Hiver Grec pour montagnards polymaniaques : Ski sur l'Olympe et escalade aux Météores


Publiziert von Bertrand , 17. Mai 2013 um 15:21.

Region: Welt » Griechenland
Tour Datum:23 Februar 2002
Hochtouren Schwierigkeit: ZS-
Klettern Schwierigkeit: VI (UIAA-Skala)
Ski Schwierigkeit: ZS
Wegpunkte:
Geo-Tags: GR 
Zeitbedarf: 8 Tage

A la veille d'un n-ième férié pluvieux, un peu de lecture et quelques images ensoleillées d'une inoubliable semaine hivernale en Grèce, entamée par une expédition à ski sur l'Olympe (de caratère résolument solitaire et alpin au coeur de l'hiver) et poursuivi par de grandes voies d'escalade sur les impressionnantes tours de conglomérat des légendaires Météores. Tout cela ne date pas d'hier - sniff - mais pourra donner quelques idées et infos aux amateurs de montagne ou d'escalade exotique

Je livre ici en brut mon récit de voyage.

Samedi 23/02


7h30 du matin. L’hiver est revenu en force sur la Suisse, Cécile fait enfin sa première dent, et c’est chargés de plus de 50 kg de matériel (de ski, de camping, d’alpinisme, de grimpe…) que nous prenons laborieusement le chemin de la gare efficacement secondés par mon bon père. Qui commence lentement à se faire une raison quant à nos idées de vacances bizarroïdes…Et cette manie de quitter chaque hiver le pays du ski pour traquer vainement l’enneigement capricieux du haut-relief méditerranéen !
 
Dans nos têtes, comme toujours, bien des rêves pour les 8 jours à venir : notre petite tente perdue au milieu de la blancheur immaculée de l’Olympe, la danse verticale sur les spectaculaires tours des Météores au son des cloches des monastères, retrouver Yorgos à l’aéroport d’Athènes sous le soleil pour fuir de suite cette mégalopole dénaturée en direction des sommets étincelants le sourire au coin des lèvres, les conversations à bâtons rompus « 100% montagne » dans un patchwork anglo-hellènophone…On a tant à se raconter depuis le Pinde il y a déjà deux hivers.
 
8 heures plus tard, le rêve s’est transformé en cauchemar ; nous errons misérablement dans un quartier pouilleux d’Athènes sous une pluie battante, toujours en chaussures de ski (gardées au pied faute de place ailleurs), à la recherche d’un hôtel pouilleux lui aussi pour passer une ou plusieurs nuits… « New Swissair » avait en effet réussi le tour de force de nous perdre un sac et 3 paires de skis sur un vol direct de 2hs à moitié vide et parti évidemment en retard. En l’attente d’infos supplémentaires, nous sommes cloîtrés dans l’ « Hotel Oniro » (i.e. « le rêve ») dont nous découvrons un peu tard la fonction habituelle (lits non bordés, miroirs et films pornos inclus dans le prix…). C’est vrai que l’employé avait l’air surpris de voir débarquer en plein hiver des Suisses en chaussures de ski souhaitant rester la nuit entière ici !
 
Bien sûr, au bout d’un mois de beau temps chaud ayant copieusement entamé l’abondante couverture neigeuse tapissant l’Olympe, la pluie est de retour, ponctuelle au RV de notre arrivée. Tout comme la neige avait attendu ponctuellement l’arrivée de ma mère à Berne, venue courageusement garder seule Cécile pendant notre absence. Du coup, le créneau de  jours corrects promis par la météo grecque du dimanche au mardi prend une valeur toute particulière. Mais impossible de filer sur l’Olympe sans skis ! A moins que…
 
A moins qu’en récupérant vraiment tout l’attirail manquant au milieu de la nuit - ce que Crossair vient finalement de nous promettre au téléphone - , en sabrant le sommeil, en partant à 6hs du matin pour enchaîner 4hs de route puis 5hs de montée à skis jusqu’au bivouac on puisse encore rêver d’être sur l’Olympe le lendemain soir. Allez, on tente le coup et on dormira plus tard !
 

