Andes du Perou : Huayhuash trek


Publiziert von Bertrand , 8. Mai 2014 um 15:16.

Region: Welt » Peru
Tour Datum:15 Juni 2006
Wandern Schwierigkeit: T4- - Alpinwandern
Hochtouren Schwierigkeit: ZS+
Wegpunkte:
Geo-Tags: PE 

Petit récit d'un merveilleux voyage andin en Juin 2006, entamé par le tour de la Cordillère de Huayhuash (l'un des treks les plus imperssionnants du monde à mon avis) et poursuivi par l'ascension de quelques sommets dans la Cordillère Blanche, dont le facile et panoramique Pisco (5750m) et le difficile Tocllaraju (6050m). Agnès se remettait juste d'une rupture du croisé antérieur et a donc tout fait avec une attelle de carbone, nous ne doutions de rien à l'époque...

Fribourg (Suisse), 2 semaines avant le départ...
  
Mon collègue de bureau Jérôme (qui prépare lui aussi un trek au Pérou pour l'été) fait irruption dans mon bureau :
  
  - Dis Bertrand, t'as vu le site du Ministère français des Affaires Etrangères ?
  - Non, pourquoi, ça a l'air safe le Pérou ces temps-ci (sic)
  - Ben, manque de bol, ils parlent justement de la Cordillère de Huayhuash où tu veux aller
  - Ah bon ?
  - Ouais, et c'est "formellement déconseillé suite à de fréquentes attaques à main armée, parfois mortelles, et même sur des groupes accompagnés"
  - Les cons...
  
Je scanne quand même rapidement sur Internet tous les sites équivalents. Si c'est dangereux, ça l'est pour tout le monde, non ? Résultat des courses : Camp alarmiste 2 (France et Suisse) - Camp taciturne 6 (USA, GB, Allemagne, Italie, Espagne et Autriche). 6-2, ça fait quand même un beau carton en ces temps de Coupe du Monde. Par acquis de conscience, j'écris quand même aux différents voyagistes français ayant mis le Huayhuash sur leur programme.
  
L'histoire se précise, même si chacun y va de sa petite version : au passif, il semble bien qu'il y ait eu un couple américain (ou étaient-ce des Israéliens ?) zigouillés ainsi qu'un solitaire. Mais c'était "il y a longtemps, hors du circuit classique, en saison des pluies...". Bref un peu suspect. Et de toutes manières la police est arrivée et a trucidé les bandits avant toute forme de procès (dans l'une des versions, c'est même le Mossad qui a envoyé une équipe effectuer la besogne…). Et pour clore le tout, les communautés indigènes du coin ont maintenant monté un système de vigilance armée pour que ça ne recommence plus. Selon les visiteurs récents, ils sont d'une discrétion remarquable sauf pour prélever une cotisation de sécurité aux randonneurs gringos de passage...
 
  
  
Chiquian (3400m), dimanche 4 juin
  
Tout avait pourtant bien commencé. Passons sur les 23h de voyage porte à porte entre Berne et Lima. Pour les Andes, à moins de 24h t'as pas grand chose, c'est bien connu  (27h pour Agnès qui a découvert les charmes de l’aéroport de Bogota 7h durant). Je me demande encore pourquoi KLM inflige 2h d’escale sur un bout de caillou désert dénommé Bonnaire alors que 99% des passagers embarqués à Amsterdam souhaitent fermement aller à Lima...enfin passons.
  
A Lima, où chaque guide routard digne de ce nom précise bien qu il faut se méfier des faux  taxis, des faux bus, des faux policiers, des vrais voleurs...nous sommes réceptionnés comme prévu par notre logeuse de nuit, Señora Elizabeth, en 2 cargaisons, l’une à 19h et l’autre à minuit. Une nuit au Temesta et un petit-dèj plus loin, nous ouvrons le coeur battant l’enveloppe contenant nos billets de bus Lima - Chiquian, dûment achetés et déposés par le fils de l’hôtelier de Chiquian qui nous emmènera trekker...quelle organisation ! J’arrive pas à y croire...départ a 9h30, nickel pour ne pas stresser, et le soir même on sera au coeur des Andes. A l’époque d’Internet, même l’Amérique Latine commence à prendre des cotes helvétiques. Enfin petits les cotes...car un peu plus tard devant le hangar de la compagnie "Cavassa", pas de bus en vue. Juste une employée qui nous explique que le bus est "cancelado" pour cause d’élections. C’est vrai que c’est la Présidentielle en ce dimanche, mais la date est connue depuis 2 mois. Alors pourquoi ? "No sé, Señor". Et le prochain bus ? "Mañana, Señor". On se croirait revenus dans Tintin et le Temple du Soleil. Reste à trouver le Chiquito qui nous tirera d’affaire...
  
Car, comme toujours, le programme est chargé comme un agenda ministériel et mañana ne nous convient pas du tout. D’autant que l’acclimatation est courte et que chaque heure passée dans ce trou sordide qu’est Lima, à 0 m d’altitude, se traduit par X globules rouges fabriqués en moins. Arrive heureusement notre Chiquito sous la forme de Manuel Lara Junior. Pour la petite histoire, et pour rester en famille, c'est son père Manuel Lara Senior - l'hôtelier de Chiquian chez qui nous nous prélassons ce soir - qui nous a organisé le trek. Et c'est son fils, étudiant à Lima, qui nous chapeaute ici. Pour faire bonne mesure, et comme l'union fait la force, il nous ramène en renfort ses 2 soeurs qui vivent également à Lima. Nous nous attelons alors tous ensemble a l'épineux problème : comment déguerpir de cette mégalopole à vomir sans cramer 300 $ que les quelques taxis borgnes traînant par la nous réclament pour remplacer le bus. Il y a bien des "autobus de noche" le soir même...mais 12h de plus à Lima suivis de 9h de nuit blanche bringuebalante après 24h de voyage, NON. Sans parler des nombreuses carcasses de bus de nuit garnissant les ravins des roues andines. Les "taxistas" interlopes nous observent du coin de l'oeil  et le sourire aux lèvres, sentant leur proie faiblir...
  
"C'est bon, j'ai trouve un départ a 10h chez la Compagnie Trucmuche !". C'est Cindy, la soeur aînée, rivée à son portable, qui nous annonce la bonne nouvelle. "C'est un bus pour Huaraz, mais vous vous ferez déposer au Col de Conococha et mon père viendra vous chercher depuis Chiquian". 1/2h plus tard dans les bureaux de la Compagnie Trucmuche (je traduis). « Mais Señor, je vous ai fait répéter, au téléphone vous m'avez bien dit 10h du MATIN, pas du soir ! Joder, cabron ! » (gros mot intraduisible). Bon, tous les jeux de piste trouvent un jour leur terme, encore un petit rodéo de banlieue et nous atterrissons, au beau milieu d'une sinistre zone industrielle, chez l'agence JULIO CESAR à laquelle nous arrachons les 4 dernières places pour le Lima-Huaraz de midi. Le temps de partir a 13h30 ("ah, si Señor, las elecciones"), de mettre 1h30 à sortir des bouchons de Lima ("normalmente no hay problema, pero Señor con las elecciones..."), etc...bref la nuit est tombée depuis longtemps   (et on est tous les 3 endormis depuis tout aussi longtemps !) quand Manuel Jr nous réveille en sursaut. Nous sommes projetés sans ménagement avec armes et bagages dans la nuit glaciale du Col de Conococha, à 4100m, là où les routes de Huaraz et de Chiquian divergent. Un Mate de Coca plus loin et Manuel Lara père est bien là, 1h plus tard et nous nous (ré)endormons sur un "Lomo Saltado" fumant, et encore 1h plus tard nous dormons pour de bon sous les épaisses couvertures de l'Hotel « Los Nogales ». Les vraies vacances peuvent enfin commencer.
  
