Trans-Auvergne Allier --> Loire --> Rhone, de Vichy à Valence

Une grande traversée de la partie occidentale du Massif Central à travers les départements de l'Allier, du Puy de Dome, de la Haute Loire et enfin de l'Ardèche. Le patrimoine naturel et culturel auvergnat est un enchantement toujours renouvelé, la densité de petites routes tranquilles permet de l'apprécier à l'écart des nuisances automobiles hélas de plus en plus répandues chez nous...un peu de détermination et une bonne paire de jambes restent de rigueur car les endroits plats sont plutôt rares !

J0 - jeudi 14/04 : St Germain des Fossés - Puy Guillaume, 40km / +460m

J'ai en fait profité d'une réunion professionelle à Clermont-Ferrand ce jour là pour embarquer mon VTT, imaginant au départ rentrer à la maison "by fair means"...mais, sur les conseils de mon camarade local Bruno qui vit depuis longtemps aux Estables, j'ai finalement préféré explorer plus à fond la Haute-Loire et l'Ardèche que je connais encore si mal, en finissant donc à Valence. D'ou il est très facile de rentrer à Berne en train avec un seul changement. Le seul bémol était de rouler plus chargé avec un porte-bagages lesté des affaires de boulot, ordinateur & cie, mais je n'étais plus à ça près. Si 90% du parcours se fait sur route, les sections de pistes excluent de tout faire en vélo de course - l'idéal serait en fait de s'équiper d'un gravel-bike. Une idée de cadeau pour la retraite, désormais plus si lointaine ?

La réunion se termine heureusement tôt, j'ai le temps de sauter dans un train régional en fin d'après-midi histoire de m'éloigner encore vers le nord pour me dérouiller les jambes. Au départ de la gare de St Germain et jusqu'au sud de Vichy, on emprunte la voie verte tracée sur les bords de l'Allier, en terre battue avec de brèves portions de single mais toujours plate et facile. C'est parfois un peu monotone mais souvent bucolique, et la ville thermale de Vichy a son petit charme un peu suranné avec ses vieux hotels belle-époque et ses grands parcs majestueux. ...la voie s'achève à St Yorre, au dela on évolue sur la toute nouvelle Vélo-route de la "Via Allier" (V70), au balisage parfois lacunaire dans sa partie nord (pour les boulimiques de kms, elle part en fait de Nevers 150km plus au nord).


L'Allier entre Vichy et St Yorre

Rien d'exceptionnel au niveau paysager, je retiendrai surtout l'accueil adorable de la maison d'hote de Puy Guillaume dont le proprio est un fan de vélo et de trail - qui m'a tenu le crachoir devant l'apéro sitôt servi dès mon arrivée ! Sa femme a aussi insisté pour se lever à l'aube afin de me chercher du pain frais et me permettre de partir à 7h45, bien lesté par un somptueux petit-déjeuner. Une adresse en or dans la région.


J1 - vendredi 15/04 : Puy Guillaume - Brioude, 145km / +1780m

Les choses sérieuses commencent. A partir de là tout le parcours a été tracé par mon camarade Bruno qui tenait absolument à ne rien me faire rater quitte à multiplier les détours pour cocher tous les villages de charme, vallons champêtres, vieux chateaux et autres chapelles romanes. Le hic - enfin si on peut dire - c'est qu'il y en a partout ! Bref il y a moyen de faire plus court et moins bosselé mais ce serait vraiment dommage. L'alternative est de se munir comme lui d'un E-velo gravel high-tech (13kg et une autonomie permettant des étapes de 100km avec +2000m, on taiera le prix...). Mais je suis encore un peu jeune, allez savoir.


Busséol

Ma trace GPS suggère un itinéraire soigneusement tracé pour éviter la circulation, en s'appuyant largement sur le balisage de la véloroute V70. Pour être honnête ce n'est qu'à partir du col de Busseol que le parcours devient vraiment sympa - dans un rayon de 25km autour de Clermont il est hélas difficile d'échapper à cet urbanisme défiguré propre aux agglomérations françaises (mais pas que), mitage pavillonaire, centres commerciaux, trafic automobile omniprésent...le village de Montpeyroux figure parmi les plus beaux de France et justifie un petit détour par ailleurs pas très agréable en termes de vélo. Consolation : sitôt quitté les abord de la vilaine Issoire, on est plus ou moins tranquille jusqu'à Valence 3 jours plus tard !