 

Dimanche 24/02

 
Le portier de l’hôtel de passe nous réveille à 3h du matin : « vos bagages sont là ! ». Une paire de skis, puis les 2 autres… « einaiola » (c’est tout). Comment ça c’est tout ? ? ? Et le sac marin de Beat ? « Ah je ne suis que le livreur, je ne sais pas, demain sans doute… ». Partagé entre l’envie de fondre en larmes et celle de l’étrangler, il ne reste en fait plus qu’à rappeler une nouvelle fois l’aéroport « oui, en effet, il manque encore un sac, il sera là par l’avion de 14h30… ». Le temps de somnoler 1h la rage au ventre et Yorgos débarque ponctuel à 6h, l’Olympe brillant presque dans ses yeux. « Non Yorgos, toujours pas, ces ânes de Swissair n’ont pas été fichus de tout envoyer, vivement que cette compagnie de merde fasse faillite définitivement »…
 
« Hshcase, Bertrand » (keep cool), « partons grimper aux Météores, à midi on y sera, on attendra le dernier sac là bas… ». Les larmes sèchent, le ciel est étoilé, le moral remonte, la voiture est chargée, Yorgos fonce sur l’autoroute de Salonique désertée en ce dimanche matin d’hiver, un soleil lumineux vient chauffer l’atmosphère…la plaine de Thessalie est avalée à 140 et il est à peine 11h lorsque le site impressionnant des Météores jaillit devant nos yeux à l’entrée de Kastraki. Il faut évidemment un peu de persévérance pour dénicher un hôtel ouvert et chauffé au milieu de cette morte saison. Mais le « Tshkeli » , dont la gentille patronne nous sert le café pendant qu’on  enfile fiévreusement les baudriers, sera un merveilleux camp de base pour la semaine à venir avec sa cheminée, sa pelouse fleurie, son grand balcon-terrasse ensoleillé…
 
Yorgos, qui ne doute de rien, nous propose d’attaquer directement l’Arête Est de la Tour de Doupianh, 4 longueurs avec du V+ et des pitons fâcheusement espacés, tout en nous avouant ne pas avoir grimpé depuis 2 ans « mais pour des trucs aussi faciles que le V+/VI, pas besoin d’entraînement, il suffit d’un peu de solidité psychique et de confiance en soi ». Ah bon ? ! Les grimpeurs amateurs apprécieront…
 
Nous plongeons immédiatement dans l’ambiance locale : conglomérat noir strié de galets plus solides que leur apparence ne le laisse paraître, escalade technique sur les pieds dans le plus pur style de la grimpe carioca, équipement germanique de type « alpin », c.a.d. solide mais effroyablement espacé, beauté exceptionnelle du site avec sa forêt de monolithes parfois coiffés de monastères, douceur de l’air pimentée par un vent printanier…Notre « Ostkante » est vite avalée, le V+ n’est pas trop méchant, 2 petits rappels et c’est reparti pour un tour sur le « Pilier de la Pluie » - un tel nom traduit évidemment l’origine teutonne de ses ouvreurs - avec une magnifique longueur en VI toute en finesse enchaînée par tous les 3. « Heureusement que je ne suis pas entraîné » nous explique Yorgos, le sourire radieux de nous voir enfin consolés « sinon je m’ennuierais dans des voies de ce style »…
 
Un coup de portable et nous récupérons Beat ayant passé son après-midi à randonner d’un monastère à l’autre et tout aussi enthousiasmé que nous par le coin. Entre-temps, un ultime coup de fil menaçant à Swissair avait fini par les convaincre de charter un taxi (800 km AR…) pour nous amener le dernier sac le soir même sans attendre le bus du lendemain. « Sinon je vous renvoie sur le champ ma carte Travel Club Gold et vous me rayez à jamais de la liste de vos passagers… »
 
La soirée s’achève à se goinfrer de grillades, patates, feta et loukoums (le tout abondamment baigné d’huile d’olive…) dans une taverne désertée avant d’interroger tous les sites météo disponibles à l’Internet Café du village. Entre le « partly cloudy » d’un jour et le « mostly cloudy » du lendemain (et l’inverse sur le site concurrent…), difficile de se faire une idée. Alors qu’il pleut d’ailleurs à torrent ce soir, la décision unanime tombe : partout la même M… ces prévisions, à l’assaut de l’Olympe demain et à la grâce de Zeus !
 
