El Almanzor (2592m) : à la recherche du soleil dans la Sierra de Gredos

L'Almanzor (2592m) est le point culminant du "Sistema Central", donc des cordillères madrilènes, c'est à ce titre le plus haut sommet entre les Pyrénées et la Sierra Nevada. Il couronne le petit massif très alpin de la Sierra de Gredos célèbre pour ses nombreux lacs et son excellent granit. La proximité de joyaux architecturaux comme Segovie, Avila ou l'Escorial permet de surcroit de combiner idéalement montagne et culture si la météo se montre capricieuse

Notre projet initial était à vrai dire tout autre : profiter de 4 (rares) jours de liberté avec garde des enfants à Berne par ma gentille maman pour aller se promener à ski sur les glaciers d'Engadine ou du Bergell. Mais vendredi après-midi, la veille du départ, c'est la consternation : 4 jours de temps pourri annoncés au nord comme au sud. La consultation frénétique des cartes météo pour trouver une destination de rechange pas trop lointaine n'y change rien : de Florence à Genève, de Zurich à Vienne ou des Pyrénées à l'Auvergne, les prévisions changent du médiocre au mauvais pour au moins 3 des 4 jours. Seul l'extrême sud de l'Italie ou la moitié sud de l'Espagne semble mieux lotie...un coup d'oeil rapide sur internet, o miracle, on peut y trouver pour un prix (presque) dérisoire des vols + voiture "last-minute" Zurich - Madrid; qui plus est avec des créneaux parfaits permettant 4 vraies journées sur place en acceptant de se lever à 4 heures du matin le samedi pour rentrer à minuit mardi soir..."Vade retro Satanas" me dicte ma bonne conscience écologique, un membre actif de MW ne mange pas de ce pain là...mais ce coup-ci la tentation est vraiment trop forte, la perspective de trainer à la maison 4 jours sous la pluie avec gamins excités et grand maman désoeuvrée vraiment trop sinistre, on craque. On croupira quelques années de plus dans le purgatoire des pécheurs du CO2...

Les remords sont pourtant vite enterrés en arpentant au soleil samedi midi les remparts d'Avila avant de monter en fin d'après-midi dormir au Refugio Elola. Comme si les Madrilènes avaient pris conscience de la chance qu'ils avaient de pouvoir profiter de leurs montagnes au soleil en ce WE maudit, ils sont sans doute pas loin d'un millier en train de redescendre de la Laguna Grande de Gredos, le lac encore gelé voisin du refuge. L'endroit est incroyablement enneigé, encore pas loin d'un mètre à 1950m, et avec nos petites chaussures de trekking ultra-light on se sent un peu déphasés alors qu'un certain nombre de gens sont encore à skis ou équipés de piolets techniques pour aller traquer les dernières goulottes. Bon reconnaissons que l'immense majorité appartient davantage au camp des "domingueros", glissant maladroitement sur les immenses névés avec leurs baskets trempées...

Le refuge est presque complet en ce samedi soir, mais l'atmosphère y reste résolument festive et détendue, on y rencontre des Catalans, des Portugais venus en voisins, des Mallorquins et des Andalous...nous sommes donc un peu les extraterrestres de service..."mais j'ai souvent des Hollandais en plein été" nous assure le gardien ! 25 Euros la 1/2 pension, pour trouver moins cher il faut surement descendre dans l'Atlas Marocain...le diner est servi à 8h, les lumières guère éteintes avant 11h et le petit-déjeuner servi au plus tôt à 7h30, pas de doute on est bien en Espagne !

L'ascension de l'Almanzor est un tantinet alpine par ces conditions, mais le soleil qui ramollit les couloirs de montée dès le matin et une trace bien marquée dans le mixte un peu exposé des derniers mètres nous a permis de monter en haut malgré notre équipement minimaliste en aluminium, et sans sortir la corde. Mieux vaut arriver avec un peu d'avance, car les manoeuvres de cordes de nos amis espagnols dans les rochers du sommet sont parfois assez folkloriques. De retour à Elola pour la pause de midi, une longue discussion avec un jeune (et beau dixit Agnès) guide local commence déjà à nous convaincre de revenir dans le coin pour grimper sur le célèbre granit des Galayos, versant sud de la Sierra...avec un peu moins de neige et quelques degrés de plus tout de même. Nos chaussures sont évidemment trempées depuis la veille, perdu pour perdu nous décidons donc de rentrer par le chemin des écoliers pour profiter plus à fond de cette belle journée. Nous gravissons donc encore le Morezòn (2380m) en compagnie de 2 skieurs locaux avant de poursuivre sur la crête pour redescendre au Refugio de Reguero LLano par le col de Candeleda. Le vallon de descente est aussi vert que l'Emmental, si ce n'est que l'eau ne vient pas du haut mais du bas : avec la fonte des névés suite à cet hiver exceptionnel ici, tout le coin ressemble à une immense éponge et on se réjouit déjà de faire tout sécher au refuge suivant.

Il n'en sera rien : nous sommes seuls ce soir avec le gardien Jose Nuñez, une légende locale, une sorte d'ermite nomade écolo-radical qui partage sa vie entre musique, peinture et poésie quand il gardienne, et longues virées en Europe dans sa fourgonnette avec ses 2 huskies pour trouver de petits boulots. La nourriture est bio +++, les portions XXXL, mais pas question de brûler du bois au printemps (sic); on passe donc une soirée à refaire le monde (qui est bien mal parti selon Jose, "el maldito hombre solo quiere destruir"...) et à écouter José jouer (extraordinairement bien) de la guitare flamengo et de la kena pour réchauffer les 9° de la pièce. Je crois que je ne toucherai plus la mienne (de guitare) pendant quelques semaines, dégouté de ma médiocrité.

