Mera Peak , en circuit par l'Amphu Lapsha : semaine 3, du CB du Mera Peak à Lukla


Publiziert von Bertrand , 24. Februar 2012 um 15:52.

Region: Welt » Nepal » Khumbu
Tour Datum: 1 November 2001
Hochtouren Schwierigkeit: WS
Wegpunkte:
Geo-Tags: NEP 

Suite de la semaine 2

Mera Peak Base Camp (5300m), 26/10

La journée commence tôt mais mal : au réveil la nuit est tellement sombre que certains esprits pessimistes (moi, pour changer) imaginent déjà notre sommet – d’ordinaire si aveuglant – noyé dans les nuages. La malédiction du Stok Kangri se répèterait-elle, la seule journée d’authentique mauvais temps du voyage pour le jour du sommet ? Allons donc ! Ces craintes sont vite balayées alors que notre petit groupe, le pas (lent !) éclairé à la lueur des frontales,  prend pied sur le glacier au col du Mera La.

C’est la 1ère fois que nous quittons la chaleur des duvets en pleine nuit, et on comprend vite pourquoi le seul fait de s’en extirper 30 secondes pour une vidange express nous paraissait si désagréable les jours passés : l’atmosphère est absolument glaciale, un vent cruel sorti d’on ne sait où la rend même parfois à la limite du supportable, et l’allure réduite imposée par l’altitude ne permet guère de chauffer la machine. La rencontre du jour et du soleil au rognon rocheux constituant le traditionnel camp d’altitude à 5800m évoque la sortie d’une chambre froide ; les moins frigorifiés aident les plus atteints à se dégeler les orteils par de vigoureux massages ; et ce n’est qu’au bout de 20mn de frottements intenses à travers des moufles en duvet garnies de chaufferettes que mon Agnès sent ses doigts de pied reprendre vie…Si l’Annapurna a (peut-être) justifié pour Herzog et Lachenal de sacrifier leurs extrémités, le modeste Mera Peak ne mérite sûrement pas la peau des nôtres !

La suite n’est qu’une longue épreuve de patience à mettre un pied devant l’autre avec une lenteur parfois exaspérante sur ce glacier débonnaire dont la pente n’atteindrait même pas celle d’une piste rouge. Le flot de mantras égrenés à voix basse par Pertemba renforce encore cette monotonie tout en lui conférant un caractère parfois envoûtant. Toute tentative d’échapper à ce karma trop réglé à nos yeux est aussitôt puni sévèrement : accélérer un tant soit peu le pas conduit immédiatement à l’asphyxie. Quitter la trace établie par nos prédécesseurs signifie sombrer dans une poudreuse sans fond. Manque de chance la trace en question est bien sûr l’œuvre des sherpas, lesquels ne connaissent qu’une seule règle : la ligne droite, quelque soit la raideur du terrain. Dés que celui-ci se redresse un peu, l’impossibilité de l’adoucir à coup de lacets se traduit pour les plus fragiles par un épuisement rapide imposant de longues pauses régulières pour reprendre son souffle…

Le soleil quant à lui a fait passer ce grand glacier du stade de congélateur à celui de rôtissoire avec une vitesse difficilement croyable. Et pourtant ils avancent ! Ma douce Agnès, injustement trahie depuis la veille par son estomac, fait preuve d’un courage admirable. Tous les remèdes connus sont appliqués : allègement du sac à dos, professions de foi existentielles (“ le sommet n’est rien sans toi ”), encouragement pratique (“ plus que 400m, au rythme actuel à peine 3 heures ! ”) ; finalement sur la dernière bosse neigeuse, alors qu’on aperçoit déjà les drapeaux de prière bouddhistes flotter au sommet, c’est notre fidèle Lakhpa qui lui prend son sac à dos. Il doit trouver tous ces Suisses pas bien rapides (normal, finalement) mais nous assure naturellement du contraire. Il faut lui tirer les vers du nez pour lui faire avouer qu’il est déjà monté (“ mais c’était il y a longtemps… ” ) au sommet du terrible Kangchenjunga, 8598m, 3ème sommet du monde et un des plus difficiles !