 

Lundi 25/02

 
Grand beau frais mais venté ce matin. Quant à Zeus, il ne nous laisse évidemment pas approcher sans quelques bâtons dans les roues. D’abord un pneu arrière de notre Fiat Multipla (la petite sœur de la Scenic mais avec un vilain bec de lièvre) perd sournoisement mais inexorablement un peu d’air. Ensuite et surtout, le sac marin de Beat, arrivé comme promis la nuit en taxi, révèle une mauvaise surprise : la cartouche de gaz ramenée de Suisse a été remplacée par un papier de la police zurichoise expliquant que le transport de ce type d’article dangereux est interdit dans l’avion. Ce que tout alpiniste qui se respecte sait par cœur tout en contournant le cœur léger le règlement dés qu’il s’agit de transporter du matériel d’expé. Les montagnes les plus sauvages ont en effet la fâcheuse manie de se situer dans des pays où ce type d’équipement élaboré n’est guère disponible localement. Grèce comprise…Le hic, c’est qu’il est impossible de partir camper sans la cartouche confisquée. 
 
L’Odyssée commence, c’est bien le pays pour. «A Trikala, sur votre chemin, il y a une échoppe avec des trucs pour la montagne» nous rassure la patronne de l’hôtel. Sans nom ni adresse, c’est un amusant jeu de piste qui s’engage dans l’ambiance animée de ce gros bourg où c’est jour de marché, histoire de corser un peu le parcours. Passants, flics, boulanger, personne ne sait mais tout le monde répond pour rendre service dans la grande tradition du Sud. La boutique miracle finalement dénichée n’a rien, bien sûr, «mais il y a un magasin de gaz pas très loin». Lequel magasin «en avait d’habitude» nous explique l’air navré son propriétaire, « mais pour l’instant j’en attend , vous n’avez vraiment pas de chance »…
 
L’étape suivante se déroule à Larissa, la grande ville au pied de l’Olympe (lequel scintille au loin de façon provocatrice). Bruyante , bagnoleuse et bordélique, une vraie ville grecque. Un peu plus de chance dans les  renseignements, un peu d’agressivité au volant et un vague magasin ski-camping nous exhume enfin – à prix d’or – la cartouche convoitée qui remplacera sa petite sœur prisonnière des geôles zurichoises…
 
Évidemment on a perdu un peu de temps et même à 150 à l’heure sur des routes de campagne (désertes il est vrai), midi vient de sonner en entrant dans le village valaque de Kalivia Kokinoplou. De là le jeu est simple : remonter la piste d’alpage s’enfonçant sur l’Olympe le plus haut possible jusqu’à démission du véhicule, apparition de la neige, ou les 2. A 1780m, au milieu d’une garrigue pelée où l’œil cherche en vain la moindre plaque blanche, la piste a gardé miraculeusement les seuls m²de vieille neige sur des hectares à la ronde. Il n’en faut pas plus pour peauter les skis, charger les sacs, et suivre lattes aux pieds ce ruban blanc anachronique entre le bleu du ciel et le gris de la terre, un mistral glacial nous sifflant dans les oreilles.
 
Mais si, l’Olympe est quand même enneigé, bien que les mètres de poudre couvrant la Grèce d’Athènes à Salonique début janvier aient évidemment été mis à mal par les 5 semaines de beau temps chaud qui viennent de s’achever à notre arrivée. A 2000m, il suffit d’un virage pour basculer en orientation nord et pénétrer dans un magnifique vallon tout blanc, d’une solitude absolue, dominé jusque très loin par de gros mamelons neigeux, le tout fabuleusement dépourvu de toute trace de ski ou d’humanité à l’exception de la piste elle même – qui a tôt fait de disparaître sous le manteau  blanc…
 
C’est bien cela qu’on était venus chercher ! 5 heures plus tard par monts et par vaux, un relief doux juste pimenté par quelques traversées descendantes abruptes en neige bétonnée, nous posons avec joie nos gros sacs alors que le soleil se couche sur le replat de Megali Gourna à 2500m. Le temps de se décongestionner les épaules et le vent du nord , qui s’était calmé, se réveille furieusement, rendant le montage des tentes un tantinet acrobatique. Skis, bâtons et piolets sont finalement appelés à la rescousse  pour les fixer au sol et ne pas s’envoler au cours de la nuit. Quel bonheur de savourer alors sa soupe au chaud en écoutant d’une oreille distraite les rafales secouer en vain la toile solidement arrimée. Tout en rêvant du lendemain, de l’Olympe et de sa cour, Skolio, Aghio Antonio, Skala et surtout Mytikas, le plus haut de tous à 2917m mais un monarque ombrageux aux difficultés alpinistiques sérieuses au cœur de l’hiver. Est-ce cela, le froid rampant ou l’engoncement dans trop de couches de vêtements qui nous ôte le sommeil ?
 