Montpeyroux

Pour bien s'assurer que je ne shunterai pas le moindre km de son itinéraire, Bruno me retrouve justement à Montpeyroux et fera tout le trajet avec moi jusqu'à sa maison des Estables où nous ferons étape dimanche soir...j'aurai droit non seulement à une véritable indigestion de kms et de dénivelé mais aussi et surtout d'un cours de géographie, de géologie, d'architecture et d'hydrologie durant les 3 jours de notre bout de route commun. Peu de gens possèdent à la fois une telle érudition sur l'Auvergne et une telle passion à la faire partager !


Auzon. Alors j'auze le dire : la Haute-Loire c'est presque aussi beau que la Drome provençale !

Les highlights de l'après-midi : Vic le Comte et son joli coeur médiéval, Usson (proche de l'endroit ou a été tourné le fameux documentaire Être et avoir sur la vie d'une école primaire de campagne), et surtout Auzon. Brioude constitue une étape idéale, animé la journée mais tranquille le soir, avec toute une panoplie de commerces et de restos sympas. Nous avons logé dans la belle maison d'hôte du Relais du Noble voyageur (pas sûr qu'ils ont pensé aux cyclotouristes crados en donnant ce nom...), idéalement placé devant la magnifique Basilique St Nicolas, l'une des plus célèbres de toute l'Auvergne.


Brioude


J2 - samedi 16/04 : Brioude - Rochegude, 107km / +2050m

Il fait toujours grand beau temps avec un bon petit vent du nord dans le dos empêchant les températures de monter - 4 jours de soleil à Pâques c'est pas si fréquent ! Dans mes jeunes années j'aurais été tout excité d'en profiter pour cocher quelques 4000 supplémentaires à ski, aujourd'hui j'ai plus envie de verdure et de culture, c'est la vie.


Vas y fonce !

Après l'Allier et le Puy de Dome, place désormais à la Haute-Loire. "Le secret le mieux gardé d'Auvergne" selon leur slogan touristique...ma foi le lendemain soir je serai presque tenté de les croire ! Bruno a réservé la nuit dans un gite de pélerins de St Jacques au dessus de St Privat d'Allier - en apprenant qu'on partirait à vélo de Brioude le proprio (également éleveur d'agneaux) lui a répondu qu'il venait justement vendre sa viande le matin même au marché local...quelle coincidence ! On passe donc lui faire un petit coucou à son étalage avant de démarrer. "A ce soir, alors - si on est pas là à 22h vous pouvez déclencher les secours...".


Vieille Brioude

La journée commence par un peu de single-track le long de l'Allier, pas sûr que mon ordi aura beaucoup apprécié...le village de Vieille Brioude est également assez joli - mais en fait ils le sont plus ou moins tous à partir de là. Impressionnant de voir l'amour que les habitants portent à leur région - et la détermination qu'ils mettent à en restaurer le patrimoine architectural. Nous quittons l'Allier pour un détour par la vallée de la Sénouire et la magnifique abbaye de Lavaudieu, dont l'auberge attenante donnerait bien envie de s'incruster...s'ensuit une longue section de piste jusqu'à un gué que Bruno, toujours optimiste, pensait franchissable. Pas de chance, (beaucoup) trop d'eau...donc re-piste, puis route à 14%...sitôt rejoint le plateau et le beau chateau de Domeyrat qu'il faut replonger vers l'Allier. C'était bien la peine...ben oui, justement, c'était bien la peine !


Lavaudieu

L'arrivée au fond de la vallée se fait par St Ilpize, autre chateau en ruine posté au dessus d'une falaise de basalte - de manière générale le volcanisme est omniprésent sur le parcours - si le rocher était moins délité cela donnerait presque envie de se dérouiller les doigts pour se reposer les jambes. Pique-nique sur la plage (mais si !) de La Voute Chilhac, petit détour en pente vers le beau village de Chilhac et nous parvenons à Langeac où nous attend Karine, la femme de Bruno. Ne surtout pas imaginer que cela va signaler la fin des hostilités, Karine est une ancienne championne du monde de trail, vainqueur de l'UTMB et de la Traversée de la Réunion il y a 15 ans (entre autre...) et c'est désormais souvent elle qui nous attendra ! Pour le reste ce patelin bagnoleux est sans grand intérêt mais on s'en échappe vite.