 
  
Chiquian (3400m), lundi 5 juin
  
Le jour venu, nous découvrons le petit Eden dans lequel nous avons atterri. Incroyable de trouver un truc pareil au milieu d'une bourgade andine perdue à 3400m. Les chambres douillettes avec TV, vraie plomberie et eau chaude (du moins aux heures où il y a du courant) entourent un magnifique patio débordant de fleurs multicolores, l'accueil familial est adorable, et nous apprenons rapidement que Manuel père et fils nous accompagneront également, à titre gracieux, pendant le trek en plus du muletier et du cuisinier prévus au contrat. C’est encore l’avant-saison et ils souhaitent examiner les conditions du parcours. Bref rien que des bonnes nouvelles. Pas de souci, ça ne va pas durer…
  
La journée est vite racontée. Le matin avec Manuel Jr une petite rando acclimatative "de mise en train" qui finit quand même par durer 6 heures; l'après-midi à explorer Chiquian afin de restocker Aspirine et Ibuprofene pour lutter contre le terrible "soroche", version andine du Mal des Montagnes...Enfin et surtout un passage chez le coiffeur pour Agnès et moi qui restera parmi les grands souvenirs du voyage. D'ailleurs se faire couper les tifs dans des coins perdus est souvent à recommander pour se plonger dans l'ambiance locale. Nous papotons avec l'indienne qui nous coiffe (d'un oeil, l'autre surveille son gamin dans la rue), avec les clientes assises qui attendent leur tour, la coiffeuse papote aussi en direct avec lesdites clientes, leur expliquant comment elle a pu "enfin" remplumer son fils ("J'ai commencé à rajouter systématiquement de la farine dans le lait du biberon ! Si Señora, funciona muy bien !"). Et nous ressortons chacun 1 heure plus tard avec une coupe "montagnarde" mais tout à fait présentable et pour un prix qui ne sera sans doute plus jamais battu lors de nos futures pérégrinations dans les cordillères exotiques : 6 Soles soit 1.8 Euro...pour les deux !
     
 
                       
Lac de Mitucocha (4230m), mardi 6 juin
  
Comme toute bonne aventure andine, avant qu'il soit question de marcher, celle-ci commence par 3 heures de marteau-piqueur sur la piste défoncée nous amenant d'abord à Llamac, le dernier village habité, puis à Matacancha, 4150m, un ramassis de masures en chaume et pisé où une poignée d'Indiens misérables élèvent quelques moutons à la belle saison. Etonnamment nos ânes sont bien ponctuels au rendez-vous, le muletier et le cuisinier aussi, tous avertis sans doute par téléphone satellite. Les 7 bestioles sont chargées rapidement et la caravane s'ébranle sous un ciel déjà menaçant. On a du oublier de prévenir la saison sèche par téléphone satellite…en tous cas, le coin évoque moins les cartes postales du bleu andin que (dixit Michel, grand Pyrénéiste devant l'éternel) "les lapiaz de la Pierre St Martin une journée pluvieuse d'automne".
  
Le 1er col à 4700m est du coup avalé d'un pas alerte, pas suffisamment pour éviter la sauce qui nous rattrape dans la descente. Pluie, puis grêle (c'est mieux, ça mouille moins). On ne peut même pas se consoler à la perspective de retrouver plus bas un camp installé avec le thé fumant : les ânes semblent avoir du mal à passer le col sous la tourmente, et restent invisibles loin derrière nous. Nous traînons au maximum les pieds, tant qu'à être mouillés marcher ça réchauffe, et on arrive à peu près groupés. Pour finir sur les bonnes nouvelles, le camp prévu au bord de la Laguna Mitucocha est déjà squatté par 2 groupes et il faut installer les tentes 2km en aval au milieu de nulle part. Enfin au moins la flotte s'est-elle arrêtée. Et dire que je m'étais cru malin de choisir l'avant-saison de juin pour cumuler saison sèche et absence  de gringos. Jusque là c'est réussi...
  
Une brève éclaircie sur les (dit-on) impressionnants glaciers du Jirishanca nous pousse à aller faire un petit tour vers la Laguna (lac, en langage andin) - arrivés là-bas, les nuages sont bien sur de retour, et les gringos annoncés sont bien installés aux meilleures places. Des Japonais venus filmer. Bien fait pour eux, ils ne verront rien non plus, z'avaient qu'à venir en juillet-août comme tout le monde. De toutes façons vu le climat pourri régnant toute l’année sur les montagnes nippones, ils ne doivent pas se sentir très dépaysés...
  
Pour aller se coucher sur une note d'optimisme, Jorge le cuisinier - l'homme clé de toute expédition, c’est bien connu - semble remarquablement à son affaire ce qui augure bien de la suite : certes ce n'est pas le raffinement britannique des treks en Himalaya Indien mais l'un des poulets (vivants) voyageant avec la caravane a déjà quitté les effectifs et le résultat est excellent. Les autres voyagent entassés dans une caisse sur le dos d’un des ânes et leur sort n'est finalement guère plus enviable. Ma fleur-bleue de petite femme déclare qu'elle va rapidement finir totalement végétarienne...Nous avons même droit à un énorme 4/4 (quatre quarts, pas quatre-quatre !) en l'honneur des  35 ans de Michel. Il recommence à pleuvoir en allant se coucher, ce sera le 1er test de la réelle imperméabilité de l'équipement - et Agnès, qui rêvait de vacances à se chauffer au soleil...rêve peut-être d’Ibiza sans oser me l’avouer !
  
 
 
Lac de Carhuacocha (4200m), mercredi 7 juin
  
Il flotte à torrents une bonne partie de la nuit. On nous avait pourtant expliqué qu'en saison sèche les (rares) averses restaient cantonnées à l'après-midi et que les nuages se dissipaient la nuit. Nous aurait-on menti ? Au lever du jour, pas d'illusion, tout est noyé dans la crasse et l'ambiance est sinistre à souhait. Patience, Bertrand, patience...sitôt le (plantureux) petit-déjeuner avalé, un timide soleil apparaît et les terrifiants sommets autour du Jirishanca commencent à pointer le bout de leur nez. L'endroit se prend enfin à évoquer les images flashantes des revues de montagne, celles que nous étions venus filmer nous aussi (quel loisir idiot, ces treks classiques, finalement). Nous refilons au pas de course vers la Laguna mais évidemment comme la veille le rideau se referme des qu'on arrive. Restons zen, faisons un pas de coté...
  
Montée morose au Col de Carhuac (4650m, le plus bas du circuit) sous un ciel plombé, seul Michel s'extasie devant toutes les nuances de vert et de brun lui rappelant ses raids humides à travers le Béarn et le Pays Basque..."parce que tu vois, là-bas, quand il pleut, c'est pour de vrai, le ciel ne te laisse AUCUN espoir, et ça dure jour et nuit...". Soit. D’ailleurs j’ai aussi donné lors d’une paire de transpyrénéennes cyclotouristes mémorablement arrosées.  J’ai maintenant plutôt en tête l'Atlas Marocain comme prochaine destination familiale...
  
Le plus incroyable : cette région qu'on imaginait d'une radicale sauvagerie est en fait très habitée ! Autour de sommets glaciaires figurant parmi les plus impressionnants de la Terre, on passe sans transition à un relief de collines moutonnées entièrement tapissées d'un beau tapis d'herbe et de mousse. L'Irlande collée autour de l'Himalaya en quelque sorte.  Enfin peu de bergers irlandais accepteraient de vivre comme ces familles indiennes misérables estivant à 4500m dans des conditions qu’on a peine ou honte à décrire. Les giboulées non prévues au programme, qui nous font pester, bien abrités sous nos Goretex, contre le réchauffement climatique et son grand Satan GW Bush, ne semblent pourtant guère les émouvoir. Les plus malins d’entre eux se sont procurés on ne sait comment des stocks de bières et cocas qu’ils tentent de revendre aux touristes assoiffés. Même sans avoir soif (pas de risque vu le temps !), un petit achat permet au moins une poignée de photos en toute bonne conscience (ou presque).
 