 

Mardi 26/02

 
Les Dieux nous sont favorables, une journée lumineuse s’annonce alors qu’ Eole est gentiment reparti dormir. Une fois récupérés skis, bâtons, sonde et piolets, notre valeureuse petite tente jouerait facilement les filles de l’air et il faut desceller de la neige gelée quelques gros pavetons et les lui rouler dessus sans ménagement pour s’en aller la conscience tranquille. A 10h seulement mais le sommet est proche; d’ailleurs il n’est que midi et demi lorsque nous déposons nos skis sur la Skala, une bosse de 2866m servant d’antécime au Mytikas, point culminant de l’Olympe et de toute la Grèce (voire de l’univers, tout est une question de point de vue…).
 
Gloups ! Certes chacun savait que ce Mytikas - « le pointu » en Grec - faisait honneur à son nom et représentait peu ou pro l’unique élément de relief escarpé au milieu d’un océan de collines blanches aux formes alourdies. En été, un itinéraire balisé conduit les randonneurs intrépides au pied agile jusqu’en haut en mettant occasionnellement les mains à contribution. En plein hiver, ce cheminement mixte et exposé, jamais vraiment difficile mais souvent impressionnant, fait réfléchir à 2 fois les candidats prêts à s’y engager.
 
Mais Yorgos ne doute de rien et s’engage crampons aux pieds dans la traversée descendante vers la brèche Skala – Mytikas. S’ensuit la remontée d’une dalle enneigée où chacun pense déjà mettre la corde au retour. Un bout d’escalade facile sur rocher sec fait croire au sommet. Zeus semble à portée de piolet…Et c’est la désillusion : ce n’est qu’une  antécime dont le sommet tout proche – qui nous nargue avec son drapeau grec – est hélas séparé par une arête neigeuse exposée où il serait inconscient de ne pas s’assurer.
 
« Tu vois, c’est trop tard, s’il faut tout protéger, avec le retour, il fera nuit, à moins de redescendre par un autre couloir, je t’avais bien dit qu’il fallait se lever à 6h…». Du calme, Yorgos, tes petits Suisses ne sont quand même pas complètement boiteux, nos 50 mètres de corde sont déployés aux endroits les plus délicats et tout le monde gagne le sommet en toute sécurité à peine après 15h. C’est bête à dire, mais c’est une joie immense qui nous envahit, à peine voilée par l’appréhension du retour. La vue est infinie, la Mer Egée scintille à nos pieds, pas un souffle de vent, Yorgos nous détaille à l’horizon les sommets blancs de son Pinde natal où il nous presse déjà de revenir skier, Beat ne manque pas l’inscription si importante dans le livre de sommet (où nous sommes les premiers depuis…plus de 3 mois !), embrassades, films et photos se succèdent, c’est un des rares moments de plénitude où le bonheur se mesure sur l’instant et non sous forme de souvenir ou de regrets…
 
Le retour s’effectue avec une grande prudence, la corde est fixée dans tous les passages difficiles, Agnès profite même de son baudrier pour 1 ou 2 rappels, et tout le monde retrouve les skis à 17h après 4h d’un terrain peu extrême mais dans lequel, comme le disait si bien Rébuffat, « un faux pas pourrait avoir des conséquences des plus fâcheuses… ». Pour les archives, on cotera cela PD/AD-. Yorgos nous avouera plus tard avoir été très tendu à cause de nous…
 
¼ d’heure plus tard, nous sommes remontés sur le Skolio, 2ème plus haut sommet du massif, d’où une belle pente de 500m en neige pas vraiment dégelée nous ramène droit sur nos tentes au coucher de soleil. Le temps de virer les pavasses et de refixer solidement l’ensemble à coup de skis & cie et la soupe chaude ronronne sur le réchaud alors que chacun a un peu de mal à réagencer ses pensées…
 
 

