La Laitemaire, un petit adieu au Pays d'Enhaut

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La Laitemaire ne semble pas encore figurer dans un seul rapport sur Hikr ; pourtant, ce petit sommet au-dessus de Château d'Oex est très panoramique et la randonnée sans difficultés qui permet de l'atteindre est fort jolie.
 
En cette saison, il faut chercher les pentes sud et les sommets qui se trouvent au-dessus des stratus mais en dessous de la limite de la neige. Depuis le début de la semaine, le Plateau est recouvert d'un brouillard qui s'intensifie de jour en jour, et ce n'est qu'à mi-chemin entre Lausanne et Vevey que les nuages se déchirent enfin pour laisser place au soleil et au ciel bleu.
 
Le trajet entre Montreux et Château d'Oex par le "Golden Pass Panoramic" est toujours superbe (même si personnellement je préfère les vieux trains encore peints aux couleurs bleu ciel et crème du MOB), mais aujourd'hui il est particulièrement beau. Dans la montée vers Les Avants nous laissons progressivement la nappe de brouillard derrière, alors que de l'autre côté du Léman, quelques bandes de brume flottent encore devant les pentes enneigés du Grammont. La descente du tunnel de Jaman vers Montbovon est un festival de couleurs d'automne là où le soleil éclaire la forêt, au-dessus d'un sol encore givré. Un grand groupe de touristes indiens débattent les mérites de différents types de fondue… visiblement, les choses essentielles de la vie dépassent toutes les frontières !
 
Une bise perçante souffle à Château d'Oex, et j'ai peur qu'elle nuise au plaisir de la journée. Mais elle est confinée au fond de la vallée ; au-dessus, il n'y a pas de vent et il fait vite chaud. Pendant la première montée raide vers le hameau du Mont, je suis accompagné par le son des cloches d'un grand troupeau de vaches qui broutent sur le versant opposé du torrent.
 
La vue devient vite superbe. Vers 1200 mètres, je me pose sur une butte herbeuse pour boire et grignote. J'aime beaucoup cette région du Pays d'Enhaut, entre Rougemont et Rossinière ; au fil des années j'y ai fait beaucoup de randonnées, en hiver comme en été. Mais un déménagement imminent va m'en éloigner, au point où elle sera hors de portée, en tout cas pour des randonnées à  la journée. Je ne sais pas quand je pourrai revenir et c'est donc avec un petit pincement au coeur que je contemple le paysage devant moi : le Rocher du Midi que j'ai gravi en début de saison, les Monts Chevreuils traversées en raquettes il y a deux ou trois ans, la chaîne des Vanils éclairée par le soleil matinal et celle de la Gummfluh à contre-jour et encore dans l'ombre… sans oublier les Dents du Midi tout au fond derrière le Col des Mosses.
 
Je poursuis ma montée au-dessus du Mont, vers le chalet des Chiets. Les cloches de l'église de Château d'Oex se mettent à sonner, leur musique se mélangeant joliment au tintement des cloches à vaches. Je passe au-dessus du chalet de Pâquier Ministre, que j'avais imaginé assez imposant en voyant son nom sur la carte mais qui est quelconque, puis au chalet de Grand'Combe, dans une jolie cuvette face aux sommets entourant la réserve de la Pierreuse. La vue s'ouvre maintenant vers l'est également, vers les montagnes au-dessus de Gstaad et Schönried qui attendent la première vraie couche de neige qui permettra de préparer la saison de ski.
 
Une montée courte mais raide jusqu'à la lisière de la forêt m'amène à une bifurcation vers 1550 mètres, où il y a un poteau indicateur "Sommet de la Laitemaire". Cette bifurcation ne figure pas sur la carte et, en effet, au bout de quelques mètres il n'y a plus de sentier, juste quelques marques jaunes peintes sur des rochers. Mais la direction à suivre est évidente ; il suffit de monter en direction du nord-ouest, en suivant la clairière qui mène directement aux dernières pentes sous le sommet. Cette dernière partie est faiblement enneigée, et l'absence de traces de pas dans la neige semble indiquer que l'itinéraire est peu parcouru.
 
La vue depuis le sommet herbeux de la Laitemaire est superbe dans toutes les directions ; il faut juste se déplacer selon la direction dans laquelle on veut regarder, car les sapins juste sous le sommet empêchent de voir à 360 degrés depuis un seul point.  Je choisis la vue vers l'est, vers les Rodomonts et les Alpes bernoises, et m'y installe confortablement avec ma soupe maison et mes sandwiches.  Ensuite je fais une bonne sieste au soleil ; pendant l'heure que je reste allongé au sommet, personne d'autre n'arrive, je ne suis "dérangé" que par le cri des oiseaux, le bourdonnement des insectes et le sifflement occasionnel d'un train dans la vallée.
 
Voulant faire une boucle plutôt que descendre par le même itinéraire, je prends la trace de sentier qui part vers le nord-est et qui descend à une bifurcation (qui, cette fois, figure sur la carte) juste au-dessus d'un chalet. A partir d'ici, sur 200 mètres environ, le sentier passe en versant nord et traverse des pentes relativement raides. Sur ce versant ombragé, même à cette faible altitude, il y a de la neige. Le sentier devient brièvement un peu délicat, en raison de la mince couche de neige posée sur un fond gelé mais également, je dois l'avouer, à mes vieilles chaussures qui ne valent plus rien et qui ne vont pas tarder à prendre une retraite bien méritée.  Le passage scabreux est de courte durée et j'émerge bientôt au soleil à l'alpage de Soupla-Dessus, depuis lequel on voit bien les tours de Mayen et d'Aï depuis un angle inhabituel. Mais c'est surtout la chaîne des Vanils au-dessus de la vallée des Ciernes Picat qui domine le paysage ici, avec le début de la chaîne des Gastlosen plus à l'est.
 
Je descends par une piste carrossable, verglacée par endroits, jusqu'à vers 1400 mètres, où l'itinéraire se poursuit le long d'une large croupe herbeuse, face à un paysage de carte postale. Le soleil a tourné et les sommets pointus de la chaîne Rübli – Videmanette – Gummfluh, qui étaient à contre-jour ce matin, sont désormais mieux mis en valeur. Au Mont-Dessus, je retrouve mon itinéraire de la matinée, que je prends en sens inverse jusqu'à la gare.
 
Le train qui me ramène à Montreux est un vieux bleu, pas panoramique, et j'en suis ravi. Dans la montée entre Montbovon et Allières, le soleil éclaire les arbres à perfection, c'est encore plus beau que ce matin. C'est avec un peu de tristesse que je regarde ce paysage s'éloigner derrière, puis disparaître lorsque le train entre dans le long tunnel de Jaman. Le Pays d'Enhaut me manquera.