Fer à cheval helvéto-franc-comtois, de Porrentruy à Neuchatel via la Voie Verte du Doubs

Après les émotions d'Arolla-Zermatt à skis 2 semaines plus tôt le reste de la famille souhaitait profiter un peu de la verdure renaissante sur un petit voyage à vélo. En France, histoire de profiter de régions moins surpeuplées que la Suisse en rajoutant un petit frisson de semi-clandestinité. Et puis j'avoue que perso après presque 40j sur les lattes je commence déjà à saturer, c'est surement l'âge.

Avec le retour du confinement français dès samedi soir difficile de trop s'éloigner de la frontière...d'autant plus que - comme on n'avait évidemment pas de tests à présenter (4 x 160 CHF non merci) - il fallait aussi passer discrètement la frontière à vélo dans les 2 sens. Ca tombe bien, le Jura et l'Ajoie regorgent de petites routes permettant de passer d'un pays à l'autre en mode incognito...

C'est donc parti pour ce raid en fer à cheval entre Ajoie et lac de Neuchatel avec un (immense !) détour par le Doubs dont la voie verte est un modèle du genre. Si elle évidemment plutôt plate, le reste est loin de l'être et on totalisera pas loin de 3500m de D+ sur ce WE de 4 jours - rien de meurtrier mais quand même de quoi se réchauffer un peu de temps à autre, surtout lesté de provisions et de fringues chaudes !

Dans le détail :

Vendredi 02/04 : Courchavon - Baume-les-dames

Sitôt franchie la 1ère cote pour s'extraire du fond du vallon, c'est la traversée de la vaste zone militaire de Bure, tristement célèbre pour bon nombre de recrues...j'explique à Arnaud que s'il n'était pas binational il serait bientôt obligé de ramper ici de nuit dans la boue sous les ordre d'un petit chef excité. Une fois la frontière passée, le parcours ondule dans de belles forêts solitaires jusqu'à retrouver la voie verte à la sortie de Beaucourt. La portion suivante est la plus vilaine des 4 jours à travers l'interminable verrue de Montbéliard et de ses tentaculaires faubourgs industriels, mais au moins reste-on en site protégé. Le parcours redevient vraiment sympa à partir de l'Isle sur le Doubs, ou la bise se lève gentiment pour nous propulser jusqu'à Baume-les-dames. Rien de majeur mais le vieux centre a quand-même son petit charme.

Peu avant l'arrivée, 1ère crevaison du séjour (mais j'ai l'habitude, on n'a jamais fini un voyage sans). J'avais pris soin de monter des chambres à air munies de liquide auto-vulcanisant et - ô miracle - ça marche, le sifflement de la crevaison s'accompagne d'une expulsion de liquide verdâtre qui bouche aussitôt le trou. J'ai à peine le temps de triompher et de bénir mon camarade Bruno, grand expert es-vélo, qui m'avait conseillé ce truc-là ("tu verras tu ne crèveras plus jamais !"). La réparation tiendra en gros 5 km avant un nouveau sifflement strident et une crevaison définitive à travers un marais verdatre et gluant. Ah oui entre-temps c'est Arnaud qui avait crevé à son tour. Bref toutes les chambres à air de rechange sont déjà consommées avant même le 1er soir. On commet pourtant l'erreur de n'en racheter que 2 au Super-U de Baume-les-dames...


Samedi 03/04 : Baume-les-dames - Besançon - Dôle

Je rentre frigorifié d'un trailrun matinal sur le Roc de Chatard pour annoncer à la famille que - si le vent va nous pousser jusqu'à Dôle - ça va aussi cailler un max ! 4 couches de vêtements et quelques heures de vélo plus tard, on part à pied à la découverte du vieux Besançon, qui a vraiment un charme que je ne soupçonnais pas. Malgré la bise glacée, c'est noir de monde et les gens font stoïquement la queue devant les boutiques Zara et consort, à défaut de servir à grand chose au moins les masques obligatoires permettent-il de se protéger du froid.