Mercredi 27/2

 
Toujours grand bleu en altitude mais le brouillard de la plaine (la merde du monde humain dirait notre camarade Yves s’il était avec nous…) assiège l’Olympe et semble vouloir donner l’assaut. Histoire de varier les plaisirs, nous regagnons notre point de départ par un itinéraire de crête, celui que j’avais studieusement gravé dans le GPS en Suisse mais que nous avions jugé trop venté pour l’aller. Les dômes blancs émergeant de la mer cotonneuse confèrent à cette chevauchée d’arêtes (enfin de croupes serait plus approprié !) une ambiance étonnante. Dés qu’il s’agit de plonger dedans, j’ai la fierté enfantine de guider le groupe l’œil rivé sur ma petite flèche GPS qui sans coup férir nous ramène sur nos traces de montée. Un dernier déjeuner sur neige, une dernière jolie pente, un dernier km sur le ruban blanc décorant le bord de la piste d’alpage et c’est bien skis aux pieds qu’on retrouve notre Fiat Multipla, le soleil revenu mais la tête vraiment ailleurs. Partagés entre le bonheur de retrouver un vrai lit et la sensation diffuse de laisser là haut une irremplaçable partie de soi-même.
L’inépuisable Yorgos, sirotant de temps à autre un vieux reste de café froid traînant sur le tableau de bord, dépose 2h plus tard un trio franco-helvétique aux petits yeux devant l’Hôtel Tsikeli dont les matelas n’ont jamais paru aussi doux, la terrasse aussi accueillante et la douche aussi chaude. Et demain on regrimpe ? « Yorgos, don’t you think all this ski & climbing idea was a little crazy ? » - « Ouais, c’est ça qui m’a plu, ça ne pouvait venir que de toi un projet aussi saugrenu » (traduit librement du Grec…). En attendant, tentes et duvets sèchent patiemment sur le balcon sous le regard hiératique des Météores qui ont vu passer tellement d’idioties humaines que notre petite frénésie compulsive d’action ne doit guère leur arracher plus qu’une pensée amusée. Qui sait ?
 
Quant aux nouvelles de Berne ? Eh bien il pleut toujours, Cécile est adorable, et les deux grand-mamans se déclarent unanimement prêtes à la garder autant de fois que nécessaire…
 
 

Jeudi 28/2

 
Cette fois on peut le dire : après les déboires initiaux, les Dieux semblent soutenir notre cause. Il fait un soleil radieux et une incroyable douceur, difficile d’imaginer qu’avant-hier, même avec 5 couches de vêtements dans le sac de couchage, chacun frissonnait encore dans la nuit polaire de l’Olympe à quelques encablures d’ici. Étonnant pays. Le rythme de vie est lui aussi beaucoup plus méditerranéen : petit déj. à 9h30, le temps de déambuler à Kalambaka à la recherche de cartes postales et de quelques fruits et notre itinéraire convoité, l’impressionnante Arête Nord de la Pyramide (diable !) passe au soleil.
 
A l’assaut ! Mais halte là ! À peine quittée la voiture que le sentier est barré par un gros portail entouré de barbelés : « Domaine du monastère d’Aghios Nikolaos, entrée interdite ». Longue réflexion métaphysique. Décision unanime : nous sommes chrétiens comme eux, la porte est aisément contournée et avec l’horrible mauvaise conscience des profanateurs, nous nous faufilons silencieusement en direction de la paroi en priant pour le cliquetis de nos mousquetons n’interrompe pas la prière des moines. Le monastère est en fait une incroyable construction troglodyte occupant une cavité naturelle suspendue en plein vide 20m au dessus du sol.
 
Ce n’est heureusement qu’au bout de 2 longueurs de corde qu’un moine noir et barbu à l’allure sévère fait son apparition au balcon et jette un coup d’œil méprisant dans notre direction avant de se retirer méditer. Après nous avoir maudit jusqu’à la 7ème génération ? Difficile à dire. Toujours est-il que le reste de la voie se déroule sans incident malgré l’extrême parcimonie de l’équipement obligeant Yorgos à quelques pas « chauds » 7 ou 8 mètres au dessus du dernier piton sous le regard anxieux de ses 2 assureurs. Mais la dernière traversée exposée qui inquiétait tant Agnès se révèle débonnaire. Le sommet ne doit pas faire plus de 3 ou 4 mètres carrés autours desquels la montagne plonge de façon alarmante et Yorgos insiste pour que nous restions attachés au relais sommital même  durant notre frugal casse-croûte…
 