Le camp est déjà monté lorsque s’installe sur la région une curieuse alternance d’éclaircies brûlantes et de volées de grêlons. Inconvénient, on passe notre temps à s’habiller et se déshabiller. Avantage, ce style de météo est en général accompagné d’ambiances lumineuses fugitives mais étincelantes. Presque de quoi nous consoler du reste de la journée. Atmosphère islandaise des jours de beau temps, diront les connaisseurs. Planté au pied des glaciers suspendus du Siula, Jirishanca et autre Yerupaja (6600m), la « laguna » de Carhuacocha fait sans doute partie des plus beaux endroits de la Cordillère des Andes. Enfin c’est ce que disent les guides, il suffit d’ailleurs de lever les yeux (très haut) pour s’en convaincre. Ca tombe bien, nous allons y passer plus de temps que prévu…mais n’anticipons pas. Pour en finir avec les superlatifs, lesdits Jirishanca (« Bec du Colibri » en Quechua) et Yerupaja (signification inconnue) font aussi partie des sommets les plus difficiles des Andes voire de la Terre entière. Là encore, il suffit de lever les yeux (toujours aussi haut) pour en être – également – convaincu. Ce dernier doit être gravi en moyenne tous les 5 ou 10 ans. Au maximum…
 
Le reste de l’après-midi s’écoule paisiblement dans et devant la tente-mess (au gré des éléments) entre brefs raids photographiques, leçons de Français données par Agnès à Emmanuel Lara Jr, rudiments de Quechua que Joël, le muletier, tente courageusement de m’inculquer…Comme la veille, pas question d’imaginer que le ciel étoilé reviendra sitôt le soleil disparu, comme il est écrit dans les livres. La pluie et la grêle se relaient pour assiéger la tente-mess pendant le dîner, ça commence même à goutter sur les succulentes truites fraîches du lac achetées aux indigènes – et sur les incontournables patates andines qui les accompagnent. Ca continue à tambouriner sur les parois de la tente sitôt couchés (mais là notre Hilleberg « made in Sweden » reste d’une imperméabilité intraitable), avec un coup de tonnerre pour faire bonne mesure. « Des orages ici en cette saison (sèche) ? Ah no, imposible, hombre » m’avaient expliqué en chœur Manuel père et fils pendant le repas...le Diamox est abandonné au profit du Temesta – nous sommes parfaitement acclimatés tous les 3 par contre le bruit de la grêle frappant la tente traverse même les Boules Quies !
 
 
 
Laguna Carhuacocha (4200m), jeudi 8  juin
 
Grande nouveauté ce matin. Là encore du jamais vu de mémoire d’arriero : il neige ! En fait, il a même neigé une bonne partie de la nuit. Du coup les parois de la tente se sont à moitié affaissées sur nous ce qui a permis à l’humidité ambiante une 1ère incursion à l’intérieur de notre dernier réduit de défense, notre tente suédoise garantie toutes conditions. Andes Péruviennes : 1 – Scandinavie : 0. Vaut mieux en rire finalement – c’est en tous cas ce que font Manuel père et fils, Joël l’arriero (muletier, en langage local) et Jorge le cuisinier. Ambiance filmogénique à souhait que ce camp tout blanc. Ça me rappelle notre tentative sur l’Ararat où la colère de Noé nous avait infligé 3 jours de camping sous des trombes neigeuses. Et dire qu’on avait mis le réveil à 6h pour la grande étape de la journée…celle-ci est remise au lendemain sous des cieux espérés plus cléments, de toutes manières les ânes auraient bien du mal à marcher sur de l’herbe rendue savonneuse par la neige fondue. Nous sommes donc contraints dès le 3ème jour de consommer notre seule journée de réserve, celle qui était bien sûr prévue pour finir tranquillement. Quant à imaginer ce qui se passera si c’est tous les jours comme ça…les échappatoires sont rares sur l’ensemble du circuit et arriver dans une vallée imprévue peut se solder par 10 ou 20 heures de marteau-piqueur dans un vieux bus local, dans l’hypothèse improbable où on parviendrait à en dénicher un…Manuel Lara père esquive le sujet et préfère m’expliquer que « vraiment, que mala suerte, jusqu’à la semaine dernière il faisait grand beau, et l’année dernière avec un autre groupe suisse  - ay, que sol lindo ! » etc…Ayant l’habitude d’attirer la pluie vers les régions ou les saisons les plus sèches comme le miel attire les mouches, je l’écoute avec une patiente résignation. En me disant seulement que nos invraisemblables 2 semaines de ciel bleu en Patagonie  l’an passé devaient bien se payer un jour ou l’autre !
 
A défaut de 2 semaines ce sont déjà 2 heures de soleil qui pointent quand même le bout de leur nez vers 11h. Nous partons faire le tour de la « Laguna ». Ah oui, Laguna = Lac pour ceux qui n’auraient pas encore compris. Personne n’allait quand même nous imaginer en vacances au bord de la mer, quand même ! A l’extrémité amont, le recul des glaciers a créé une plaine herbeuse (vu de loin) qui s’avère de près être un vaste marécage aux accents résolument ruwenzoriens, sillonné de surcroît de nombreux torrents plus ou moins larges. La vaine recherche d’un gué pour franchir le 1er  d’entre eux nous fait vite comprendre que les bergers du coin avec leurs grandes bottes se passent fort bien de pont…il faut donc traverser pieds nus, un revigorant massage circulatoire dans de l’eau ne dépassant pas les 5°. Plus chaude que les 0°  des Sources du Gange, mais guère plus baignable…la première toilette attendra. Alors que je remets bêtement mes chaussures pour achever de les tremper dans l’herbe gorgée d’eau, Agnès astucieusement adopte la technique zanskari : rester pieds nus jusqu’à la fin définitive des hostilités. L’herbe est douce, les pieds s’habituent à la température au bout de quelque temps, et l’exercice vaut toutes les balnéothérapies des meilleurs centres de wellness de Suisse et de Navarre !
 
La zone humide est à peine franchie que le ciel se rebouche rapidement sur les 6600m du Yerupaja qui avait daigné se découvrir pendant une petite heure pour nous permettre quelques photos de consolation. Mais la vraie consolation, c’est bien la rencontre du patriarche du lieu, Señor Avalos, qui vit ici toute l’année avec sa famille, ses vaches et ses brebis au pied de sommets figurant au Panthéon mondial de l’alpinisme de haute difficulté. Oui, toute l’année, saison des pluies comprise (qu’est-ce que ça doit être !)…Il est adorable, bavard comme pas deux, parle mieux l’espagnol que le quechua…et il en a des choses à raconter ! De Hans et Alice, les grimpeurs suisses qui dans les années 70 écumaient les sommets avoisinants et qui étaient devenus parrain et marraine de quelques uns de leurs 11 enfants. Des Yougoslaves cinglés qui avaient réussi à forcer la terrible face SE du Yerupaja et à en redescendre vivants. Des changements climatiques et de cette saison sèche qui parfois  oublie un peu de l’être…
 
De retour au camp pour le déjeuner, une constatation s’impose :  nous sommes encore un de moins. Une de moins pour être précis : la dernière poule de la caravane que nous découvrons dans nos assiettes successivement sous forme de soupe puis de viande grillée. Le soleil fait ensuite une heure supplémentaire en sus du minimum syndical, permettant un séchage quasi complet des tentes et des vêtements…avant qu’à 16h50 tapantes, tout ne se refasse méthodiquement tremper par l’averse du soir, un peu en avance cette fois-ci.. Inutile d’essayer de jouer au prévisionniste en herbe en observant l’évolution du vent, des nuages, de la température et de la pression avant de diviser le tout par π – le climat local reste aussi mystérieux et imprévisible que celui du Ruwenzori, à ceci près que là-bas on était prévenus. Et qu’ici on a cru jouer au plus fin en faisant manquer à Cécile 3 semaines de crèche forestière pour viser juin, le win-win par excellence, sec et sans foule. Résultat on baigne dans l’humidité et c’est déjà la 5ème caravane de mules pour gringos-trekkers qui passe devant mes yeux en écrivant ces lignes !
 