La suite du parcours est vraiment sympa tout du long, toujours loin des grands axes, la voie verte suit le Doubs ou le canal adjacent qui dérive les eaux de la rivière là où elle n'est plus navigable avant de reconfluer dès que c'est à nouveau le cas. Mention spéciale pour la percée de Thoraise où le canal passe en tunnel à travers un méandre rocheux. Dôle est une petite ville pleine de charme, animée comme jamais en cette fin d'après-midi à quelques heures du reconfinement. Un petit stand sert de surcroit de délicieuses gaufres qu'on peut déguster au soleil à l'abri du vent. En plus on n'a pas crevé de la journée (ce sera la seule fois) et on est accueilli à bras ouverts par Safia qui nous installe dans un appartement de 150 (!) mètres carrés en pleine vieille ville...bref le bonheur est complet. Et j'arrête de ruminer sur les bonnes conditions de ski que je suis sans doute en train de rater, les copains en train d'aligner les hold-ups en neige-moquette, etc...


Dimanche 04/04 : Dôle - Salins - Frasne

3° au départ mais le soleil est franc et lumineux et les grands arbres de l'immense forêt de Chaux (20.000 ha, la 2ème de France parait-il...) nous protègent de la bise qui de toutes façons commence à faiblir. Nouvelle crevaison à la sortie de la forêt...plus qu'une chambre de rechange à la veille de 2 jours fériés...les lumières rouges s'allument car personne n'a envie de se geler les doigts à rustiner la prochaine fois. Un sprint échevelé nous mène à l'Atac de Salins à 5mn de la fermeture, j'en ressors avec les 2 dernières chambres disponibles. Et un pneu de rechange, on ne sait jamais. Agnès et les enfants ont pendant ce temps-là dévalisé la boulangerie voisine et on s'offre un picnic royal avant d'attaquer le relief jurassien.

La montée de Salins à Thésy est déserte et bucolique, par contre ça cogne bien avec 2 km à >10% de moyenne, l'estomac aussi lesté que les sacoches. Enfin personne ne marche, l'honneur est sauf. Toute la suite est un enchantement à travers vastes plateaux solitaires, hameaux perdus et belles forêts dont la célèbre sapinière de Joux. Halte incontournable à l'emblématique "Sapin Président", le patriarche local élu par les bûcherons de la région il y a près de 60 ans : 45m de haut, 200 ans et 4m30 de circonférence. Ca ferait rigoler les amateurs de séquoias californiens mais on n'est pas trop de nous 4 pour l'entourer...une longue portion un peu cahotique en terre nous amène à Boujailles puis Frasne dans le délicieux gite de Charlotte.

Cécile doit rentrer à Berne pour un évènement climatique le lendemain, c'est en la ramenant au train vers 20h30 que nous tomberons sur la seule patrouille du séjour. On est hors-la-loi sur le couvre-feu de 19h et aussi sur les 10kms, on s'attend donc au pire mais le jeune flic nous fait juste observer qu'on se promène indûment sans masque, "obligatoire sur la voie publique depuis des semaines ici, vous ne saviez pas ?" - "euh, c'est qu'en fait on rentre chez nous en Suisse à vélo..." - "...". Il est en fait très sympa et nous félicite pour notre longue étape montante depuis Dôle !


Lundi 05/04 : Frasne - Neuchatel

On a vendu à Arnaud une journée plus relax jusqu'à la gare de Fleurier...ou au pire Boudry...pour de proche en proche finir par l'amener comme prévu à Neuchatel. Départ sous un ciel temporairement grisatre et un froid mordant jusqu'à Pontarlier, le paysage est assez monotone mais on évite facilement le trafic. Sitôt dévalisée la dernière boulangerie du séjour, un puissant vent d'ouest se lève, dégage le ciel et nous propulse littéralement jusqu'au village des Gras (tout un programme !) malgré 300m de D+ interposés. Remontée sèche au Nid du Fol ou la route croise la GTJ nordique qu'Agnès parcourait skis aux pieds 2 mois plus tôt, petit moment de nostalgie...le col-frontière de l'Ecrenaz qui suit est aussi désert que l'entrée en France 3 jours plus tôt et nous parvenons au Lac des Taillères avec la conscience satisfaite du larcin impuni.