Un dernier rappel en fil d’araignée dans lequel je lâche spontanément un horrible juron tout près du monastère avant de me mordre les lèvres, un peu d’escalade de barbelés pour récupérer nos sacs au pied de la voie et nous regagnons la voiture notre forfait accompli. Impossible d’aller se repentir, tous les édifices religieux étant fermés en cette fin d’après-midi. Mais la lumière du soir est merveilleusement photogénique : Varlam, Roussano, Aghias Trias, Aghio Stephano…sont reliés par une route sinueuse  mais au tracé astucieux permettant de tous les passer en revue « quasiment » sans descendre de voiture. Ce qui doit combler non seulement les hordes touristiques dans la fournaise estivale mais aussi à cet instant précis notre petite équipe fatiguée. Et oui, tout le monde vieillit !
 
Le « quasiment » renferme quand même une nuance de poids car chaque monastère est par principe construit au sommet d’un monolithe indépendant, en général relié au reste du monde (en l’occurrence au parking voisin) par un pont vertigineux. Libre à chacun d'imaginer comment les premiers moines ont réussi à atteindre le sommet, sans même parler de la construction du bâtiment sacré et du pont en question…Quand la foi ne déplace pas les montagnes, elle semble aussi capable de les domestiquer !
 
Histoire de changer de l’orgie de viande quotidienne dans notre taverne de Kastraki, nous optons pour une orgie pâtes-pizzas à Kalambaka. Tout leur stock d’huile a dû y passer : il a fallu renoncer au traditionnel dessert de loukoums et j’ai encore le ventre lourd en écrivant ces lignes à l’heure du coucher !
 
 
Vendredi 1er Mars
 
Le « Pilier des Rêves », une grande classique des Météores, 9 longueurs soutenues le long d’un éperon spectaculaire sur la Tour de l’Esprit Saint : tout un programme. C’était aussi le nôtre pour cette journée à nouveau bénie par le ciel bleu et une température printanière. Commençons par une petite visite à la Nonnerie de Roussano histoire de ne pas grimper complètement idiots. La Sœur nous explique qu’elle ne sont aujourd’hui plus que 13 et qu’il y a donc de la place pour bien plus de candidates : « pas de concours, il suffit de savoir bien lire le Grec sacré et de prononcer ses vœux »…Avis aux amatrices !
 
De retour à l’hôtel, cap sur le Pilier. Yorgos nous avait prévenus : c’est une entreprise sérieuse et l’équipement spartiate de la voie (12 pitons en 250m…) exige du 1er de cordée non seulement un bagage technique à la hauteur mais surtout une grosse solidité morale faute de quoi l’aventure peut rapidement très mal se finir. Pour notre ami grec n’ayant plus touché de rocher depuis 2 ans et après 6 jours de tension ininterrompue entre les neiges de l’Olympe et le conglomérat local, c’était sans doute le jour de trop. Dés la 2ème  longueur, terrifié (et nous tout autant !) devant la perspective de vols fracassants de 10 ou 20 mètres à la moindre faute dans un pas de V+, la sage décision est prise de redescendre avant que cela ne tourne mal…
 
Tout le monde est évidemment un peu déçu, mais le pilier ne s’en ira pas comme ça et restera de plus une excellente occasion de revenir dans la région. Et puis n’oublions jamais qu’un rêve réalisé est aussi un rêve détruit…Beat, qui avait observé nos hésitations depuis sa randonnée monastique quotidienne, nous rejoint pour un pique-nique improvisé sur la terrasse ensoleillée de l’hôtel. Une courte sieste plus tard Yorgos, encore navré de sa mésaventure, nous propose d’aller « sauver la journée » en s’attaquant à l’aiguille de l’ «  Αδραχτη » (« la quenouille ») : un monolithe d’allure phallique compensant sa petite taille (50 mètres – mais beaucoup s’en satisferaient…) par une verticalité radicale de tous les côtés. En fait, sa base étant plus petite que son sommet, l’édifice surplombe même sur tous ses versants !
 
