaines que je récite à Yang Xiao avant de lui demander de nous proposer autre chose pour dans 2 ans. Par exemple à nouveau dans le Yunnan ? Pourquoi pas un truc itinérant depuis les rizières jusqu'aux glaciers ? "还 有 时间 / hai you shijian / y'a encore le temps, Beibei !" (c'est comme ça qu'il m'appelle, impossible de prononcer Bertrand pour un Chinois). "Mais t'en fais pas, j'ai déjà quelques idées...".


Robustes, les grand-mères tibétaines !

 
Samedi 5/10 : Naiganduo - Litang (3980m), 2h30 de route. 
 
Départ tranquille vers 11h, au final on aura passé nos vacances à dormir...bon les 2 nuits suivantes seront singulièrement raccourcies ! Dernière tasse d'eau chaude - contrairement à une croyance bien ancrée, c'est ce que boivent les Chinois en premier lieu, les 2-3 brindilles de thé donnent tout au plus une vague couleur pâle...Bref chacun se dira en secret, sans trop oser l'avouer, "vivement chez nous et vive Lipton !"

Notre insatiable motard Michel négocie de faire une partie du trajet vers Litang à moto, Zicheng lui trouve un engin mais tient quand même à l'accompagner sur sa moto à lui. Nous embarquons du coup le grand-père dans le minibus...eh oui, il faut bien quelqu'un pour ramener la moto...le grand-père profite à son tour du trajet jusqu'à Lamaya pour récupérer son petit-fils à la sortie de l'école et le ramener à Naiganduo à moto. Si vous n'avez pas tout compris ce n'est pas grave, le plan a très bien fonctionné et tout le monde avait le sourire !



Nous déjeunons dans l'une de gargotes de Lamaya. Un énorme bol de 饺子 / jiaozi (les fameux raviolis chinois) épicés à souhait avant de reprendre la route pour retrouver le confort de l’hôtel quelques heures plus tard. L'éboulement n'a pas été réparé mais les Chinois ne se posent pas trop de questions, ils ont simplement tracé une autre piste au bulldozer à coté ! Sitôt installé dans la chambre, je réalise qu'il y avait un appareil à oxygène au dessus du lit...désormais inutile mais que j'aurais pu tester 10 jours plus tôt...10 jours plus tôt c'est aussi la date de la dernière douche. 1 heure et 300 litres d'eau chaude plus tard, c'est donc tout beaux et tout propres que nous repartons arpenter la ville l'après-midi.


Tout beaux tout propres !


Au dessus du lit. Les puristes parlent de dopage...

Litang est pour finir une ville plutôt sympa avec une belle unité architecturale et une ambiance agréable, à la fois détendue et animée par des myriades d'écoliers costumés tout juste sortis des cours. Je fais naturellement un point d'honneur à trouver un salon de coiffure. 32 Yuan la coupe (4.5 €), le record d'Ethiopie tient toujours...Je réussis à expliquer en mandarin au coiffeur que l’état de mes cheveux est lié aux 8 jours écoulés. Mais je crois qu'il n'a toujours pas vraiment compris pourquoi venir de si loin pour marcher dans le froid, les rochers et les marécages avec pour seuls compagnons des bergers tibétains semi-analphabètes !


Pâtisserie à Litang. Mao sur des billets de banque à gauche, le yéti à droite, il y en a pour tous les goûts !

Comme à chaque fois le dernier repas est morose pour moi, pourtant pas de crucifixion à attendre le lendemain. J'ai mal au ventre et je tire la gueule. Valérie, Francis, Patricia et Michel sont par contre tout excités : ils ont encore une semaine (3 pour Michel !) de vacances à se balader entre Pékin et la Grande Muraille...Pour les 4 Bernois la perspective est moins follichone : 30 heures de voyage et une nuit blanche - avec pour moi un atterrissage direct sur ma chaise de bureau lundi matin sans même repasser par la case maison :-(. Bon Arnaud se réjouit aussi de retrouver un vrai Wifi. Et bien sûr de visionner 11 heures de films non-stop dans l'avion.


Y'a que moi qui ne rigole pas


Dimanche 6/10 : Litang - Daocheng airport - Chengdu - Hongkong - Zurich - Berne, 32h de voyage.

Pas réussi à battre le record du prix du coiffeur, mais pour la durée du voyage pas sûr d'avoir déjà fait plus que les 32 heures porte à porte depuis l'hotel de Litang jusqu'à ma chaise de bureau lundi matin. Sans même passer à la maison, notre nouvelle big boss m'ayant gentiment collé une réunion importante en début d'après-midi...

Si chacun aura tout le temps de ruminer avec mauvaise conscience son empreinte carbone durant les 3 vols, on gardera surtout en mémoire le début : le trajet nocturne de Litang à l'aéroport de DaoCheng. Celui-ci a été construit pour desservir ces 2 grandes villes distantes de 4 heures de route. Comme il ne fallait pas faire de jaloux, plutôt que de favoriser l'une ou l'autre, les Chinois ont choisi de le construire à mi-chemin entre les deux !