La suite sera moins rigolote : le trajet jusqu'au Val de Travers oblige à pédaler d'abord plein W, donc cette fois-ci face au même vent déchainé, qui plus est canalisé par l'axe du vallon de la Brévine. 50 à 60 kmh de face, 10 kmh max, j'avais plus connu ça depuis les plaines du Wyoming quand j'arpentais l'Ouest américain à vélo dans mes jeunes années. Heureusement que ça ne dure même pas 5 km, sinon c'était la Rega. Enfin le taxi, quoi. Dernière crevaison du séjour non loin de la gare de Fleurier - en forme de dernière tentation à laquelle nous ne cèderons pas, d'autant moins que le vent nous propulse cette fois-ci à nouveau jusqu'au bout du Val de Travers. La descente sur le Lac de Neuchatel est assez spectaculaire, les Alpes réapparaissent enfin à l'horizon - non elles ne nous ont curieusement pas manqué...

Dernière pause sur le sable fin de la plage de Colombier, dernière traque de tous les vivres residuels ayant échappé à la voracité familiale, derniers 10km poussés par le vent jusqu'à la gare de Neuchatel et il faut bien se rendre à l'évidence que c'est terminé. Pour se consoler, Agnès nous remontre l'image du panneau vélo si prometteur croisé à Dôle l'avant-veille : EV(EuroVélo) n°6, Nantes 900 km...next time !

Météo : grand beau les 4 jours, un peu voilé le lundi. Vendredi encore agréable, puis températures souvent glaciales le matin (2-3°) les 3 derniers jours, se réchauffant modestement l'après-midi (10-13°)- bref on a souvent pédalé avec 2 ou 3 (ou 4...) couches de vêtements. Gros coup de bol avec le vent par contre : forte bise de NE dans le dos en J1 et J2, se calmant en J3 alors qu'on repartait vers l'est...et basculant à l'W en J4 pour nous pousser vers la Suisse !

Conditions : la partie VoieVerte du Doubs (qui longe en fait souvent le Canal du Rhin au Rhone) est parfaitement balisée et à 90% en site propre sur un excellent revêtement. Elle était relativement peu fréquenté en ce beau WE de Pâques, sans doute en raison des températures frisquettes...le reste du parcours présente bien plus de relief à travers des coins la plupart du temps déserts. Carto au 50.000 appréciable par endroits pour optimiser les petites routes...même si c'est plus du voyage à vélo que du VTT stricto-sensu, les 2 derniers jours présentent pas mal de portions soit en mauvais goudron soit non revêtues exigeant à minima un gravelbike.

Accès : à l'aller vendredi train de 6h52 à Berne --> Bienne --> Courchavon 8h24 (on peut aussi partir de Porrentruy un arrêt avant). Au retour dimanche train de 18h02 à Neuchatel --> Berne 18h52. Aucun souci de foule ou de chargement de vélos, on est loin de la cohue pour le Valais, les Grisons ou le Tessin...

Hébergement : avec les restos fermés pour cause de Covid, on a opté pour des appartements AirBNB chaque soir (à Baume, Dôle et Frasne), aucun problème pour en trouver qui acceptaient de ne louer que pour une nuit. Une centaine d'Euros pour des trucs souvent assez vastes (70 - 120 mc) pour dormir à 4 comme à la maison avec confort ***. Une bonne solution pour voyager à vélo en famille en dur car on économise aussi les repas du soir et les P-dèj au resto qui font vite monter le budget...bon bien sûr on préfère le vélo-camping en temps normal mais là vu la caillante ambiante vraiment aucun regret !

Participants : la famille au complet (rare !) = Agnès, Cécile, Arnaud & moi