Finalement, 7h30 après le départ, tout le monde est là haut, à 6460m. Faut-il écrire, comme dans tout bon récit d’alpinisme, que le bonheur du sommet efface aussitôt toutes les souffrances ? Ce n’est pas aussi simple. A chacun de juger pour lui. La dualité effort/plaisir trouve son point d’équilibre à 8000m chez certains, à 6000 pour d’autres, sans parler des bienheureux n’ayant jamais été contaminé par le compulsif et inguérissable virus de la montagne…Ce qui n’est guère discutable : l’exceptionnelle beauté du panorama, les 6 des 14 plus hauts sommets de la Terre qui nous entourent, éparpillés au milieu d’une forêt de cimes plus spectaculaires les unes que les autres. La mer de brouillard ayant subrepticement repris possession des basses terres en dessous de 5500m renforce à la fois la magie du paysage et l’ivresse de planer loin au dessus (“ de la bassesse humaine ” aurait écrit Rousseau revu par Frison-Roche…).

Il fait beau et doux, rien n’oblige à hâter embrassades, rires, photos, étude détaillée du paysage avec Lakhpa et Pertemba, contemplation collective et rêves individuels. Vaine mais incontournable fierté, en dépit ou indépendamment des milliers d’autres qui nous ont précédé ou nous suivront ici. Alors oui, peut-être bien que cette heure là haut valait bien les quelques sacrifices consentis…pour Agnès et moi, en tous cas, ce fragile équilibre passait sûrement ce jour là sur le modeste Mera Peak. “ D’autres 6000 faciles pourquoi pas, pour les 7000 tu iras sans moi ” me dit-elle - quelle idée saugrenue !

Pour en finir avec ce sommet, 2 éléments un tantinet vexants sont tout de même à relever :

-    comme toujours dans les pays bananiers (bien qu’on ne trouve guère de bananes en Himalaya), la ronflante altitude officielle est sensiblement supérieure à celle affichée impitoyablement par nos altimètres high-tech. On peut essayer de s’en sortir en invoquant la corrélation pression/altitude qui changerait selon la distance avec l’Équateur, reste toujours un vague et frustrant soupçon de tricherie. On pourrait suggérer à l’Office du Tourisme de Chamonix de mettre le Mont Blanc à 5000m à titre de riposte…
   
-    comme souvent sur les 6000 “ faciles ”, la voie des touristes s’achève sur une bosse neigeuse d’où on a la fâcheuse impression que la bosse voisine – en général et comme par hasard d’accès beaucoup plus malaisé – est peut-être bien un chouïa plus haute. C’est ainsi que depuis notre “ Mera Central ”, le “ Mera North ” (défendu par de vilaines rimayes et des mètres de neige fraîche non tracée) donne l’agaçante sensation d’être au dessus de nous. Il est d’ailleurs indiqué comme tel sur les vieilles cartes et les vieux topos ; mais la toute nouvelle carte touristique de la région vient par un heureux hasard mettre les vainqueurs du sommet en paix avec leur conscience en décôtant fortement ce rabat-joie de Mera North. De toutes manières, notre collectionneur de vrais sommets (chacun aura reconnu l’incontournable Yves) est exceptionnellement trop fatigué pour repartir brasser la neige fraîche et régler son compte à cet imposteur…

La descente est évidemment plus rapide que la montée, le temps d’encourager une colonne d’Italiens proches du but et une équipe américaine campant près du col et on se retrouve, un peu sonnés quand même, devant nos tentes. A peine capables de dire à Dawa et Dorje si le thé qu’ils se précipitent gentiment pour nous offrir doit être avec lait et sans sucre ou le contraire. Quelques momos et un bout de gâteau (pas facile à faire dans une casserole à 5300m…) à peine avalés et tout le monde est au lit…à 18h !


Tagnang (4300m), 27/10

C’est parti, la descente vers l’air enrichi et la chaleur des basses terres est engagée. Ce samedi commence bien sûr par la traditionnelle grasse matinée jusqu’à 7h, soit quand même 13h au lit. La remontée au col du Mera La est suivie d’une longue traversée méditative sur un grand glacier plat qu’Yves et Martin, les 2 Yetis du groupe, ont bien du mal à quitter, tout tristes à l’idée d’abandonner définitivement le monde des glaces. En tout cas pour cette fois-ci !

