Turnen - Stand - Niderhorn : trilogie du Meniggrund, en traversée de Zwischenflüh à Boltigen

Le WE avait pourtant bien commencé : samedi après-midi un mini raid en traversée à ski de fond avec Cécile (8 ans) d'Orvin à Nods (presque 10 km !). Glisse facile en descente, petit parfum d'aventure seuls dans la forêt, retour acrobatique en TP, bref une poussinette aux anges qui se déclarait déjà prête à nous accompagner partout même s'il fallait tripler la distance...

Pour le lendemain par contre, le mauvais sort avait vite pointé le bout de son nez : le dimanche initialement ensoleillé se dégradait à chaque bulletin météo successif, et mes appels du pied pour tenter en vain de débaucher un coéquipier finissaient presque par faire croire à un complot : les unes au Trophée des Gastlosen, un autre au Maldives (!), le troisième à raquettes dans le Jura, une quatrième de garde à la clinique, le cinquième coincé à la ferme, une sixième en wellness avec ses clients justement ce dimanche là...et Agnès est avec la voiture et les enfants à l'Hospice du Simplon. Le soleil est garanti en Valais, mais avec le risque 3 et la longueur de l'accès en TP, la paresse prévaut et je préfère rester dans mes Préalpes voisines en espérant pour une fois une météo un peu plus clémente qu'annoncée...

Les sommets entre Simmental et Diemtigtal recèlent d'innombrables possibilités de traversées et autres tricotages, on peut y éviter les pentes raides et compter la plupart du temps sur une trace, l'idéal donc pour une longue chevauchée solitaire par nivologie critique et météo douteuse. L'accès exemplaire en TP permet de plus de décider au dernier moment du point de départ et d'arrivée. Je pars donc sur une vague idée de traversée en enchainant les classiques. Le but, stupide et inavouable, est aussi bien sûr d'égaler au moins le dénivelé du Trophée des Gast (2350m) qui se déroule juste une vallée plus loin...

Le 1er car postal pour le Diemtigtal, souvent bondé, est étonnamment tranquille ce matin...comme si tout le monde savait...il est vrai qu'à 8h du matin à Zwischenflüh l'ambiance est assez sinistre, les sommets sont bouchés et il neige même encore un peu. L'appréhension me serre les tripes et je commence par polluer consciencieusement le torrent pour m'alléger avant le départ. La montée au Turnen par le ravin du Gandgraben est heureusement bien tracée car la visibilité n'excède pas 50 mètres au dessus de 1600m mais arrivé au sommet le soleil n'est plus très loin. Un petit coup de GPS (le premier d'une longue série...) est tout de même utile pour entamer la bonne descente depuis ce sommet aplati où ou pourrait sans problème installer un terrain de foot.

Mais juste un peu plus bas, le ciel s'ouvre et la descente en poudreuse jusqu'au fond du vallon est de toute beauté. Les 200 mètres du bas sont certes à nouveau dans le brouillard, mais il suffit en de repeauter sur le versant opposé par la trace autoroutière menant au Menniggrat pour retrouver rapidement le soleil. Bref le moral remonte en flèche : "zunehmend sonnig" (de plus en plus ensoleillé) a dit le bulletin du matin, il n'est que midi avec encore deux beaux sommets et deux belles descentes à se mettre sous les spatules, c'est le bonheur...

Mais celui-ci est souvent fugitif, c'est bien connu. Arrivé au sommet du Menniggrat, le rideau est retombé. 30m de visibilité. Par chance (ou par malchance...), l'épaule de liaison vers le Stand - totalement débonnaire par beau temps - est déjà tracée par des raquettes, je m'y engage donc plein de confiance. Evidemment ça ne rate pas, la trace s'arrête au Col 1851m, il ont manifestement fait 1/2 tour pour reprendre leurs traces. Courte éclaircie, je commence à tracer la suite, re-brouillard, re-GPS, mais cette fois-ci la visibilité tombe quasiment à zéro, je ne vois guère plus loin que mes spatules. Impossible de juger la pente, je sonde un peu, le manteau neigeux est vraiment malsain, je commence à me faire des films et j'hésite à faire 1/2 tour. Mais merde selon la carte ça ne dépasse par les 20°...je poursuis finalement en serrant les fesses l'oeil rivé sur l'écran au milieu d'une purée de poix absolue. J'arrive au Stand avec l'éclaircie suivante. Cette fois-ci ça doit être la bonne. Descente dans une poudreuse de rêve jusqu'au fond du vallon à 1550m...