La « Voie Normale » est cotée VII, athlétique et gazeuse à souhait, mais les pitons abondent et Yorgos a une revanche à prendre. C’est avec des avant-bras douloureux qu’il atteint le sommet, une corde surtendue me permettant ensuite de le rejoindre au terme d’une furieuse bataille en plein vide. Ma douce moitié, encore un peu en retard dans son programme de musculation sur la poutre domestique, déclare sagement forfait au 3ème clou, ce qui lui permet de filmer nos (laborieuses) acrobaties depuis le sol. Avec une mention particulière pour le grand rappel de descente, intégralement en fil d’araignée dans sa moitié inférieure. Nous avons même droit aux félicitations admiratives d’un couple de promeneurs français nous ayant observé du bas. Au terme d’une nouvelle orgie de viande dans la douceur du soir, qui oserait encore parler d’échec ?
 
 

Samedi 2/3

 
La dernière journée est tout simplement la plus belle, histoire d’avoir encore un peu plus mal au cœur de repartir. La température continue de battre des records, peut-être 20° ou 25° en cours d’après-midi dans une région pourtant réputée pour ses hivers rigoureux. A se demander comment les cimes blanches du Pinde qui ferment l’horizon vers l’Ouest arrivent à garder encore leur parure neigeuse. Il devait y en avoir un sacré paquet !
 
Aujourd’hui encore, rien de tel qu’un petit monastère pour se mettre en train le matin et relativiser l’importance de la conquête verticale dans un lieu aussi chargé de spiritualité. La veille les nonnes, maintenant au tour des moines. Aghio Nikolaos Anapavsas renferme les plus vieilles fresques (15ème siècle) des Météores et occupe le sommet d’un piton rocheux particulièrement panoramique. C’est le moine en chef à la soutane aussi noire que sa grande barbe et au regard sévère qui vend les billets à l’entrée (« tous ces religieux ne sont plus aujourd’hui que des commerçants » dixit Yorgos). Sa question fuse d’emblée sans détours « Êtes vous orthodoxes ? ». Craignant de le vexer, je me crois malin de lui répondre en Grec « Non, catholiques hélas ». « Ah bon, alors vous voulez devenir orthodoxes ? ». « Euh, c’est à dire que…quelle est vraiment la différence ? ». S’ensuit une longue présentation doctrinaire dans un Grec touffu et au débit accéléré conclue par le cadeau d’un livret (en Allemand) détaillant les raisons fondamentales du schisme. A lire attentivement avant toute décision précipitée !
 
La discussion se termine par un long regard soupçonneux sur Agnès ayant pourtant sagement revêtu sa robe, obligatoire pour les visites (mais mise gratuitement à disposition à l’entrée de chaque monastère...). « Et elle, c’est votre femme ? ». « Oui, nous sommes mariés ». Et un large sourire approbateur de lui fendre le visage « Ah, c’est très bien cela ». Si le malheureux apprenait qu’on s’est contentés d’un misérable mariage civil…
 
Suite de la journée à l’assaut de la Voie Normale de l’antécime du Grand Météore (Megali Aghia), une des seules tours accessible par un itinéraire vaguement randonnable. Nous sous-estimons hélas le « vaguement »…Certes le topo annonce bien des passages rocheux du 1er degré. Yorgos, auquel nous avons accordé une matinée de repos mental avant la voie de l’après-midi, est du reste inquiet de nous voir partir seuls. « L’itinéraire est facile mais un faux pas dans la partie finale se traduirait par un vol sans escale sur Kalambaka 300 mètres plus bas, sans même toucher la paroi… ». Plein de confiance malgré tout, nous laissons intelligemment la corde dans la voiture pour attaquer le Megali Aghia. Après tout, l’itinéraire convoité a quand même été pratiqué par les moines depuis fort longtemps !
 
Mais sur les 50 derniers mètres, force est de constater en vrac que les moines n’avaient peur de rien en ce bas monde, que Beat n’a plus le pied bien montagnard ces temps-ci et qu’Agnès reste encore un peu impressionnable à certains endroits. Je leur suggère donc de ne pas tenter le  Diable (ou le Bon Dieu), peu désireux de me sentir responsable d’un désastre. Un rapide AR au sommet m’apprend que je suis encore capable de gravir du I+ décordé malgré l’injure des années…
 