Pour les autres, le petit pincement au cœur à voir notre sommet scintillant s’éloigner irrémédiablement  est plus que compensé par le bonheur de fouler à nouveau l’herbe, même desséchée, et de humer l’arôme des premiers buissons. Curieusement l’arrivée à Tagnang est précédée par la traversée d’une monumentale tranchée de blocs chaotiques et de monticules sableux : 5 ans plus tôt, un morceau de glacier s’était écroulé dans le lac dominant le village, la poche d’eau avait alors littéralement explosé, dévalant la vallée avec une violence inouïe, arrachant des pans énormes des moraines latérales – et emportant accessoirement quelques maisons heureusement inhabitées à ce moment là. A contempler ce paysage disloqué, on peine à imaginer l’ambiance de fin du monde qui a dû prévaloir ici pendant quelques minutes…

Les quelques maisons de pierre – car le village a bien sûr été reconstruit au même endroit – de Tagnang représentent le 1er élément de civilisation humaine pour nous depuis fort longtemps : une poignée de Tea-shops munies de quelques produits de 1ère nécessité (biscuits, pq, cigarettes…), un vague lodge d’allure austère, quelques terrasses aménagées pour recevoir les tentes des trekkeurs…Nos porteurs mettent à nouveau la main sur un coin abrité ce qui nous permet de reprendre possession de la tente-mess que nous leur avions cédée là haut par élémentaire charité. Finis les repas entassés à 6 dans la tente d’Yves et Beat – au moins se tenait-on chaud…


Tagnang (4300m), 28/10

Tiens, le même camp que la veille ! Un malade dans le groupe, peut-être ? Que nenni, nous célébrons simplement une grande nouveauté, le 1er (et dernier !) jour de repos. D’abord il s’agit de “ griller ” les jours d’avance accumulés. Ensuite de fêter le retour aux altitudes humanisées. Et puis ce sont accessoirement des vacances, même s’il n’en reste hélas qu’une semaine.

Nouvelle nuit de 12 heures ; mieux vaut traîner au lit car le voisinage reste gelé jusqu’à l’arrivée tardive du soleil à 9h30 – le retour à la douceur du bas pays est donc encore bien relatif…La matinée qui s’annonçait tranquille est troublée soudain par une puissante explosion loin au dessus de nos têtes : un gros sérac vient de se détacher des flancs du Kyashar , aux alentours de 6500m, et un monumental nuage d’avalanche descend lentement la vallée droit dans notre direction. Dans la tête de chacun, un mélange conflictuel de discours rationnel (trop loin de nous pour être dangereux) et d’inquiétude (quand même gigantesque, ce nuage – on croirait un remake en blanc de l’implosion des Twin Towers ; et puis pourquoi les sherpas ont-ils déguerpi ?).

Le gros nuage se dissipe finalement un peu avant le village et nous en sommes quittes pour une bonne émotion et un inoffensif saupoudrage au grésil sur les tentes. A posteriori, je regrette amèrement de ne pas avoir filmé le tout, n’ayant lâchement saisi la caméra qu’en fin d’action. “ Apprendre à oser ” nous avait-on pourtant inculqué à HEC. Mais rien à faire, malgré toutes les prières aux divinités locales, aucun autre sérac digne de ce nom ne viendra répéter le magnifique spectacle du matin.

Après s’être successivement goinfrés de pancakes au petit-déjeuner puis de patates huileuses et de beignets frits à midi (soit 3h plus tard), un certain besoin d’exercice se fait sentir. La grosse épaule d’herbe dominant Tagnang semble parfaitement dimensionnée pour une ballade digestive : en la remontant suffisamment, on  finira bien par tomber sur un vague sommet orné de drapeaux de prières propre à satisfaire notre bonne conscience de collectionneurs de cimes. Et puis avec un peu de chance aurai-je droit à une autre – même modeste – chute de sérac à filmer…

Échec sur toute la ligne : d’abord pas le moindre craquement suspect sur les glaciers supérieurs pour me faire brandir la caméra. Ensuite, pas davantage de sommet : l’épaule d’herbe continue de monter sans fin, de mamelon en mamelon, jusqu’à se perdre dans un brouillard de plus en plus épais et de plus en plus glacial, l’herbe disparaît au profit du rocher, la neige fait son apparition…A 5050m ( ! ! !), d’un commun accord avec Yves et Beat m’ayant bravement accompagné dans mon entêtement, une retraite stratégique est décidée : notre croupe commence maintenant à se transformer en une vilaine arête rocheuse dont l’allure est rendue encore plus sinistre (“ grandiose ”, dirait Yves) par le brouillard. Un peu de flair orientateur est nécessaire pour ne pas atterrir bêtement dans la vallée d’à côté mais bien dans notre tente-mess histoire de ne pas rater le thé-biscuits de 16h (et le dîner 1h plus tard…).