Le ciel continue à se dégager de plus en plus franchement. C'est le moment de faire le point : j'ai perdu pas mal de temps avec la navigation, il ne reste que 2h45 de jour, mais avec le retour du beau et une bonne trace pour monter au sommet du Niderhorn, la traversée sur Boltigen est encore jouable. Remontée à fond les manettes au col à 1930m sous le sommet, d'où il est également possible de traverser sur Boltigen. Pas de bol : aucune trace et une grosse accumulation juste en dessous. Même si la zone critique ne dépasse pas les 28° sur 40m je préfère ne pas tenter le diable, sentant que ce n'est pas mon jour de chance. Il faut donc passer par le sommet du Niderhorn 150m plus haut.

Et bien sûr ça ne rate pas : le paquet de nuages suivant est pile à 16h30 en même temps que moi sur le sommet (évidemment déserté à cette heure). Accompagné d'un bon vent de NE qui commence rapidement à effacer les traces pourtant nombreuses de cette grande classique. En me givrant les lunettes pour faire bonne mesure. Ce n'est pas possible, c'est un complot...visibilité à nouveau proche de zéro, re-re-GPS pour retraverser jusqu'à l'antécime 2061m en gardant les peaux. Il reste 1h de jour, je navigue à une vitesse d'escargot, la lumière commence à décliner et je commence à être un peu anxieux. Sur un truc aussi débonnaire que le Niderhorn, c'est tout de même un comble !

Il me faudra encore 20 minutes entre points GPS et vieilles traces pas encore effacées pour passer enfin sous cette maudite purée de poix à 1750m d'altitude avec un immense ouf de soulagement. 1/2 heure plus loin je déchausse devant le pont couvert de Boltigen à la tombée de la nuit. 10 minutes de marche plus loin, le seul coup de bol de la journée : le train direct pour Berne part 5 minutes plus tard. Je me suis quasiment endormi dedans...

La consolation de la journée (en dehors de l'excellent ski, il faut tout de même le reconnaitre) : le dénivelé total égale finalement bien celui du Trophée des Gast. En 4 fois plus de temps que les vainqueurs, avouons le. Comme le dit Bouddha, nourrir son moi illusoire vous amènera plus de souffrances que de bonheur !

Nivologie : En versant N, E et W, très belle poudreuse légère sur fond parfois dur, parfois plus malsain avec de belles accumulations y compris même sur des croupes anodines...mais pas de woumm pour autant. Un peu soufflé autour des sommets du Turnen et du Niderhorn. Les pentes S (descente Turnen et Niderhorn) sont en poudreuse à peine humidifiée au dessus de 1500m, en dessous il y a peu voire pas de fond mais on skie sans dégât grâce au substrat herbeux. La route d'alpage descendant sur Boltigen a été fraisée mais il reste assez de neige / glace dessus pour skier jusqu'en bas sans trop de souci. Risque 3 annoncé dès 1600m (!) et bien présent.

Météo : Bouché le matin puis alternance d'éclaircies et de paquets de brouillard, mais contrairement aux prévisions de MS, le temps ne s'est jamais franchement arrangé même en fin d'après-midi. Froid (-7° à 2000m), vent NE parfois pénible surtout en fin de journée.

Participants : Seul, croisé juste 2 personnes sur le Turnen, la foule sur le Menniggrat, puis à nouveau plus personne sur le Niderhorn. Pas mal de traces dans la région tout de même.