 
 
Huayhuash (4350m), vendredi 9 juin
 
« Qui a plu pleuvra », telle semble être la devise de cette Cordillère prétendument sèche en cette saison. Un vague carré de ciel étoilé annonce pour notre incurable optimiste de Michel une nuit tranquille et une aube dégagée. Le lever de soleil sur les 2000m de paroi glaciaire du Yerupaja se reflétant dans la Laguna est parait-il le clou du circuit...mais à nouveau, sur les coups de minuit, la pluie recommence à s’écraser sur les parois de la tente. De bonnes grosses gouttes bien dodues qui nous rappellent qu’on a  choisi de voyager sous les tropiques. Résistant à la tentation du Temesta, je passe les 5 heures suivantes à assister aux crescendos et decrescendos du déluge, je deviens expert à distinguer les subtiles variations entre pluie, grésil et grêle…seule la neige manque à l’appel cette fois-ci, mais pas de souci, elle ne doit pas être bien loin au dessus de nos têtes. Quelques rêves ensoleillés interrompent quand même cette longue attente. Non, non, pas Ibiza, plutôt la Patagonie, celle que nous avons connue par 25° à l’ombre sous un ciel sans nuages, c’est un peu le monde à l’envers…
 
Au réveil, l’ambiance détrempée atteint un niveau de sinistre encore inégalé ! Si l’intérieur de notre valeureuse tente Hilleberg (ces Scandinaves connaissent manifestement la question) est cette fois-ci juste un peu humide, la terre andine gorgée d’eau commence à crier halte-là et le reste du camp se transforme lentement mais sûrement en un immense bourbier. Nos amis péruviens restent pourtant intraitables sur les 6h30 du petit-déjeuner. L’étape est longue, nous avons mangé notre jour de réserve, et il faudra bien arriver à l’alpage de Huayhuash coûte que coûte et quelques soient les conditions, quitte à porter les ânes dans la neige si nécessaire…
 
Michel choisit de rester avec la caravane muletière qui emprunte un col tranquille à 4600m, Manuel Jr, Agnès et moi préférons forcer le passage par les 4834m « plus alpins » de la Punta Siula. Enfin n’exagérons rien, cela signifie simplement que c’est un peu trop escarpé pour les ânes ! Nos topos déconseillent pourtant formellement de s’y aventurer par mauvais temps à cause de « l’absence totale de sentier » mais la Cordillère de Huayhuash s’est – hélas – bien civilisée ses dernières années et l’itinéraire est facile à trouver, souvent balisé, et pas plus escarpé qu’un sentier tessinois. Malgré le ciel bas et les sommets bouchés, le parcours reste somptueux, 3 lacs superposés de 3 couleurs différentes dans lesquels viennent se jeter des glaciers suspendus aussi spectaculaires que possible. Qu’est-ce que ça doit être avec un ciel tout bleu et les grands sommets au dessus…on reviendra avec Cécile et Arnaud …dans une quinzaine d’années…si les glaciers sont toujours là…
 
Un timing judicieux nous permet d’arriver au col au même moment que les 10 minutes de soleil de la journée. Après les déluges à répétition des jours (et nuits) précédents, la descente s’est par contre transformée en un gigantesque marécage incliné qui plus est couvert de neige fondante. Le Ruwenzori n’est plus très loin…mais sans nos bottes fétiches c’est soudain bien moins rigolo. Pendant qu’Agnès achève de rééduquer patiemment son genou sur ce terrain des plus indigestes pour elle (et pour lui), et alors que le grésil recommence évidemment à tomber, Bertrand lui commence à rêver, une nouvelle fois. A se prendre pour James Bond. A imaginer une combinaison téléphone satellite – hélicoptère – jet privé qui nous déposerait en quelques heures à Arequipa. Vous savez, la ville de Mario Vargas-Llosa, toute blanche sous un quasi éternel ciel bleu, qui plus est entouré de jolis volcans à 6000m propres à apaiser notre soif d’altitudes exotiques…
 
Retour sur Terre, dans la terre, dans la boue plus précisément. Huayhuash village, 4350m, 2 maisons, une famille résidente de juin à septembre, une trentaine de vaches et veaux, à peu près autant de moutons, des pelouses de rêve pour planter sa tente et rêver (pour de vrai, cette fois) devant les glaciers suspendus (désolé de radoter, mais les glaciers sont tous suspendus par ici) du Sarapo et du Jurau…Bon, une nouvelle fois, pour ces derniers, c’est un peu rapé. Mais la chance est parfois un peu de notre coté : Manuel père est un vieux pote du fils de la famille, Don Armando, ce qui nous permet d’installer notre cuisine au sec dans la maison principale. Une soupe épaisse et fumante, une accalmie permettant de monter la tente et d’en sécher les parois détrempées, l’accueil chaleureux de la vieille maman d’Armando…et la vie reprend quelques couleurs.
 
Locales, les couleurs : nous croisons d’abord 4 Indiens en poncho. Jusque là rien d’anormal…si ce n’est que l’un arbore fièrement un grand fusil. Il s’agit en fait de l’équipe de la « seguridad » qui veillent désormais sur l’intégrité des gringos trekkers suite à une poignée d’ agressions mortelles 3 ans plus tôt. Mais le clou de la journée restera le rodeo du soir : le progrès médical est arrivé même à Huayhuash et Armando doit injecter à chacune de ses 15 vaches un complément de calcium et de phosphore. Il peut aussi s’agir parfois d’antibiotiques…enfin passons. Les ruminants sont regroupés non sans peine dans un corral de pierres sèches (humides, en l’occurrence), les 4 agents de la securité (qui n’ont il est vrai pas grand-chose à faire ces temps-ci) sont appelés en renfort…chacune des bestioles est alors successivement attrapée au lasso par les cornes, maintenue par la queue, les pattes, et le museau (voire même la langue pour les plus récalcitrantes) et dûment piquée dans la fesse avant d’être libérée et de meugler son désaccord.
 
Un petit vent aigre du sud s’est levé, la vieille mère d’Armando nous invite à nous réchauffer les mains sur l’âtre de sa petite maison pendant que son fils nous explique d’un ton assuré que le vent du sud va à coup sûr chasser les nuages pendant la nuit. Un genre de mistral à l’envers, logique puisque nous sommes dans l’hémisphère sud…en attendant mistral ou pas il recommence à pleuvoir doucement mais inexorablement dès la tombée du jour…
 
 
 
Laguna Viconga (4400m), samedi 10 juin
 
A la maison on serait sûrement en train d’organiser un WE de camping ensoleillé avec les enfants, à pied ou à vélo, en Valais ou au Tessin …on se raccroche à ce qu’on peut dans les moments difficiles…mais n’anticipons pas. La journée a pourtant bien commencé. Par 2 nouveaux records, pour être précis. Le premier c’est qu’il n’a pas plu de la nuit entière. Le second, encore plus incroyable, c’est que le lever du jour se fait pour la première fois sous le ciel bleu. Le mistral local a donc fait son effet…mais il est déjà tombé. Et un gros bonnet d’âne grisâtre et lenticulaire couvre rapidement les meringues de glace en équilibre instable couronnant l’impressionnant sommet du Carnicero (« le boucher », ça ne s’invente pas…) droit au dessus de nos têtes. En montagnard averti, flairant la bonne affaire, je parie aussitôt avec Manuel Père qu’il pleuvra avant le soir. Un Pisco Sour. Cela m’obligera à goûter la boisson nationale…
 
L’étape est courte, le soleil chauffe le camp, nous passons donc les premières heures de la matinée à faire sécher les affaires humides, c'est-à-dire à peu près 90% de ce que nous avons emmené (les 10% restant étant composés des affaires trempées). 3 heures de soleil d’affilée ! A ce train là on va bientôt se croire à Ouarzazate…Montée tranquille au Portachuelo de Huayhuash à presque 4800m après de déchirants adieux avec Armando et sa vieille maman qui a les larmes aux yeux. Et qui me met les larmes aux yeux lorsqu’elle me répond – alors que je lui ai promis de revenir ici dans une dizaine d’années avec nos enfants – qu’elle sera sûrement morte d’ici là. Les cumulo-nimbus qui commencent à enfler à toute vitesse sur les sommets du voisinage prennent soudain bien moins d’importance.
 