St Ilpize, haut-hizze !

St Arcon d'Allier est un autre exemple du renouveau patrimonial altiligérien (= de Haute-Loire pour les Béotiens...), ce village en ruine a été repris par un hotelier puis par des particuliers, il possède aujourd'hui un charme fou. La véloroute se poursuit sur les bords de l'Allier jusqu'à Prades, dominé par l'impressionnante falaise basaltique de la Roche Servière (un petit bistrôt-épicerie  vient de rouvrir, chose rare ici !). On attaque ensuite la longue remontée sur le plateau en quittant définitivement les bords de la rivière pour rejoindre St Privat d'Allier à 900m d'altitude. On est alors sur le chemin de St Jacques de Compostèle (1 ou 2 jours de marche après le Puy), d'ou profusion de pélerins sur les routes et les sentiers, et aussi profusion de gites d'étape.


Chanteuges


Ca va barder !

Pour échapper à l'agitation (sic !) nous avons choisi de dormir au hameau de Rochegude, à près de 1000m d'altitude, dans une sorte de ferme-auberge tenu par l'éleveur de brebis croisé le matin même au marché de Brioude. Les dortoirs sont tout simples mais la douche est chaude, le diner pantagruélique (agneau du Velay, lentilles du Puy, fromage et pain de seigle local...et bien sûr l'apéro...) et l'accueil adorable. Franck tient à diner avec ses hotes, la discussion se prolonge tard autour de sujets aussi sensibles que le retour du loup ou la mode vegan, toujours dans l'humour et le respect...bref une étape en or. Pour 36 € la nuit en 1/2 pension ! A ce prix là chez nous on a juste droit au diner (et au mieux à un sourire distant)...


Rochegude


Rochegude


J3 - dimanche 17/04 : Rochegude - Les Estables, 115km / +2600m

L'étape mammouth du séjour, mais quand c'est aussi chouette on ne compte pas, c'est bien connu. La montagne se fait désormais plus sauvage et plus apre, la densité du patrimoine culturel diminue un peu, le jeu consiste à franchir d'abord la chaine du Devès avant de redescendre au bord de la Loire pour remonter finalement sur le haut-plateau du Mezenc à près de 1400m - une altitude qui fera sourire les Alpins (dont je fais partie...) mais la rudesse de l'Auvergne n'est pas une légende, ce n'est pas pour rien que les plus hauts habitats permanents se situent à des hauteurs bien inférieures à ce que l'on connait dans les Alpes.

Le parcours ondule d'abord doucement avant de remonter sur le plateau pour parvenir à Pradelles, joli bourg classé aux plus beaux villages de France et étape du désormais célèbre Chemin de Stevenson, récemment popularisé par l'irrésistible film Antoinette dans les Cévennes. Passé un tout petit morceau de grande route, la descente qui s'ensuit jusqu'aux bords de la Loire est un pur enchantement cyclotouriste; elle aboutit devant le spectaculaire Chateau d'Arlempdes perché sur sa falaise de basalte, qui peut s'ennorgueillir d'être le toit 1er Chateau de la Loire en comptant de la source ! Le suivant, celui de Beaufort, n'est pas mal non plus...


Arlempdes, 1er des châteaux de la Loire


...et Beaufort en bon second juste derrière !

Plus que 25km jusqu'à l'arrivée mais ils sont à 80% en montée, les pentes douces permettent cela dit de regarder le paysage. Ne pas manquer la petite portion de single trail entre Fugères et le Pont du Vallon, elle permet de passer par le site enchanteur du Moulin du Rocher. Un peu plus loin, entre Alleyrac et Présailles, un raccourci sur piste permet de franchir un col entre 2 sucs (nom local des vieux cones volcaniques), ensuite la forêt capitule, c'est le domaine des hauts plateaux souvent balayés par le vent qui heureusement s'est calmé cet après-midi, parfois un petit air de Jura, parfois d'Ecosse...avec la lumière déclinante et le ciel éclatant qui accompagne souvent les régimes de bise l'ambiance était vraiment magique.