En redescendant dans Kastraki, quelque soit l’heure de la journée, impossible de ne pas saluer le Grand-Père du village prenant le soleil sur sa terrasse. Mais l’échange habituel de « Καλημερα » et « Γεια σας » débouche cette fois-ci sur une conversation plus prolongée. Où il nous apprend que les Météores ont été le théâtre de terribles combats contre les Allemands il y a ½ siècle : d’un côté les maquisards grecs indélogeables du haut du Grand Météore (ils avaient probablement d’autres soucis que celui du vide ambiant…), de l’autre la Wehrmacht qui se vengeait en incendiant méthodiquement toutes les maisons avoisinantes. Lui-même avait préféré la résistance dans les montagnes du Pinde, survivant l’hiver dans des conditions terribles, pendant que femmes et enfants s’étaient réfugiés plus bas dans les bois sans rien à boire ni à manger. Nos 3 héros de l’Olympe hivernal se sentent soudain bien modestes face à son récit pourtant empreint de retenue…Curieux que les guides touristiques (souvent en Allemand) vendus à Kalambaka ne mentionnent rien de tout cela !
 
Le temps de partager un gros pain de l’excellent boulanger local de Kastraki et Yorgos, qui a encore une autre revanche à prendre sur la veille, nous emmène avec détermination au pied de « Daphné », une magnifique voie de 4 longueurs en V+/VIa dans la face sud de la Tour d’Ypsilotera. L’itinéraire a été ouvert par des grimpeurs grecs, beaucoup moins dogmatiques que leurs homologues teutons ayant pitonné la majorité des voies ici, du coup l’équipement est abondant (enfin relativement au standard local) et de qualité. Ce qui permet de se régaler de mouvements d’escalade superbes dans un cadre grandiose sans trembler à chaque instant pour l’intégrité physique de notre 1er de cordée…
 
Les images qui restent : un champ de patates à la verticale au rocher priseux, solide, et à la belle teinte noire et ocre. Le regard curieux des touristes visitant le monastère de Métamorphosi sur la tour d’en face. La traditionnelle inscription dans le livre de sommet, pour la dernière fois avant combien de temps ? Une longue pause contemplative sur la cime herbeuse, à jouir de la chaleur du soleil en rêvant devant le Pinde lointain toujours blanc. La mélancolie inexorable du retour au quotidien, tempérée par la perspective de retrouver Cécile dans une Berne enneigée. L’impression d’être arrivés il y a bien longtemps alors qu’on se battait encore pour retrouver nos bagages il y a moins d’une semaine…
 
Sommes nous simplement des drogués du vécu à la vaine recherche de l’élusive overdose qui nous procurera enfin une définitive sérénité ? Yorgos nous fait déjà envie en nous détaillant le programme de notre prochain séjour, une revanche sur le Pilier des Rêves se poursuivant par une aventure alpine sur l’immense paroi du Gamila avant de s’achever par un mix grimpe-baignade sur la grande falaise ionienne de Varasova…
 
 

Dimanche 3/3

 
Inutile d’espérer quitter la Grèce sous la pluie pour atténuer les regrets. Le retour sur Athènes se fait sous un soleil insolent et on en arrive même à mettre en marche la climatisation de la voiture. Nous sommes invités à déjeuner chez la sœur de Yorgos au centre de la ville, l’endroit n’est pas facile à trouver et notre camarade au volant manque de perdre patience devant le bordel permanent du trafic dans cette infernale mégalopole. Ce qui me donne l’occasion d’élargir mon lexique d’une poignée de gros mots (γαμω, μαλακιας, etc… ) peu traduisibles ici !
 
La maman de Yorgos, en séjour chez sa fille pour quelques jours afin de préparer le mariage à venir, nous bourre consciencieusement de spécialités grecques goûteuses mais pas franchement légères (lasagne indigène, millefeuilles aux épinards…). « Bizarre, je fais 61 kg (pour 1m75…), je n’ai pas maigri comme d’habitude » nous raconte Yorgos. Bizarre, vraiment ?
 
1 heure de bouchons plus tard (pour 20 km), sous le soleil de plomb écrasant l’aéroport Venizelou, c’est le toujours dur moment de la séparation. On a l’impression d’avoir ensemble des mois de vécu et pourtant il s’est juste écoulé une semaine. C’est sans doute bon signe mais j’ai quand même une boule dans la gorge en voyant notre ami s’éloigner. Allez, Yorgos, trouve-toi donc un boulot de bureau avec un vrai salaire à la fin de chaque mois et viens vite nous rendre visite pour de nouvelles « περιπετειες » (« pèripéties », traduction du mot « aventures » en Grec moderne…)    avant qu’on ne redébarque chez toi d’ici 1 ou 2 ans !

Tourengänger: Bertrand


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