Au voisinage du col, une végétation de grosses bosses moussues (ou de grosses mousses bosselées, c’est comme on veut) rappelle à nouveau un peu le Ruwenzori. La boue de la descente aussi d’ailleurs. Enfin moins que la veille, avec un peu d’adresse on parvient même à ne pas retremper les chaussures qui ont eu tant de mal à sécher le matin. Patience, elles ne perdent rien pour attendre…
 
Les derniers rayons de soleil éclairent la magnifique descente sur le grand Lac de Viconga, à 4500m sans doute l’un des plus hauts des Andes. Non qu’on soit au crépuscule, loin de là, c’est juste le ciel qui noircit à vue d’œil comme chaque jour. Ils éclairent aussi le visage des gamins arrivés en courant ( !) d’une cabane isolée pour échanger leurs sourires photogéniques contre un « caramelo ». C’est vrai qu’on en a des stocks, notre cuisinier nous en rajoute chaque matin une dizaine au fond des « pack lunch ». A croire qu’ils sont de mèche. Mais le clou de la journée c’est bien le crochet vers les Sources Chaudes d’Atuscancha. Accès bien sûr dûment contrôlé par une poignée d’indigènes de la « Comunidad » locale qui eux ne se contentent pas de caramelos mais préfèrent des Soles sonnants et trébuchants. Il est vrai que dans le forfait est aussi inclus le pâturage pour nos ânes – et surtout la « seguridad » contre les bandits qui avaient donné mauvaise réputation à l’endroit il y a quelques années.
 
Nous n’y sommes d’ailleurs pas seuls : deux Israeliens plutôt sauvages effectuant le trek en autonomie complète avec des sacs plus hauts qu’eux, une Indienne et sa petite fille vendant bière et coca frais à ceux que le bain chaud aurait donné soif…l’eau est entre 37° et 40°, inutile de dire que c’est un pur bonheur (et accessoirement la seule toilette des 8 jours pour ceux qui comme nous détestent les torrents glacés…). Un bonheur à la hauteur du sale moment à passer pour se rhabiller en plein vent ; lequel vent ramène d’ailleurs aussi à vitesse accélérée de gros nuages noirs foncés depuis le fond de la vallée…mais pour une fois nous serons les plus forts. Habillage express, ½ heure de marche sprintée pour rejoindre le camp, 3 min. 30 chrono pour monter la tente et nous sommes tous réfugiés sous la tente-mess devant une soupe au potiron fumante alors que les 1ères gouttes claquent sur la toile. Beau joueur, Manuel s’incline mais me promet un Pisco Sour « corsé », par lequel c’est de mes yeux que sortira la pluie…voulant rester élégant, je surenchéris aussitôt sur un autre pari stupide : nous ne finirons pas le circuit sans qu’il ait plu au moins une fois par jour, saison sèche ou pas. L’enjeu est plus sage, et surtout plus excitant pour moi : une portion de Dulce de Leche, cette pâte de lait caramélisé surconcentré qui fait le bonheur des routards (et des autres) à travers toute l’Amérique Latine !
 
Le même Manuel (père) m’avait expliqué quelques jours plus tôt que pendant ladite saison sèche (c'est-à-dire de mi-mai à mi septembre, cherchez l’erreur…), si la pluie était rare mais pas exclue, les orages eux étaient absolument inconnus. Caramba, j’aurais dû encore parier (un Ceviche, pour changer ?) : histoire de changer des averses et de la neige, c’est une « tormenta electrica » violentissime qui s’abat sur le camp sitôt achevée le tea-time. Le son et lumière au grand complet : foudre, éclairs, grêle, tonnerre, avec de splendides échos dans les immenses parois rocheuses au dessus de nos têtes…Comme toujours dans ces cas là, histoire de se rassurer, nous comptons les secondes entre flash lumineux et grondement pour se convaincre que « ça s’éloigne »…mais ici par un curieux effet boomerang, sitôt franchie une certaine distance la foudre se rapproche à nouveau comme si un esprit malfaisant la tenait prisonnière avec une corde élastique ancrée résolument sur notre petit campement !
 
Je tente vainement de m’extraire de cette ambiance sinistre en m’enterrant sous le duvet, les écouteurs dans les oreilles, le lecteur MP3 au volume maxi avec de la musique andine…en imaginant Cécile et Arnaud gambadant au soleil parisien à 50m d’altitude…même si avec le décalage horaire ils doivent plus probablement être en train de dormir à poings fermés ! Ce qui me reste de pitié va pour Pierre et Jocelyn, deux Français effectuant eux aussi le circuit en autonomie complète, qui viennent d’arriver trempés et doivent encore se bagarrer pour monter leur tente sous la grêle et les éclairs. Pourtant même les plus sales moments ont aussi une fin…après un excellent dîner (des Carbonara «al dente» à 4500m, Jorge est un vrai magicien), suivi de tasses de Mate de Coca à répétition pour retarder le retour aux tentes, un spectacle féérique s’est soudain invité à l’extérieur : les nuages se sont volatilisés, laissant régner la pleine lune et la Croix du Sud sur les sommets voisins qui étincellent maintenant d’une lumière sublime au milieu de la nuit. La prière à Inti prononcée en Quechua par Joël et Jorge a peut-être été entendue.
 
 
 
Huanactapay (4300m), dimanche 11 juin
 
La chance aurait-elle enfin tourné ? En tous cas nous passons non seulement notre seconde nuit d’affilée au sec mais avons surtout droit à notre premier réveil limpide, de ceux que la saison sèche andine est supposée garantir…la pluie de la soirée s’est du coup transformée sur notre tente en une jolie carapace de glace. Pratique puisqu’il suffit de la brosser pour retrouver une toile quasi sèche. Dans la bucolique montée au Col Cuyoc (5020m, point culminant du circuit), les couleurs sont d’une pureté exceptionnelle – il faut dire que l’atmosphère a été lavée fréquemment ces temps-ci ! Les rares cumulus tout blancs ne gênent guère le coup d’œil sur les 6600m du Yerupaja et toute sa petite famille qui scintille comme un étal de diamant dans une bijouterie de St Moritz. Incroyable comme le moindre petit sommet de 5500m a des allures de Cervin ou de Fitz Roy ici, partout ce ne sont que parois de neige presque verticales, glaciers suspendus et déchiquetés, échafaudages surréalistes de meringues blanches posées les unes au dessus des autres tel un château des cartes prêt à s’écrouler…La Cordillere de Huayhuash ne fait pas de concession, pas la moindre cime aussi mineure qu’elle soit qui n’exige de ses soupirants une logique expéditionnaire lourde et un niveau d’alpinisme d’élite – sans parler des risques encourus à vouloir piétiner ces enchevêtrement neigeux défiant la gravité.
 
Longue descente dans les pâturages infinis de la Vallée de Huayllapa. Nous avions envisagé au départ de rajouter au programme un petit col à 5000m mais Manuel Jr juge que les 5cm de neige (peut-être même 10 par endroits !) et la pente effrayante tutoyant les 25° rend la tentative bien trop risquée sans corde ni crampons…malentendu ou mauvaise volonté, le camp du soir est installé suffisamment loin en aval pour nous dissuader d’y remonter le lendemain à l’aube. Malgré la volonté affichée d’Agnès de se tester sur une journée « radicalement longue » qui aurait sûrement dépassé les 10 heures de marche…Enfin tant pis, nous oublions vite ce petit moment de frustration en discutant à bâtons rompus avec Pierre et Jocelyn avec lesquels nous nous découvrons, comme c’était à prévoir, un océan d’atomes crochus et de passions communes. Pierre exerce le beau métier d’accompagnateur en moyenne montagne (AMM pour les initiés) en Savoie et parcourt au gré des saisons la Vanoise, l’Atlas marocain ou l’Equateur, à pied ou à raquettes, avec des clients ou en repérage…inutile de citer lesquels d’entre nous cela fait rêver (pour employer un terme modéré)…Tous les 3 ? Bonne réponse !
 
