Printemps sur le Bachtel

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Le printemps serait-il enfin là ? Après plusieurs semaines d'une grisaille et d'un froid qui n'incitaient guère à mettre le nez dehors, voilà enfin un dimanche annoncé ensoleillé et chaud. Même si la motivation n'est pas forcément présente, je me force à chercher un but de promenade et de planifier un itinéraire qui me fera travailler un peu physiquement, sans avoir à faire face à trop de neige restante. Cette fin d'hiver interminable a mis à mal ma forme physique et, avec une randonnée de 300 kilomètres dans le pays de Galles planifiée dans moins d'un mois, il faut que je retrouve un semblant d'habitude à la marche !

Je me décide pour le Tösstal, avec une randonnée nord-sud que j'espère panoramique, entre Bauma et Wald en passant par le sommet du Bachtel. A 8 heures 30, il fait déjà assez chaud pour que je n'aie besoin que d'un T-shirt en attendant le train. Il y a trois jours, j'étais assis sur ce même quai tout emmitouflé dans mes vêtements d'hiver pour aller au travail. Un train historique de la Sihltalbahn s'arrête au quai d'en face, augmentant l'ambiance de printemps et de vacances.

En quittant le train à Bauma, je dois tout de suite improviser. L'itinéraire que je voulais prendre, en passant par Hohenegg, est indiqué comme fermé sur tous les panneaux. Les conditions seraient-elles restées plus hivernales que j'avais anticipé ? Heureusement, le Bachtel est indiqué à 3 heures 15 de marche par un autre itinéraire.

Je quitte le village en montée assez soutenue, la première des deux montées de la journée (la seconde se trouvant juste sous le sommet du Bachtel). L'itinéraire passe par une suite de routes d'alpage, de chemins forestiers et de sentiers encore boueux après le départ tout récent de la neige.  Je n'arrive pas à me défaire d'un groupe de trois randonneurs qui bavardent assez fort en marchant, accompagnés de leurs deux chiens. J'essaie de les laisser partir devant, mais les rattrape à chaque fois que les chiens s'arrêtent pour une séance de reniflage. J'essaie moi-même de partir devant, mais chaque fois que m'arrête pour prendre une photo ils me rattrapent. Finalement, près d'Ober Wolfsberg, je fais une bonne pause d'un quart d'heure et arrive à les semer ; je ne les verrai plus de la journée. La vue s'ouvre vers l'est, dominée par le Hörnli et le Schnebelhorn, au-dessus du Tösstal et de ses vallées latérales encaissées.

Maintenant le terrain devient plus plat, la première grosse montée est finie.  A Ober Wolfsberg, des troncs d'arbre récemment coupés sont alignés le long de la route, parfumant l'air d'une forte odeur de sciure fraîche en attendant d'être transportés vers quelque scierie de la vallée. La forêt résonne du chant des oiseaux… et du grognement des motos qui empruntent une route panoramique là-bas vers l'ouest. A la ferme de Sonnenhof, un panneau "Attention aux animaux" est illustré non pas par la photo habituelle d'un berger allemand aux crocs énormes, mais de dessins représentant un paon, une poule et… un escargot. J'imagine le paon en train de faire la roue pour faire peur aux cambrioleurs… et l'escargot en train de les poursuivre vaillamment lorsqu'ils prennent la fuite… 

La piste forestière fait place aux pâturages à Ghöchweid et, subitement, voilà la chaîne alpine devant, enneigée et venue de nulle part, semblant tout près au-delà d'un premier plan composé de collines, de bosquets et de villages. Je ne connais pas encore ces montagnes et ne parviens à identifier que le Pilatus et le Rigi, loin là-bas à droite, là où la montagne fait place au Plateau. Je fais ma pause midi ici, assis dans l'herbe sous le soleil chaud devant ce paysage somptueux avec mes sandwichs au rosbif et au Brie. 

Je descends au hameau de Ghöch, qu'il faut traverser sur la route. L'arrivée soudaine du printemps à fait sortir la moitié des habitants de Zürich sur cette route de campagne (les autres sont sans doute en train de faire des grillades sur leur balcon). Il y a des cyclistes, des vététistes, un couple élégant dans une immense Mercedes décapotable, un homme dans une vieille Citroën sortie toute droite d'un film de guerre des années 60. Mais bientôt je quitte la route pour retrouver les pâturages et la partie la plus jolie de cette randonnée. Des granges isolées posent exprès pour la photo devant l'arrière-plan montagneux, alors qu'une forêt sur une butte semble être en position d'attaque, prête à dévorer une maison en contrebas. J'atteins la courbe de niveau des mille mètres et la neige se fait présente ; par endroits elle est encore dure et glissante alors qu'ailleurs, la fonte est pratiquement achevée et la neige n'est plus que de l'eau un peu plus solide que d'habitude.

Je traverse le plateau boisé du sommet de l'Allmen et, après avoir cherché un peu mon chemin, descends en pente raide sur Egg, où deux groupes de cyclistes sont en train d'échanger des histoires de mollets courbaturés.  En contrebas, de fines langues de neige résiduelle descendues de la lisière de la forêt s'étendent vers une maison, semblant vouloir la ramener vers l'hiver qui règne encore sous le couvert des arbres.

Me voici à présent au pied de la dernière montée de 140 mètres jusqu'au sommet du Bachtel. Comme le sentier se trouve en forêt et en versant nord, il est resté bien enneigé, une neige rendue dure et glissante par le passage d'innombrables paires de raquettes, de skis et de chaussures. Je suis une fausse piste et me trouve en dehors du sentier officiel. Ca semble vouloir passer quand même, mais je finis par me retrouver dans une pente raide faite d'herbe glissante posée sur un fond de boue. Je dois rebrousser chemin, sous peine de glisser et de me retrouver vingt mètres plus bas, couvert de boue de la tête aux pieds !  De nouveau sur l'itinéraire balisé, je plains quatre promeneurs qui viennent en sens inverse…  avec mes chaussures de randonnée, j'ai du mal à avancer sur cette neige durcie ; quant à elles, elles portent le genre de chaussures qui servent plus habituellement à aller au supermarché le samedi matin ! Le sommet est défiguré par un grand mât de télécommunication et d'une zone en travaux, mais ce mât présente l'avantage que l'on peut y monter pour bénéficier d'une vue splendide à 360 degrés. Au sud, le massif alpin ; vers le nord-ouest, le lac de Zurich s'étendant vers la grande ville. Très loin au nord, un sommet sort sa tête enneigé de la brume ; s'agirait-il de la Forêt noire ?

L'heure de la descente a sonné. Un panneau indique une heure et quart jusqu'à la gare de Wald. La descente est raide avec peu de sections plates pour reposer les muscles et mes jambes, sous-employés depuis le début de l'année, se mettent à râler sérieusement.  La petite ville apparaît en dessous, dans sa cuvette verte devant un arrière-plan spectaculaire. Arrivé en ville, la chaleur est presque digne d'un jour d'été ; d'ailleurs, la plupart des gens qui attendent le train se sont mis à l'ombre. Qui l'eût cru… il y a une semaine nous réclamions ce soleil, aujourd'hui nous nous mettons à l'ombre pour ne pas devenir encore plus rouges que nous le sommes déjà !