Le lendemain lundi, tentative à la Mira (autre beau belvédère local) avortée dans un brouillard épais, le vent et le grésil. Le soleil était ce coup-ci versant sud de la chaine (donc de l'autre coté...), tout proche, mais en tant que nouveaux venus nous manquons encore de familiarité avec la météo locale pour optimiser nos choix d'itinéraires en fonction des courants...on s'est donc contentés, depuis le col du Puerto del Peon, d'admirer la plaine de Tolède et la Sierra Morena qui nous narguaient au soleil. Avant de partir nous réchauffer à Segovie (enfin façon de parler...on est toujours à 1000m et malgré les éclaircies la température plafonnait à 7°...au moins avons-nous réussi à trouver un hotel chauffé pour sécher nos godillots !). 

Le dernier jour se révéla plus mouvementé : footing matinal sous la neige à Segovie, passage en voiture du Col de Navacerrada (1860m) avec les chasse-neige, effet de föhn et beau soleil versant sud de la Sierra de Guadarrama, chic qu'on s'est dit, on va pouvoir se faire une dernière belle rando dans le fameux massif de la Pedriza (LE spot d'escalade madrilène)...mais on n'a pas été bien loin ! La simple traversée du village de Manzanares sous les rafales à 100kmh et les tuiles qui volaient a suffi à nous recharger en adrénaline, et nous avons fait 1/2 tour à peine le pied mis sur le sentier. Cap sur le (grandiose) Monasterio del Escorial, autre joyau architectural de Castille...même dans les galeries de peinture on sentait encore le vent s'engouffrer !

Bilan : une région bénie pour concilier montagne et culture au soleil...on reviendra...à vélo pour compenser notre empreinte écologique...le jour où on sera rentiers...

Météo : Samedi soleil et nuages, frais, se dégageant l'après-midi pour monter au refuge. Dimanche assez beau avec nuages du sud accrochant parfois les crêtes, très doux, cumulus sur le relief l'après-midi. Lundi froid, venteux avec rares giboulées de grésil le matin versant N des Sierras, éclaircies en plaine et versant S. Mardi neigeux au nord, beau au sud des Sierras mais froid avec vent du N ~ 100kmh !

Conditions : neige dès 1900m dans la Sierra de Gredos, près d'1 mètre vers 2000m/2100m, crampons-piolet indispensable pour l'Almanzor. Encore de bonnes condiitons pour le ski dans tous les couloirs dominant le refuge Elola !

Participants :  Agnès et moi, une vingtaine de personnes dimanche sur l'Almanzor, seuls ensuite quasiment tout le temps

Itinéraire détaillé : Accès : Madrid - Avila - Hoyo de Espinos - Parking de la Plataforma de Gredos (1770m, terminus de la petite route de 12km entrant dans le PNR de la Sierra de Gredos). 2h15 de Madrid.

J1 : Monter dormir au Refugio Elola (1945m) par un excellent sentier balisé "Laguna Grande de Gredos" en 2h30, et en franchissant au passage un petit col à 2180m. Refuge gardé (80 places) en été et les beaux WE d'hiver et de printemps, sinon refuge d'hiver de 20 places avec dortoirs et salle réchaud mais rien de plus.

J2 : Continuer à monter derrière le refuge en direction de la Portilla Bermeja (2418m), bien visible du bas. Environ 100m sous ce col, bifurquer à D pour remonter un autre couloir (invisible du bas) menant à la brèche dite de la "Portilla del Crampon" (2530m) : névé tardif jusqu'en début d'été, moitié supérieure à 40°, sortie à 45°, crampons-piolet souvent nécessaires. De la brèche, suivre les cairns pour entreprendre une traversée ascendante en versant W (mixte jusqu'en début d'été, sinon pierrier et gradins). On gagne le sommet par un dernier couloir rocheux et quelques passages d'escalade facile et peu exposée (II-III, 1 spit en haut pour assurage et petit rappel éventuel).

Descente identique jusqu'au refuge, reprendre ensuite le sentier du retour et le quitter au moment ou il commence à remonter vers le col pour s'engager dns un vallon à D. On parvient à une sorte de col vers 2300m, d'où le joli sommet du Morezon (2379m, orné de 2 croix) se gagne aisément à D. Suivre ensuite facilement evers l'Est la large crête principale de la Sierra de Gredos jusqu'au Puerto de Candeleda (2080m) en passant devant les ruines du Refugio del Rey. Du col, un sentier discret (quelques cairns, orientation évidente) redescend versant N (donc à G) pour retomber sur le sentier du refuge environ 15 minutes au dessus du parking.

La cotation PD vaut en présence de neige (en général jusqu'en début d'été), sinon c'est plutôt F (mais avec des pierriers laborieux). Les conditions les plus intéressantes se rencontrent donc au printemps (le magnifique Circo de Gredos reste enneigé très tardivement, on y skie encore souvent fin avril / début mai). Le retour (facile, rando T3) par le Morezon et le col de Candeleda permet de faire une jolie boucle.