Quant à Jocelyn, il parcourt le monde depuis 9 mois du haut de la liberté de ses 25 ans, aussi passionné de culture traditionnelle sino-japonaise ou aztèque que de longs trekkings andins ou himalayens. En guise de bonus, comme tout sportif digne de ce nom, il a déjà eu l’occasion de déchirer ses ligaments croisés du genou – mieux, même, les deux, et chaque genou a été opéré avec une technique différente. Du pain béni pour Agnès qui le bombarde de questions pointues sur les avantages respectifs du Kenneth-Jones et du DIDT, les dernières méthodes à la mode…
 
Absorbés dans tout ce bavardage exotique, personne n’a songé à lever les yeux vers les cumulus tout petits et tout blancs de midi qui ont soudainement noirci et pris de l’embonpoint vers 15h. Rien que du déjà-vu : bon timing une nouvelle fois, arrivée au camp sous les premières gouttes avec une nouvelle installation de tente accélérée à la clé. On devient de vrais pros…je n’ai pas chronométré cette fois-ci mais la barrière des 3 minutes a dû vaciller ! Le grain passe rapidement, et les débats sur la traversée du M’goun (Haut Atlas marocain pour les ignorants) avec grand-père et enfants ou sur les différentes faces skiables de la Grande Casse (3856, point culminant de la Vanoise pour les re-ignorants) reprennent rapidement là où ils ont été interrompus. A propos de grain, bref certes, mais encore un orage, ça devient une habitude… « Tormenta electrica en Junio ? Hombre, imposible aqui ! ». Sacré Manuel…En attendant plus que 3 jours et j’aurai gagné mon deuxième pari !
 
 
 
Huatiaq (4300m), lundi 12 juin
 
Mauvaise surprise au réveil. Oh ne parlons pas des nuages revenus sournoisement durant notre sommeil, ils restent pour l’instant massés sur le versant amazonien de la Cordillère. Le problème ce sont plutôt les ânes qui ont une nouvelle fois disparu. Certes ils partent souvent se balader la nuit à la recherche d’herbe plus verte, mais ce coup-ci ils sont invisibles, impossible de savoir dans quelle direction chercher et les espaces sont immenses…En fait, comme nous l’explique Joël l’arriero, s’ils ne passent pas leur nuit à brouter ils sont trop faibles pour marcher chargés pendant la journée. La preuve : les fréquents ossements rencontrés sur les sentiers – ce sont ceux des ânes que leurs arrieros paresseux ou inexpérimentés avaient attachés durant la nuit. Mais comme le soulignent les 2 Manuel(s) à l’unisson, à quelques chose malheur est bon : rien de tel qu’une carcasse d’âne pour attirer tous les condors du voisinage et réussir enfin des photos animalières dignes de ce nom. Michel, qui se bat en vain avec un téléobjectif de 400mm pour figer enfin sur sa pellicule numérique un rapace en plein vol, regarde du coup longuement son petit canif suisse avant de décider que ça ne suffirait sans doute pas.
 
La nuit a de nouveau été sèche - si ça continue, on finira par adopter la tactique des volcans équatoriens, départ à minuit... Du coup on replie une tente à peine humide. Ça a l’air d’un détail mais après les jours passés on apprend à jouir des petits bonheurs du jour comme ils se présentent. La matinée, elle, est placée sous le signe du retour : retour vers la chaleur, vers le monde civilisé (enfin tout est relatif !), vers les premiers arbres (ou les derniers, c’est selon), vers les parfums des fleurs et des plantes aromatiques…eh oui, nous descendons pour la première fois depuis une semaine sous les 4000m. Sous un soleil enfin de plomb, du coup. Un magnifique sentier parfois vertigineux au bord d’une série de cascades nous ramène au village de Huayllapa (3500m). L’absence totale de route d’accès (la plus proche est à 1h30 de marche) ne les empêche bien sûr pas de disposer d’une belle parabole stratégiquement plantée au milieu de la « Plaza de Armas » ce qui permet de suivre la Coupe du Monde. Enfin du moins pendant les 4 heures quotidiennes  où le courant fonctionne. Et nous qui pensions fièrement avoir échappé à tout cela en voyageant précisément à cette période là dans une région décrite comme reculée…
 
Le village est plutôt plus sympa que sa réputation « racketteuse ». Il est vrai que le racket est désormais institutionnalisé puisque les Gringos se voient taxer de 10$ (!) de droit de passage « pour aider la communauté » avec reçus dûment délivrés par l’Indienne en faction devant la barrière d’entrée…Les gamins quémandeurs sont heureusement tous à l’école quand nous arrivons – car il y a même un « colegio » juste à coté ! Quant à savoir si notre argent sert à acheter des cahiers d’école ou à payer l’installation de la TV pour suivre les matches, Manuel père lui-même est bien incapable de le savoir…
 
Petite descente ravitaillante dans les deux (!) épiceries de la rue principale, évidemment folkloriques à souhait, quelques caramelos aux rares gamins qui sèchent l’école, et il faut se remettre en marche. On ferait bien une petite sieste au soleil mais il reste au moins 800m à remonter jusqu’au camp du soir. On le devine depuis le village : c’est précisément là où commencent à se masser les quelques nuages de la région, de moins en moins blancs et de plus en plus dodus comme d’habitude. Même en ayant repris goût à l’humanité urbaine, chacun se dit que planter le campement au sec aurait aussi son charme. Je rajoute le sac d’Agnès sur le mien, chacun met le turbo, et les 800m entre 3500m et 4300m sont parcourus en 1h45. Jocelyn nous félicite d’ailleurs, Agnès et moi, pour notre forme physique étincelante…avant de finir sa phrase par un « pour votre âge » un peu assassin. Le fait est qu’on rattrape presque nos ânes. Manuel et Joël commencent à être impressionnés par ces touristes finalement pas si manchots que ça de leurs 2 jambes.
 
L’orage du soir a le bon goût de ne pas débarquer avant 18h ce qui nous permet un long bavardage collectif vautrés dans l’herbe sèche (à défaut d’être tiède). Pas d’illusion, une nouvelle fois ça parle surtout (pour ne pas dire exclusivement) de montagne, en variant quand même les registres, du ski de randonnée dans le Beaufortain aux traversées himalayennes en passant par la Forêt Noire et la Corse. Et puis cette giboulée juste un peu orageuse, pas bien méchante finalement, me laisse en course pour mon pari « de la pluie chaque jour » avec Manuel. Qui semble-t-il aura dû entendre plus de tonnerre durant cette semaine maudite qu’en 50 ans d’existence entre Lima et Chiquian…
 
Comme chaque après-midi, Joël et Jorge (donc le muletier et le cuisiner, pour ceux qui n’auraient pas suivi) réussissent, avec leurs petits transistors de poche, à capter la radio locale de la ville voisine (« ville » et « voisine » étant bien sûr à prendre au sens large), dont les ondes FM semblent avoir la faculté miraculeuse de remonter les vallées jusqu’à bien au-delà de 4000m. Nous apprenons ainsi que la Bulgarie a battu l’Equateur (ou était-ce l’Allemagne qui a battu le Mexique ?) et que la France jouera le lendemain. L’orage a cessé de tambouriner sur la tente-mess, nous savourons d’excellents macaronis au thon suivi d’une plâtrée de riz au lait, et la conversation s’engage sur les élections péruviennes. Plus précisément sur l’énigme suivante : comment les Péruviens ont-ils pu élire Alan Garcia, chassé du pouvoir (et du pays) il y a 16 ans après un mandat particulièrement calamiteux ? « C’est simple » expliquent Manuel père et fils. « Avec Garcia, on sait qu’on aura « lo malo cierto », on a la certitude qu’il sera mauvais. Avec Ollanta (son rival), c’était plus risqué. Il aurait probablement été aussi mauvais que Garcia, mais finalement comme on ne le connaît pas cela aurait aussi pu être bien pire. Les gens ont donc préféré jouer la sécurité, le mauvais qu’on connaît… ». Et dire que certains se désolent devant la médiocrité de la vie politique française !
 
Nous nous endormons sous un ciel apaisé, la Croix du Sud est de retour et la lune commence à illuminer les glaciers dégoulinants du Huacrish dont le cirque abrupt ferme la vallée. Nous sommes heureux et en paix avec le monde.
 