On imagine bien le dialogue entre le gouverneur et l'architecte : "mais camarade, le plateau au milieu s'élève à plus de 4400m ! " - " Et alors ?" - "Et alors il n'existe sur terre aucun aéroport commercial à cette altitude ! Même celui de La Paz en Bolivie n'est qu'à 4100m. Et cela empêche parait-il les avions de décoller à plein" - "Débrouillez-vous, inventez autre chose, après tout notre nation a bien construit la Muraille de Chine ! Vous avez 50 bulldozers, 1000 ouvriers dévoués et un budget d'un milliard de yuan. Je reviens dans 2 ans : si ça ne marche pas vous finissez en camp de rééducation chez les Ouigours pour corruption aggravée". J'arrête là mon délire mais pas sûr que les choses ne se passent pas de temps à autre comme ça quand on voit les infrastructures délirantes que le pays met en place à une vitesse folle depuis une vingtaine d'années.

A peine tombés du lit, départ à 5h du matin pour 2 heures de minibus à travers la nuit glaciale, sur des routes toujours aussi larges et parfaites, toujours aussi désertes, avec un col à 4650m (!) au milieu pour faire bonne mesure. Plus personne ne rêve de vélo. Nous débarquons dans un froid piquant devant une sorte de soucoupe-volante futuriste posée au milieu de nulle part. L'altimètre du GPS est formel : 4400m, pas de tromperie sur la marchandise. Yang Xiao nous quitte avec les yeux humides mais un petit sourire en coin - il sait bien qu'on va se revoir...

L'aérogare est étonnamment animé, pas mal de passagers chinois (bon on est comme d'habitude les seuls étrangers) ont à la main un petit spray d'oxygène...sinon tout est comme d'habitude ultra-moderne, les procédures d'enregistrement sont très rapides, l'avion part évidemment pile à l'heure. Bon l'espace aérien ne doit pas être aussi congestionné qu'au dessus de l'Europe...l'Airbus flambant neuf d'Air China est plein comme un oeuf mais décolle rapidement et sans la moindre difficulté. Les ingénieurs ont donc trouvé toutes les solutions et l'architecte a échappé au camp. Bah c'est sans doute que les voyageurs chinois sont plus légers...Le vol est magnifique au dessus du massif du Siguniang (6250m), le Cervin local gravi seulement 3 fois parait-il.


Aéroport de Daocheng, 4400m. A se demander si certains ne préfèrent pas le smog de Pékin !


Le Siguniang (6250m), vu du vol Litang - Chengdu

A l'aéroport de Chengdu le reste du groupe nous quitte, eux aussi le sourire en coin, pour rejoindre leur hotel avant de poursuivre leur semaine touristique vers Pékin. Agnès, Cécile Arnaud et moi nous consolons dans une improbable gargote de plein air posée entre les deux terminaux : un petit brunch pemettra de tuer une partie des 6 heures d'escale et d'écluser nos derniers billets. Une riche idée d'ailleurs : sitôt dans l'aérogare international, Arnaud réalise avec horreur que ni Mac Donalds ni KFC n'accepte autre chose que les paiements par Smartphone ! La Chine s'apprête semble-t-il à sauter l'étape cartes de crédit...et aucun de nous ne dispose de l'application Alipay. Lapinou se rattrapera au Burger King de Hong-Kong,au grand dam de sa soeur, de plus en plus révoltée par la maltraitance animale de l'élevage industriel.


Devant l'aéroport de Chengdu. Plus que 26 heures de voyage.

Pour le reste la partie chinoise du voyage s'enchaine avec une précision helvétique - un concept que nous apprendrons à relativiser sitôt arrivés à Zürich : un sprint éperdu dans les couloirs me permet d'arriver sur le quai de la gare de l'aéroport juste à temps pour le train de 7h18. Trop fier de moi sur ce coup-là...sauf que le train est évidemment aussitôt annoncé avec un retard indéterminé. Avant d'être annulé. A chacun d'y voir une parabole ou une simple anecdote !

(Crédits photos : Bertrand, Michel D, Frank H, Patricia H)

Tourengänger: Bertrand
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Kommentare (2)


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gurgeh hat gesagt:
Gesendet am 20. November 2019 um 18:52
Apparemment une très chouette région à découvrir, avec encore une bonne dose d'aventure ! Bravo et merci pour ce(s) compte-rendu(s) !

Bertrand hat gesagt: RE:
Gesendet am 21. November 2019 um 08:48
Merci à toi ! Je lis souvent avec intérêt tes sorties, y'a pas tant que ça de Welsches qui randonnent à l'est de Berne...


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