Kothe (3650m), 29/10

6h15, un grondement sourd loin au dessus de nos têtes ranime déjà les souvenirs de la veille… “ Cinéma, cinéma ” me crient les sherpas depuis leur tente voisine. Mais l’avalanche de sérac du jour n’est qu’un pâle remake de la veille, une minable poussière blanche au loin, même pas menaçante dans mon puissant téléobjectif. A peine recouché, nouveau craquement, nouveau “ cinéma, cinéma ”, nouvelle sortie pour le même résultat décevant, les sherpas doivent commencer à se bidonner de me voir jaillir de la tente en slip, caméra au poing, à chaque bruit suspect ! Le temps d’achever le petit-déjeuner et de se mettre en chemin, spectacle analogue mais cette fois-ci du côté du Mera La où nous nous promenions la veille. Décidément, l’endroit n’est quand même pas des plus recommandables pour une villégiature prolongée. Enfin une fois de plus la taille impressionnante du nuage blanc exagère largement les dégâts réels…

Petit crochet à un ermitage troglodyte bouddhiste où Lakhpa et Pertemba entonnent quelques longs mantras pour remercier les Dieux de leur bienveillance durant notre voyage. Encore un de ces endroits insufflant certes une grande sérénité au visiteur de passage mais exigeant de son pensionnaire prolongé une intense vie intérieure…Le soleil arrive une nouvelle fois à point nommé pour réchauffer l’ambiance glaciale et dégeler le sol en même temps que nos orteils. L’éclatement du lac en amont a intégralement dévasté tout le fond de vallée (heureusement inhabité), transformé en champ de caillasses chaotique et stérile. C’est en principe là dedans que passe l’itinéraire actuel et c’est plutôt fastidieux…

Mais en échappant – plus ou moins volontairement – à la vigilance de nos anges-gardiens sherpas, il est possible de s’engager sur le magnifique sentier-balcon, désormais abandonné, serpentant sur le flanc de la vallée au dessus de la zone emportée. Un véritable enchantement botanique : rhododendrons géants aux branches barbues, orchidées, genévriers…composent avec le torrent en contrebas et la glace étincelante du Kyashar 2500m plus haut, un tableau somptueux. De retour dans la caillasse du torrent, une dernière heure de tord-pattes nous ramène au campement de Kothe. Le hameau de Tashidingma un peu plus bas ayant disparu (avec ses habitants) dans l’alluvion susmentionnée, quelques cahutes improvisées ont surgi sur un replat entre eau et forêt. La meilleure place a hélas déjà été squattée par une équipe anglaise. “ A mort, les rosbifs ”, tel est le sentiment commun. “ Oussamah  aurait dû faire péter Big Ben, ils seraient restés chez eux ” entend-on même prononcer à voix basse…Nous plantons (enfin les sherpas plantent pour nous !) les tentes dans le lit asséché du torrent en espérant que ce qui reste du lac, beaucoup plus haut, n’ait pas de velléités nomades pendant la nuit…


Chatrwa (4300m), 30/10

La pluie s’est acharnée sur le camp en début de nuit (il ne manquait plus que cela !) provoquant de légitimes appréhensions quant à l’étanchéité de nos tentes plutôt défraîchies. Difficile de trouver le sommeil alors que les taches d’humidité ne cessent de s’étendre autour de toutes les coutures – et que la tente est joliment installée dans une petite cuvette terreuse au bord du torrent…enfin l’averse a le bon goût de s’arrêter vers 22h laissant place à l’inévitable ciel étoilé que nous pensons être en droit d’exiger au Népal en cette saison !