 
 
Laguna Jahuacocha (4050m), mardi 13 juin
 
Pleine lune, ciel étoilé, nuit glaciale (on n’a rien sans rien !), l’ordinaire de la « temporada seca andina » semble de retour. Pendant que Joël une nouvelle fois part arpenter les environs dans le petit matin pinçant pour retrouver ses ânes disparus, nous savourons de délicieuses pancakes accompagnées de bouillie de quinoa dans le confort de la tente-cuisine. La discussion se réengage sur ânes et condors. Toujours pas une photo de condor digne de ce nom dans l’escarcelle du groupe. Impossible de sacrifier un des ânes de Joël (de toutes manières, encore faudrait-il qu’il les retrouve !). Alors ? Alors les 2 Israëliens qui suivent nos étapes en autonome, écrasés sous des sacs aussi grands qu’eux ont l’air bien affaiblis. Ils sont de surcroît parfaitement antipathiques. C’est Jorge le cuisinier qui ose suggérer ce que chacun pensait tout bas…en liquidant un futur Mossadiste, ne ferait-on pas œuvre de bien commun d’une part en faveur des Palestiniens opprimés d’autre part en faveur de nos photographes frustrés ? Et Manuel père, qui a fait beaucoup de mauvaises expériences avec ces gens là en trekking, de surenchérir – « en plus ils puent tellement qu’on aurait 2 fois plus de condors qu’avec un malheureux âne ». Fermons la parenthèse, le terrain devient savonneux. Pas d’inquiétude, le projet restera au niveau du fantasme inavouable, nos 2 zombies sont sûrement rentrés chez eux saufs à défaut d’être sains…
 
Notre petit équipe compte désormais de fait 5 membres : Pierre et Jocelyn, bien que continuant à voyager en autonome, ne nous quittent plus. Quel bonheur de pouvoir non seulement passer la journée à contempler des montagnes parmi les plus belles qui soient, mais en plus parler sans cesse avec ses amis des autres montagnes, bien sûr encore plus belles, celles qui nous attendent à l’avenir…Pierre est presque aussi bavard que moi, c’est dire. Je lui parle Ladakh-Zanskar en combiné vélo-trek-alpinisme, notre grande aventure juste avant l’arrivée de Cécile, il me rétorque Pakistan-Cachemire-Gangotri, son projet de l’automne prochain…
 
En attendant, au bout d’une semaine passée entre 4000m et 5000m, la forme collective est étincelante, nous enchaînons d’un pas alerte les 2 cols à 4800m de la journée dans des paysages invariablement magnifiques. Certes le Yerupaja, en vraie diva capricieuse s’obstine à cacher les dernières encablures de ses 6600m sous quelques gros nuages blancs ; mais son petit frère le Jirishanca, une tour de roc et de glace verticale défiant le ciel, est au moins aussi impressionnant. Ces sommets font partie – selon les experts es-alpinisme – des plus difficiles de toutes les Andes, ce qui n’est pas peu dire au vu des 6000km de montagnes reliant la Terre de Feu aux portes des Caraïbes de Colombie. La forme est tellement bonne, disais-je, qu’il nous faut attendre presque 1h au sommet du 2ème col (Yaucha, 4834m) avant que notre caravane bourricotière ne nous ait enfin rattrapés. L’occasion de faire quelques globules de plus, de bavarder avec 2 charmantes Grenobloises qui font le même circuit que nous (mais en 2 jours de moins…ah, jeunesse…) et de filmer le Jirishanca qui chasse enfin sa gangue nuageuse. Vous ne comprenez plus ? Eh oui, on l’avait en fait précédemment confondu avec le Rondoy (voire le Yerupaja Chico pour les plus idiots), c’était donc pas lui…c’est nous les ânes, on mériterait de porter seuls nos tentes !
 
Le reste de la journée est un succession d’images de calendrier à la limite du kitsch : descente de l’idyllique vallée de Huacrish dans un océan de fleurs multicolores (lupins des Andes, marguerites jaunes géantes…et plein d’autres dont j’ai oublié le nom quechua) où déambulent de temps à autre quelques vaches heureuses en semi-liberté. Installation d’un campement de rêve au bord du Lac vert-bleu turquoise de Jahuacocha dans lequel scintillent les faces infinies du Rondoy et du Jirishanca (ce coup-ci on est sûrs !). Les autres faits marquants :
 
- il n’a pas plu de la journée, j’ai donc perdu mon pari avec Manuel père, il se régalera de Dulce de Leche pendant que je fermerai les yeux pour avaler son Pisco Sour «à faire pleuvoir des larmes »
 
- nous traversons à 4500m une petite forêt de quenoales. Des arbres à l’altitude du Mont Blanc ou presque…on ne s’étonne plus de rien ici ! Ce sont les plus hauts du monde, ça ressemble à une sorte de pin aux branches tordues et à la taille encore respectable compte tenu des conditions…
 
- à la sortie de la forêt, sur le chemin du 2ème col, un spectacle désormais familier : un portail en bois, un cadenas, une vieille Indienne et son accolyte assis dernière le carnet de reçus à la main, et 10 soles par Gringo pour le bien de la « comunidad » locale. Manuel Jr fait observer avec perfidie que chaque saison une nouvelle porte apparaît sur le circuit.
 
- un peu avant le Col de Tapush, le 1er  des deux, une croix et une plaque mortuaire. Pour une fois pas à la mémoire d’un alpiniste tombé au combat comme c’est l’usage dans ce genre d’endroit, mais d’un couple de trekkeurs américano-péruviens assassinés ici en 2002. L’histoire raconte que l’Américain avait fait quelques emplettes dans les petites échoppes de Huayllapa en sortant de (trop) gros billets. Que cela avait excité la convoitise de 2 petits malfrats du village qui les avaient suivis. Que l’agression avait mal tourné. Que les apprentis-gangsters, effrayés par leur geste, avaient tenté de tout enterrer, hommes et bagages. Et que ce sont les plumes du duvet mal enseveli qui avaient attiré l’attention de la police. La région a été pacifiée depuis par les « comunidades » indigènes pour lesquelles le passage des randonneurs est un complément de revenu appréciable. On se dit soudain que les 10 Soles perçus à chaque portail sont peut-être tout compte fait bien investis…
 
- France – Suisse : 0 – 0. Sitôt installé le camp et malgré le caractère encaissé du lieu, Joël a réussi à extraire une radio locale de son petit transistor…et l’actualité du Mundial nous rattrape immédiatement.
 
- Michel, Pierre et Jocelyn parviennent à se laver dans la « Laguna ». Pierre y fait même quelques brasses,  témoins à l’appui ( !). Les 2 Suisses s’abstiennent (pas fous !), comme quoi les clichés ne reflètent pas toujours la réalité. La veille, en traversant pieds nus un torrent à la température comparable, on avait presque des crampes aux chevilles au bout de 10 secondes…
 
- Jocelyn s’est fait un vilain panaris à l’orteil. C’est sûr que c’est pas le meilleur endroit pour, le premier médecin doit être à 2 jours de marche. Il faut donc recourir à de la médecine de fortune. Sans médecin, bien sûr. C’est la main d’or de la seule femme du groupe, Agnès, qui s’y colle pour inciser avec le ciseau du canif désinfecté à la flamme du réchaud ( !) en guise de bistouri. J’avais les jambes qui flageolaient rien qu’à l’idée…et la malheureuse victime était bien trop peureuse pour oser s’auto-charcuter tout seul. Et dire que j’avais un bref moment rêvé d’entrer dans la médecine…
 
La nuit est tombée et le ciel gronde toutes les 30 minutes environ. Oh pas de souci, ce ne sont plus les orages « imposibles » des jours passés, ces mauvais esprits s’en sont sans doute retournés hanter la forêt amazonienne toute proche. Ce sont simplement les séracs suspendus du Jirishanca qui répondent à intervalles régulier à l’appel de la gravité. A défaut de cloches d’église, la nuit promet ainsi d’être bien rythmée. « Jirish – ancash » en Quechua, c’est le Pic du Colibri (mais je l’ai déjà dit, il me semble…), on peut y voir un bec ou une aile tendue vers le ciel. Ces Incas ne manquaient pas d’imagination.
 