Bon pas fâché quand-même de poser mon lourd vélo devant la ferme de Bruno et Karine ! 2600m de D+ avec un vieux VTT et un sac bien lesté, c'est un peu ma limite avant d'avoir mal aux jambes - ce que je déteste plus que tout : quoiqu'en pensent certains, le vélo n'a pas été inventé pour se faire mal mais bien pour se promener !




Bertrand, tu as prétendu avoir faim, il reste tout le plat à finir...


J4 - lundi 18/04 : Les Estables - Valence, 115km / +650m

C'est pas les idées qui manquaient pour continuer (jusqu'à Perpignan ou Gibraltar, voire pire si affinités) mais la retraite c'est encore dans 2 ans et le WE de Pâques s'achève lundi soir pour les travailleurs. Je vise donc la gare de Valence d'où un TER stratégique à 16h48 permet de rentrer à Berne vélo en main avec juste un changement. Même avec beaucoup de descente la distance impose un départ matinal - en temps normal j'adore même partir à la frontale mais ce coup-ci ce sera plutôt la purge. Pourtant les 3° à 7h pour quitter les Estables ne m'inquiètent pas trop puisque - sitôt passé le Col des Boutières à 1510m - la longue descente du versant ardéchois promet (dixit Bruno) "de gagner 1° toutes les 5mn"...

...le hic c'est que les beaux vallons s'enchainant jusqu'aux bord de l'Eyrieux sont encore plongés dans l'ombre à cette heure précoce et piègent avec beaucoup d'efficacité l'air glacé de la nuit. Eh oui y'a pas que le Jura qui sait faire ça. Bref j'ai droit à près de 2h d'un épouvantable congélateur - le givre au sol ne capitule que quelques kms avant Arcens. Ou il me faudra 1/2h dans un bar pour me dégeler les mains et les pieds et cesser de grelotter. La suite est bien plus riante, sitôt le soleil monté on retrouve enfin la douceur de l'Ardèche. A St Martin de Valamas on récupère la magnifique voie verte de l'Eyrieux (dite Dolce Via), une ancienne voie ferrée transformée en piste qui serpente au fond de la vallée sur plus de 60km jusqu'à rejoindre les bords du Rhône. On en avait un souvenir très rugueux d'un passage en vélo-camping familial il y a 12 ans (la carriole avait bien morflé et nos 2 moustiques un peu râlé) mais elle est aujourd'hui refaite et même parfois goudronnée, toujours en faux-plat descendant, bref un vrai bonheur. Juste un petit pincement au coeur de nostalgie en croisant les nombreuses familles avec des petits bouts-de-choux...


St Martin de Valamas

Pause de midi chez l'un des neveux d'Agnès qui vient de racheter une maison sur les hauteurs ensoleillées de St Sauveur de Montagut  - et dont le beau-père n'est autre que l'ancien coureur cycliste suisse JM Grezet, 13ème du Tour en 1984...qui trouvera même le moyen de me complimenter (!). Passionnant de l'entendre sur le cyclisme des années 80, l'arrivée de l'EPO, les directeurs sportifs proposant "des fortifiants pour mieux récupérer", les chutes sanglantes en peloton quand la lumière tombait en panne dans les tunnels italiens...Il avait mis un terme à sa carrière après avoir perdu 8 dents (...) dans un accident - de toutes manières disait-il "je me sentais un peu décalé à lire Victor Hugo pendant que les autres ne parlaient que de voitures de luxe ou de revues érotiques". Aujourd'hui il trace bénévolement les pistes de ski de fond de la Brévine - et là ce fut à moi de le féliciter !

La Dolce Via retrouve le Rhône à la Voulte, le balisage amène ensuite de façon sécurisée sur la Via Rhona, parfaitement tracée sur cette section, qu'il suffit de suivre jusqu'à Valence 22 km plus loin. Gros vent de face sur cette portion, sans doute pour me punir d'avoir choisi une dernière étape aussi descendante...craignant un train bondé (le site SNCF affichait ce TER comme "complet") j'avais fait en sorte d'être sur le quai bien à l'avance - mais au final pas trop de souci même si tous les crochets vélos étaient occupés dès Grenoble. Bref rien à voir avec les Visp-Berne du dimanche soir ! 3 jours de courbatures (physiques et morales) plus tard, on peut se replonger sur les cartes et étudier comment revenir...