La journée est une nouvelle et magnifique plongée dans le bouquet de couleurs de la forêt tropicale d’altitude ; le terrain très escarpé, l’humidité ambiante et un sentier qui ne connaît d’autre stratégie que la ligne droite à pleine pente, tout cela rend la progression éprouvante pour nos  porteurs. D’autant que le dénivelé positif de ce relief de toboggan doit sûrement dépasser les 1200m ! Et pourtant les costauds comme Dorje, l’aide-cuisinier, parviennent encore à nous dépasser, trottinant sur la boue et la neige fondue avec une agilité de chamois malgré ses 35kg sur le dos (“ 40 quand le jerrican d’essence est plein, Sir ”). Et dire que certains se sentent encore fiers de leur Mera Peak…

La pause de midi (sardines à l’huile, cassoulet, patates, rouleaux de pâte à la cannelle, etc…) est – heureusement ! - abrégé par une brève volée de grêlons. Les derniers rhododendrons géants rendent les armes vers 4100m. Le camp du soir, entouré de parois de roches noires et d’herbe jaunie saupoudrée de neige, noyé dans les volutes d’une brume froide est d’une austérité âpre et sauvage qui sait toucher le cœur des montagnards (mais pas forcément celui des autres !). En attendant l’arrivée des derniers porteurs, le thé est servi dans la pénombre d’une cabane locale, au coin d’un feu sans cheminée ; chacun inhale sans doute plus de fumée en 1h que Martin avec son paquet de cigarettes quotidien : mais au  moins réalise-t-on mieux ce que peut représenter un hiver entier passé dans un village du Haut Khumbu (et encore le thé salé au beurre rance est-il en général épargné aux touristes…). Avis aux émules en herbe d’Alexandra David-Neel ou d’Olivier Föllmi !

La surprise de la journée : la rencontre de 2 jeunes Russes revenant aussi du même sommet. Une discussion à bâtons rompus s’engage aussitôt où je constate avec joie avoir encore assez d’oxygène dans la cervelle pour baragouiner russe malgré un récent lavage dudit cerveau à grand coup de “ Teach Yourself Nepali in 40 lessons ” ! L’énigme de leur apparente opulence est vite levée : nos 2 gaillards travaillent pour une banque helvétique à Londres…Ils sont sûrement aussi ébahis de tomber sur un Suisse leur racontant en russe son expé hivernale en Oural que moi de croiser 2 traders moscovites du Crédit Suisse Londres de retour du Mera Peak. Quant à penser, comme Yves et Martin, qu’il s’agit peut-être d’un couple d’homos, eh bien je n’ai pas été le vérifier…


Chutanga (3600m), 31/10

Nouvelle nuit agitée par de fréquentes giboulées de grêle. En soi rien de bien grave l’ennemi absolu, pour nos  tentes fatiguées par la vie, restant bien sûr la pluie. Par contre, la fâcheuse tendance du sol à blanchir fait naître quelques inquiétudes pour le franchissement du col du Chatrwa La, 4600m, dernier obstacle avant Lukla et la civilisation. Oh une fois de plus pas pour nous, touristes surnourris et suréquipés, mais pour nos porteurs car la descente du col est réputée des plus savonneuses par pluie ou neige. “ Do not underestimate the crossing, people have died here ” menace même l’auteur de mon très sérieux topo-guide. Fichtre !

La montée au soleil dans l’herbe roussie représente le dernier effort ascensionnel du circuit (“ sniff ” collectif…). Certains s’étonnent de ne pas pouvoir courir malgré nos 2 semaines d’acclimatation mais on est quand même presque à la hauteur du Mont Blanc ! Cela dit c’est vrai que c’est toujours vexant d’avoir en permanence un porteur collé à ses basques, le bringuebalement de ses 35ks de hotte couvrant à peine notre souffle encore trop court…

La redescente du col est effectivement toute blanche : la petite couche de neige fine mais bien durcie par le passage rend la progression délicate pour nos “ kulis ”. Corde fixe sur le haut, prêt de nos bâtons, main secourable de Martin et de Pasang pour les porteurs les plus hésitants…tout le monde arrive finalement en bas sans encombre;  seul le malheureux chargé de la table se retrouve une paire de fois sur les fesses, là encore sans dégâts ni pour l’un ni pour l’autre !