 
Chiquian (3450m), mercredi 14 juin
 
Dernière journée en apothéose, comme il se doit. Après ce qu’on a dégusté les 4 premiers jours, c’est tout de même le minimum d’équité qu’on pouvait légitimement attendre. Notre caravane péruvienne retourne au plus direct sur le village de Pocpa où les attend – en principe – le minibus ; les Franco-suisses prennent une dernière fois le chemin des écoliers par 2 derniers cols à 4750m tout proche du Rondoy et du Jirishanca. Charge à Manuel de négocier avec le chauffeur qu’il vienne nous récupérer à l’arrivée 10 km plus en amont. Inutile de chercher les bémols, il n’y en aura pas.
 
Parcours en bordure des eaux bleutées de la Laguna Jahuacocha dans la douce lumière du matin, entre vaches paisibles et lupins des Andes. Traversée ludique, pieds nus, d’un long marécage. Une dernière photo de gamins contre caramelos. Un peu plus haut la Laguna Solteracocha, vert-turquoise cette fois-ci. Et enfin tout en haut,  pour la première fois sans nuage en ce dernier jour, les océans de glace verticale du Jirishanca, Rondoy, Rassac, Yerupaja et tutti quanti étincelant dans l’azur droit au dessus de nos têtes, sans doute l’un des sites de montagne les plus sublimes de la Terre entière. Le pas est soutenu, la forme aussi éclatante que le blanc des glaciers. C’est à ce moment là que chacun réalise la chance qu’ont représenté les quelques jours de temps bouché au démarrage : les réserves de film, pellicules et batteries auraient sinon été épuisées à la moitié du circuit et les derniers jours n’auraient été qu’une longue série de frustrations pour tous les photographes du groupe !
 
Ces cataractes blanches qui obligent à lever la tête haut dans le ciel sont pourtant menacées en premier lieu par le réchauffement climatique, comme tous les glaciers tropicaux. Oh CO2 suspend ton vol a-t-on envie de dire. Pourtant le gros Boeing qui nous a amené ici figure au premier rang des coupables…quant à cloîtrer les Gringos chez eux pour les empêcher de trop polluer, l’idée n’enthousiasme guère nos amis Manuel, Jorge et Joël…pas plus sans doute que les « Comunidades » locales dont une large portion partirait alors chercher ailleurs les Soles du tourisme disparu, par exemple dans les bidonvilles de Lima…rien n’est simple ! Et pourtant on aimerait tellement revenir ici dans 10 ans avec nos 2 petits diables et leur faire découvrir la même chose.
 
Dernière descente dans une dernière mer de fleurs violettes et jaunes. Le Rondoy, l’ambassadeur nord de la chaîne voit bourgeonner enfin les premiers nuages sur ses dentelles neigeuses qui défient avec tant de grâce les lois de l’équilibre. A 4300m, réapparition des vaches, c’est devenu banal, les plus hautes paissent à l’altitude du Mont Blanc…voire même à 5000m en rajoutant un peu de baratin péruvien là-dessus. Et le tout sans EPO ! Puis c’est la piste de fond de vallée, encore 5km à se chauffer les semelles sous un soleil de plomb avant de s’affaler à l’ombre d’un quenoal. La journée a été presque longue, le retour sous les 4000m ouvre l’appétit, chacun baffre consciencieusement et en silence ses dernières provisions avant d’attendre le minibus. Qui est bien au RV et nous découvre allongés dans l’herbe sur les coups de 15h.
 
Nous quittons Pierre et Jocelyn qui, en puristes, poursuivent à pied pour dormir à Llamac, le chef-lieu de la vallée avec ses 30 maisons et son arrêt de bus. S’ensuivent, inévitablement, 3 heures de bon massage de reins sur une piste assez impressionnante (la même qu’à l’aller, en fait, mais on regardait sans doute la montagne !), parfois guère plus qu’une simple balafre ouverte au bulldozer dans des pentes terro-caillouteuses vertigineuses qui semblent devoir s’abattre sur les passants à la 1ère pluie. Comme toujours, heureusement, quelques scènes cocasses rompent la monotonie du trajet. A Llamac, justement, la barrière (du péage, là aussi !) est fermée, l’unique détenteur de la clé est parti se balader pour ramasser des herbes et ½ h de jeu de piste par habitants interposés sont nécessaires pour lui mettre la main dessus. Le ton monte quand, avant même de daigner ouvrir, il (ou plutôt elle, c’est sa femme qui est venue à la rescousse) exige de voir les billets prouvant que nous avons bien payé à l’aller 10 jours plus tôt… « Je vais me plaindre à la Communauté, vous entendrez parler de moi, espèce d’insolente » rugit Manuel père de sa fenêtre sitôt l’obstacle levé…Un peu plus bas, c’est un tube d’irrigation fraîchement posé en travers d’un hameau qui doit être démonté, les bagages entassées sur notre toit dépassant bien les 4 mètres de haut.  
 
Jorge le cuisinier, propriétaire des ânes, après les 5 heures de muletage pour ramener la caravane au terminus de Pocpa, a poursuivi, à pied et avec ses 4 animaux, jusqu’à Chiquian ! Au petit trot, sur 20 km de piste tortueuse, en partie de nuit… et il arrivera encore juste à temps pour partager le Pisco Sour avec nous !!

La suite (faute de place) ici


Tourengänger: Bertrand


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Kommentare (5)


Kommentar hinzufügen

Bolivar hat gesagt:
Gesendet am 8. Mai 2014 um 19:44
Impresionante!!

Saludos,
Bolivar

Philippe Noth Pro hat gesagt: Ca donne envie
Gesendet am 9. Mai 2014 um 14:43
Magnifiques... le récit plein d'auto-dérision et les photos, même dans les nuages! Peut-être j'y serai dans 2 ans...

Si c'est pas indiscret, comment avez-vous trouvé et contacté Manuel qui vous a organisé le trek ?

--
Philippe

Bertrand hat gesagt: RE:Ca donne envie
Gesendet am 9. Mai 2014 um 14:54
En fait un peu par hasard, on cherchait d'abord un hébergement à Chiquian et de fil en aiguille il nous a expliqué qu'il organisait aussi les treks...
Le chemin est facile à suivre et un guide n'a rien d'indispensable, mais on n'a horreur des sacs lourds en vacances (et on aime aussi manger autre chose que des pâtes le soir !).

C'est un tour exceptionnel, aussi impressionnant que n'importe quel coin du Khumbu...

Philippe Noth Pro hat gesagt: RE:Ca donne envie
Gesendet am 9. Mai 2014 um 16:46
Merci pour la précision. En lisant le texte, on comprenait que vous aviez organisé quelque chose par avance, mais pas si c'était mûrement réfléchi après de longues recherches ou, justement, un peu par hasard.

Exceptionnel, ça l'est sûrement! Comme je ne suis jamais allé au Pérou, une envie serait d'y passer plusieurs semaines afin d'enchaîner plusieurs treks. J'ai accumulé pas mal d'infos et d'impressions en lisant notamment les récits de Simon Dubuis (aussi sur i-trekkings), je sais pas si vous connaissez. Il bosse désormais pour l'agence Yunka Trek, qui connaissent visiblement très bien le terrain... mais honnêtement je me vois mal trekker au Pérou avec un guide français. Priorité aux locaux!

Cela dit, ma moitié préférerait me voir aller une ènième fois au Népal, il se peut que je cède - avec plaisir.

Bertrand hat gesagt: RE:Ca donne envie
Gesendet am 9. Mai 2014 um 17:05
J'ai lu tout ce que Simon Dubuis a écrit sur son site, voyages à vélo et à pied, un sacré personnage ! Marrant de voir qu'il a pu transformer sa passion en travail, ça fait envie. On rêverait aussi de retourner au Pérou, en particulier autour de l'Ausangate et sur les volcans d'Arequipa. Pas commode hélas avec la contrainte des vacances scolaires de nos gamins (et pas donné pour y aller à 4 !). Enfin la vie est encore longue, espérons-le...


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