Nouvelle arrivée au camp “ du soir ” vers midi, encore une ½ étape où à quelques heures de marche tranquille succèdent en rangs serrés repas de midi, thé de 15h et dîner de 17h30. Et dire que certains rêvent encore de perdre du poids en allant randonner au Népal…Le brouillard est lui aussi ponctuel au RV et l’après-midi s’écoule paisiblement à lire, écrire (et  manger) à l’orée de la forêt dans une ambiance “ Gorilles dans la brume ” où ne manqueraient que les grosses bébêtes en question. Les vacances, quoi ! Pour Ibiza au mois d’août, on attendra finalement encore quelques années…

A la veille de l’arrivée, l’humeur du groupe est contrastée, sherpas et porteurs sentent l’écurie et sont plus enjoués que jamais, Yves au contraire se renfrogne à l’idée de quitter la montagne pour le monde vicié des plaines,  des villes et des hommes…


Lukla (2850m), 1/11

Eh oui, la boucle est bouclée, 19 jours plus tard les mêmes au même endroit, pas forcément plus avancés sur la ou leurs questions…Il a fallu négocier dur un réveil tardif vers 7h, ce matin, et on sent bien que toute notre équipe népalaise n’a plus qu’une chose en tête : gagner Lukla et ne plus rien avoir à porter, à surveiller ou a cuisiner pendant au moins quelques jours, jusqu’au prochain départ de trek. Chez leurs employeurs européens, les sentiments sont évidemment beaucoup plus contrastés !

Même en traînant au maximum les pieds, difficile de mettre plus de 2h sur ce sentier descendant. Drôle de sensation de retrouver “ si longtemps ” après nos tentes posées sur la même pelouse jaunie qu’on a l’impression d’avoir quitté hier. Seuls les visages burinés, quelques barbes hirsutes, une couche respectable de crasse chez les moins “ Suisses ” du groupe (inutile de les chercher bien loin…) et un peu de vécu supplémentaire au fond d’une mémoire déjà bien encombrée matérialisent les 2 ½ semaines écoulées. Sinon c’est le vague à l’âme habituel des retours d’expé, les impressions mêlées qui se bousculent et qu’on ne sait encore hiérarchiser, le plaisir de retrouver un peu de confort et un peu de chaleur, notre petite Cécile qui nous reconnaîtra peut-être, l’inévitable morosité de replonger dans le quotidien, la vague sensation que cette passion du lointain sauvage restera à jamais inconciliable avec la sérénité à laquelle chacun aspire, la fuite en avant vers la prochaine aventure rêvée, du côté de l ‘Olympe et des Météores…

Nous tuons paisiblement l’après-midi à déambuler au milieu des échoppes de Lukla, alignées dans l’unique “ rue ” du village au voisinage de la minuscule piste d’atterrissage. D’où un ballet incessant de petites avionnettes évacuent méthodiquement les trekkeurs en fin de circuit jusqu’à ce que les cumulus de l’après-midi interdisent le vol à vue. Faute d’avion, il faudrait une semaine de marche suivie de 10h de bus pour regagner Katmandou ! Mais ce mode de retour plus contemplatif adoucit sans doute efficacement la brutalité du plongeon dans le chaos urbain de la capitale après 30mn de vol…

De retour au camp, c’est l’incontournable cérémonie du pourboire aux porteurs dont on se sépare chaque fois avec mélancolie. Nos mondes resteront pourtant toujours bien éloignés malgré quelques plaisanteries réciproques permises par mes rudiments de népali. A la question de leurs projets immédiats, la réponse fuse unanime dans un vaste éclat de rire : dépenser ce qu’on vient de gagner et quand les poches seront vides recommencer à travailler ! Une pratique bien connue aussi chez leurs lointains cousins d’occident…


Katmandou Airport, 4/11

Finalement pas si terribles, ces 2-3 jours en roue libre à Katmandou, même pour la moitié du groupe ayant déjà “ liquidé ” les curiosités de la ville lors d’un voyage précédent. Vol de Lukla sans histoire, juste les quelques heures de frisson réglementaire le matin du départ alors que du “ brouillard ” paralysait paraît-il l’aéroport de Katmandou jusqu’à nouvel avis. Le RV traditionnel est pris avec nos sherpas pour un autre trek alpinistique “ dans quelques années ”, bien évidemment sur un parcours plus dur, plus haut et plus sauvage – ce ne sont comme toujours pas les idées qui manquent !

Notre emploi du temps à Katmandou ne s’éloigne guère des standards du genre : réveil traînassant, descente sanglante sur le buffet P-déj. de l’hôtel, discussion sur le temple ou la ville à visiter, marchandage avec les chauffeurs de taxis…A ceci près  que dans un noble souci de fréquenter plus étroitement la réalité citadine (et de s’ouvrir l’appétit pour les momos du soir), le retour se fait souvent à pied. Au grand dam de nos chauffeurs nous promettant qu’on ne retrouvera jamais le chemin…Il est vrai que les panneaux n’abondent pas à Katmandou ; et que peu de chose ressemble davantage à une rue grouillante de vie bigarrée, jonchée de déchets et bordée d’échoppes cradingues que la rue voisine à peu près identique…

Swayambunath, Patan, Bakhtapur, Bodnath, Pashupatinath, temples, bouddhas, stupas, drapeaux et moulins de prière, c’est vrai que pour un non-initié occidental (et qui  restera toujours condamné à l’être) tout se ressemble ; c’est vrai aussi qu’on ne se lasse pas d’y déambuler méditativement et qu’un peu de cette intensité spirituelle finit toujours par déteindre sur l’esprit le plus matérialiste…

Pour les vieux briscards du Népal sacré, une nouveauté saute immédiatement aux yeux : le commerce d’état à lui aussi pris ses quartiers et  les accès au moindre temple sont maintenant verrouillés par des guichets priant les touristes de se délester de quelques roupies pour la bonne cause : entretien du site, rénovation des œuvres artistiques, propreté…Malgré  les gros doutes qu’on peut légitimement avoir quant à la destination effective des fonds collectés, les “ Swiss Trekkers ” - fidèles à leur réputation d’obéissance – s’acquittent d’abord fidèlement de leur obole; le problème, c’est qu’elle prend un peu vite l’ascenseur : 50 roupies pour Swayambunath, rien à dire, 200 pour Patan passe encore, mais 750 (soit 10 $) pour Bakhtapur, non ! Même si la vieille cité impériale, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, est bien le joyau architectural du pays, un vent de rébellion se met à souffler…

S’engage alors une excitante partie de cache-cache avec les gardiens (en civil) pour tenter de pénétrer clandestinement dans les lieux-saints sans bourse délier. Les ruelles déglinguées d’aspect tranquille ceinturant la cité sont nombreuses, les cerbères vigilants aussi, les gringos (même bronzés) facilement repérables parmi les autochtones…Le jeu de piste nous permet de découvrir plein de coins pittoresques désertés par les touristes et d’observer un peu de la vie agricole de l’endroit, tri des grains d’orge sur de grands tamis ou labourage animal. La dernière ruse est la bonne (belle diversion de Pascale, les contrôleurs n’y ont vu que du feu !) et la visite du Bakhtapur monumental vient compléter le circuit hors sentiers battus, la bonne conscience du système D en sus.

Sitôt de retour à Katmandou, rebelote pour arpenter les pagodes du Durbar Square ; la manip est bien rodée et la visite de Pasupatinath le lendemain est également gratuite. Il est vrai que les gentils Népalais ne sont pas de nature à pourchasser agressivement les tricheurs. Notre moralité helvétique nous poussera quand même à acheter notre billet pour le Stuppa de Bodnath juste avant de reprendre l’avion. Les roupies (et les heures) restantes sont naturellement consacrées aux marchandages les plus divers pour compléter nos collections respectives de Bouddhas, T-shirt brodés ou bijoux tibétains.

Le meilleur est toujours pour la fin : la survie miraculeuse de Swissair nous est annoncée à la surprise générale et notre laborieux vol de retour par Vienne est du coup transformé en un quasi direct Katmandou – Dehli – Zurich. Tout émus, on en pardonnerait presque à notre fidèle compagnie nationale son non moins fidèle retard réglementaire, 2 heures cette fois-ci. D’autant qu’un repas au “ Taj Mahal Lounge ” nous est du coup offert. De loin le plus infect du séjour, en fait. Mais rien de tel qu’un décollage à 3h45 pour dormir ensuite du sommeil du juste au bureau le restant de la journée – en rêvant déjà de l’Olympe et des Météores…

Participants : Bertrand & Agnès, Pascale, Beat, Yves, Martin

Tourengänger: Bertrand


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Kommentare (2)


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CarpeDiem hat gesagt:
Gesendet am 22. März 2012 um 21:10
Comme d'hab, ces rapports se lisaient comme un bouquin, d'une traite. Merci

Bertrand hat gesagt: RE:
Gesendet am 23. März 2012 um 08:54
Tu es trop gentille...n'hésites pas à mettre tes récits de voyage à toi, c'est un genre littéraire dont je fais une consommation immodérée !


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